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État-nation et définition ethno-religieuse de la citoyenneté

Politiste

Après Sainte-Sophie, le président turc veut reconvertir le musée Saint-Sauveur d’Istanbul en mosquée. Ce type de tentative de définition ethno-religieuse de la citoyenneté dépasse de loin le cas turc et le cadre de chacune des principales religions, ou des États qui y semblent associés (Israël, Inde, Birmanie, Russie…). Dans leur dénominateur commun, ces configurations politiques doivent être comprises à la lumière tamisée d’une sociologie historique et comparée de la formation de l’État, plutôt que mises sous le projecteur aveuglant de l’explication culturaliste et de son « illusion identitaire ».

L’actualité internationale ne cesse de nous rappeler l’acuité, dans un monde contemporain supposé voué à la sécularisation, de la définition ethno-religieuse de la citoyenneté. Aux antipodes du sionisme originel, Israël identifie désormais celle-ci au judaïsme. En mal de sondages d’opinion favorables, le président de la République de Turquie rend à l’islam Sainte-Sophie. Le Liban étouffe sous le poids d’un confessionnalisme politique apparemment indépassable. Les guerres civiles de Syrie, d’Irak et du Yémen semblent largement s’être rabattues sur l’opposition entre sunnites et chiites (ou alaouites). Héritages de feu l’Empire ottoman dont tous ces territoires étaient peu ou prou des provinces ?

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Oui, en partie, mais l’hypothèse doit être élargie. Car en Inde Narendra Modi poursuit une politique d’exclusion de la nation de son importante minorité musulmane. La Birmanie et le Sri Lanka empruntent eux aussi cette voie. En Europe, en Amérique du Nord, la place de l’islam dans la cité est également questionnée de manière de plus en plus polémique, tout comme dans la Russie de Vladimir Poutine. Parlera-t-on alors d’une « islamophobie » généralisée ? Sans doute, mais pas seulement : la plupart des pays dits musulmans ne sont pas en reste en matière de définition ethno-religieuse de la citoyenneté, au détriment des chrétiens, des juifs, voire des autres obédiences islamiques que celle à laquelle s’identifie l’État, comme en Turquie, en Iran ou au Pakistan.

De toute évidence le problème déborde le cadre de chacune des principales religions, ou des États qui y semblent associés. Dans leur dénominateur commun, ces configurations politiques doivent donc être comprises à la lumière tamisée d’une sociologie historique et comparée de la formation de l’État, plutôt que mises sous le projecteur aveuglant de l’explication culturaliste et de son « illusion identitaire ».

Deux idéaltypes

On peut opposer, sur un mode idéal-typique, la domination impériale et la domination stato-nationale en rappelant, avec Jürgen Osterhammel, qu’au XIXe siècle « tous les grands États sont des ‘‘empires’’ et en ont le nom[1]» – à l’exception des États-Unis qui pourtant l’étaient structurellement – alors que prévaut, depuis le XXe siècle, la forme de l’État-nation, « comme une petite anomalie sur l’horizon historique, comme une forme d’État récemment émergée sous les cieux impériaux et dont l’emprise sur l’imaginaire politique mondial pourrait bien se révéler partielle ou éphémère[2]».

Les plus grandes guerres du XIXe siècle impliquèrent ainsi des empires, ou eurent pour enjeu le maintien de l’unité des empires, comme la guerre de Sécession. Elles se nationalisèrent au XXe siècle, même lorsqu’elles gardèrent une dimension impériale à l’instar des deux guerres mondiales, et elles se déclinèrent de plus en plus sur le mode de la guerre de libération nationale, dans le contexte global de la guerre froide.

