Société

« Nudges » et « big data » dans le monde d’après : une menace sur le contrat social ?  

Économiste, Économiste

La gestion de la crise du Covid-19 a amené des mesures très lourdes pour les libertés : confinement, quarantaine, et collecte de données massives pour l’application StopCovid. Si tout cela est fait « pour notre bien », on peut questionner ce soudain renforcement du « paternalisme libéral », et ce qu’il fait au contrat social. L’État peut-il impunément analyser et guider nos comportements à notre insu ?

La crise du Covid-19 a révélé de manière aiguë deux tendances déjà latentes dans l’évolution des modes de gouvernance : la collection et le traitement des « big data » relatifs à des comportements individuels et la formation de prédictions sur la manière dont ces comportements peuvent être guidés par le design d’architectures de choix adaptées aux circonstances.

C’est le sens et la portée, ou plutôt l’absence actuelle de conceptualisation et d’anticipation des effets de la conjonction entre ces deux tendances que nous aimerions pointer. En soi, il ne s’agit que de techniques et nous ne réprouvons en rien l’usage de techniques, ni même nécessairement de ces techniques, tant que le sens et la portée en sont clarifiés, en vue d’améliorer les modes de gouvernance, que ce soit en temps de crise ou en temps normal. Mais une technique de gouvernance ne s’accorde pas a priori et sans plus de précaution théorique avec la légitimité d’un pouvoir institué et constitué sur des bases normatives – lesquelles doivent encadrer, limiter, et conférer une signification publiquement acceptable à sa nature et à son usage.

Comme nous venons de le dire, c’est la conjonction de ces deux techniques, le traitement de données massives associé au design d’architectures de choix, et leur renforcement mutuel, que nous visons plus particulièrement et dont nous pensons qu’elle atteint aux fondements normatifs de notre contrat social. Mais il vaut la peine de rappeler de quelle manière chacune, indépendamment, est devenue saillante au point de paraître former un recours évident dans la gestion de la crise sanitaire actuelle.

La première tendance concerne l’usage et la technique de la collecte des données massives, à l’image des enjeux apparus dans la gestion de la crise du Covid-19. La propagation du virus a provoqué des perturbations considérables dans tous les domaines de la vie, d’une explosion du travail à distance aux mesures de confinement généralisées, qui comprennent souvent des mesures d


[1] Voir en ce sens, Cécile Désaunay, « Les nudges au service des pouvoirs publics ? », Futuribles, 2017 ; Benoît Floc’h, « L’administration se convertit aux sciences comportementales », Le Monde, 9 août 2019 ; Jean-Gabriel Plumelle, « Pour une société de confiance. Quel rôle pour le service public ? », IGPDE Editions Publications.

[2] Pour un premier jet de critiques sur la superficialité avec laquelle les auteurs principaux du nudge ont voulu rendre compatibles leurs propositions pratiques avec des normes libérales, critiques différentes de celle que nous allons formuler, nous pouvons renvoyer le lecteur à : Grüne-Yanoff, T. (2012), « Old wine in new casks: libertarian paternalism still violates liberal principles », Social Choice and Welfare, 38(4), 635-645.

[3] Voir en ce sens le communiqué du Comité National Pilote d’Éthique du Numérique (CNPEN) du 29 avril 2020 sur les « Enjeux d’éthique du numérique du suivi épidémiologique en sortie de confinement » ainsi que l’avis de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) du 24 avril 2020 sur le « Suivi numérique des personnes : Un risque d’atteinte disproportionnée aux droits et libertés pour une efficacité incertaine ».

Sacha Bourgeois-Gironde

Économiste, Professeur d'économie comportementale et chercheur en sciences cognitives

Bruno Deffains

Économiste, Professeur de sciences économiques

Notes

[1] Voir en ce sens, Cécile Désaunay, « Les nudges au service des pouvoirs publics ? », Futuribles, 2017 ; Benoît Floc’h, « L’administration se convertit aux sciences comportementales », Le Monde, 9 août 2019 ; Jean-Gabriel Plumelle, « Pour une société de confiance. Quel rôle pour le service public ? », IGPDE Editions Publications.

[2] Pour un premier jet de critiques sur la superficialité avec laquelle les auteurs principaux du nudge ont voulu rendre compatibles leurs propositions pratiques avec des normes libérales, critiques différentes de celle que nous allons formuler, nous pouvons renvoyer le lecteur à : Grüne-Yanoff, T. (2012), « Old wine in new casks: libertarian paternalism still violates liberal principles », Social Choice and Welfare, 38(4), 635-645.

[3] Voir en ce sens le communiqué du Comité National Pilote d’Éthique du Numérique (CNPEN) du 29 avril 2020 sur les « Enjeux d’éthique du numérique du suivi épidémiologique en sortie de confinement » ainsi que l’avis de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) du 24 avril 2020 sur le « Suivi numérique des personnes : Un risque d’atteinte disproportionnée aux droits et libertés pour une efficacité incertaine ».