Chacun de ces deux idéaltypes de domination se distingue sous l’angle des modalités, de la légitimation et de l’imagination de la cité qu’il désigne[3]. Il s’agit bien d’idéal-types car aucune de ces deux formes de domination ne s’observe dans sa pureté, au point que la caractérisation dans ces termes des sociétés politiques concrètes se heurte souvent à des objections. L’Espagne est un État-nations plutôt que nation, et uni le Royaume-Uni ne l’est pas tant que cela, britannique en même temps qu’anglais, écossais, gallois et irlandais. L’Allemagne est une fédération nationale, la Russie une fédération plurinationale. La Turquie est un État ô combien nation par négationnisme, la France par amnésie, l’Italie par sublimation distordue, la Norvège à titre tardif, le Japon et le Maroc de type impérial.

De même, la qualification d’empire d’une formation historique n’est pas toujours aisée, et son orientation religieuse est variable : revendiquée dans le cas de l’Empire chrétien d’Orient, dans celui de l’imperium christianum carolingien, ou dans celui du califat abbasside ; moins nette dans celui de l’Empire ottoman, au moins jusqu’au XVIe siècle, et dans ceux des empires coloniaux européens du XIXe siècle. En tout état de cause, la domination religieuse d’un empire doit composer avec une hétérogénéité de fait, en raison de son expansion territoriale et de sa composition ethnique.

Ainsi que l’ont fermement souligné Jane Burbank et Frederick Cooper, on ne peut donc raisonner en termes évolutionnistes de « transition de l’empire vers l’État-nation », au sens où un courant de la science politique, la « transitologie », s’est interrogé sur la « transition à la démocratie ». Autrement dit, il s’agit moins de « passage » de l’un à l’autre que de concaténation, d’enchaînements, d’articulation. Dans une formation historique concrète, la domination impériale peut cohabiter avec la domination stato-nationale, étant entendu que cette coexistence affecte chacun des deux éléments en en modifiant la forme, le sens, l’orientation. Il en fut notamment ainsi en France, en Grande-Bretagne, en Italie, au Portugal, en Espagne, en Allemagne, autant de pays qui, à certains moments de leur histoire, furent simultanément des empires et des États-nations.

Rappelons, par exemple, que la France, prototype de l’État-nation, n’a cessé d’être un empire colonial qu’en 1962, avec l’indépendance de l’Algérie, ou en 1967, avec celle de Djibouti. Les mauvaises langues antillaises ou réunionnaises susurrent qu’elle l’est toujours ; les tenants des études postcoloniales affirment haut et fort qu’elle ne s’est pas encore libérée de son passé impérial et esclavagiste. De même que les anthropologues marxistes parlaient de l’articulation des modes de production, nous pourrions insister sur l’articulation des modes de domination politique.

Une telle diversité factuelle, néanmoins, ne doit pas nous dissuader de procéder par abstraction. L’empire tend à une domination indirecte en s’en remettant à l’intermédiation de la « noblesse des autres » – celle des peuples conquis –, des élites agraires ou marchandes, des institutions religieuses, voire en façonnant ses propres intermédiaires, pour gouverner ses provinces et ses sujets. Il est ethniquement, culturellement, linguistiquement, religieusement, économiquement, voire monétairement, composite. Il règne sur et par la diversité. « Le concept d’empire postule que les différentes populations de la société doivent être gouvernées différemment », écrivent, par exemple, Jane Burbank et Frederick Cooper[4].

Et Karen Barkey donne pour titre à sa synthèse sur l’Empire ottoman : Empire of Difference, un empire qui était « gouverné par des exceptions », confirme un autre historien, Daniel Goffman[5]. L’empire fait de la mobilité de ses sujets une ressource de pouvoir[6]. Il compose avec cette hétérogénéité par le biais de toute une série de « transactions hégémoniques[7]», par « accommodement contingent[8]», par un pragmatisme à la petite semaine, mais aussi par la mise en œuvre de médiations véhiculaires d’ordre juridique, culturel, linguistique, religieux, qui donnent du liant à son ensemble en en transcendant les parties, le cas échéant sur le mode de l’extraversion, par emprunt à des sociétés autres ou conquises.

Ainsi, les Romains s’hellénisèrent, et les Abbassides nourrirent leur invention d’une haute culture arabe de l’apport hellénistique et persan. Dès lors, il faut distinguer, dans une hégémonie impériale, ce qui constitue un noyau dur idéologique, non négociable encore qu’interprétable – dans la Monarchie catholique, l’aristotélisme, nous dit Serge Gruzinski[9] – et ce qui donne matière à accommodement. Certes, l’empire, en tant qu’État, est par définition coercitif. Simplement sa violence est une « forme ultime de négociation[10]» et n’est intelligible que dans le cadre de sa domination indirecte et différentialiste.

L’une des manifestations de la domination impériale ainsi comprise est le recours à une langue tierce pour la communication politique ou administrative, et sa déconnexion des problématiques de l’appartenance nationale, religieuse ou autre, aux antipodes de certaines des théories classiques du nationalisme qui font de la langue l’un des éléments primordiaux de la nation, non sans reprendre l’historiographie et l’idéologie nationalistes elles-mêmes[11].

Le latin et le grec tinrent cette place dans l’Empire romain, l’ouïghour dans l’Empire mongol, l’osmanlı et la lingua franca dans l’Empire ottoman, l’allemand dans l’Empire austro-hongrois, et les langues respectives des métropoles dans les empires coloniaux européens, ce qui n’excluait pas le recours à des langues véhiculaires locales comme le malais dans les Indes orientales néerlandaises, le swahili en Afrique orientale ou le lingala en Afrique centrale. Ce sont ces disjonctions qui rendront possibles toute une série de décalages paradoxaux dans la vie flexible des empires. Ainsi, quelques-uns des principaux théoriciens du nationalisme culturel persan, tels que Fathali Akhundzadeh, alias Akhundov (1812-1878), et Abdul Rahim Talebzadeh, dit Talebof (1834-1911), étaient des intellectuels turcophones qui servirent l’empire des Romanov à Tiflis.

On peut enfin partir de l’hypothèse que la décentralisation de l’empire n’est pas sa qualité originelle, la résurgence de son hétérogénéité initiale, mais découle de l’accumulation primitive de capital qu’autorisent ses conquêtes et sa paix, et qu’elle constitue une fragmentation relative et secondaire[12]. Aussi la décentralisation des empires est-elle à géométrie variable, dans le temps et dans l’espace. L’empire pratique la « souveraineté comme une notion partagée, stratifiée, imbriquée » – une « souveraineté gigogne et manipulable[13]», toujours susceptible d’évoluer vers le modèle des dominions ou de la sécession. Il alterne les phases de diastole et de systole[14].

L’un des symboles de ce type de souveraineté impériale est le règne de dynasties ethniquement, linguistiquement, religieusement exogènes par rapport à la majorité de leurs sujets. En Chine, Kubilaï, qui fonda la dynastie des Yuan (1279-1368), était Mongol ; les Qing (1644-1911) étaient Mandchous ; et les Ming (1368-1644), Chinois enclins à une certaine xénophobie, conservèrent néanmoins le pluralisme religieux hérité de leurs prédécesseurs. En Inde, les Moghols étaient des Turcs. En Iran, les Safavides et les Qajar étaient eux aussi turcophones. Au Maghreb et en al-Andalus, des Berbères du Sahara gouvernaient les empires des Almoravides et des Almohades, aux XIIe-XIIIe siècles. L’Empire ottoman était largement chrétien avant de perdre ses provinces balkaniques, bien que sa dynastie fût musulmane et turque, il est vrai mâtinée de sang grec jusqu’au XVe siècle.

Les premiers souverains de la Monarchie catholique, à commencer par Charles-Quint, étaient fort peu Espagnols. Après la partition de son empire, les descendants viennois de ce dernier ont régné sur une majorité de sujets non germanophones de naissance. Quant aux empires britannique et russe, ils comportaient, au début du XXe siècle, plus de musulmans que l’Empire ottoman bien que leur monarque fût chrétien. Encore faut-il que le pouvoir impérial compense son extranéité par la cooptation d’élites issues des peuples conquis. L’Empire ottoman excella en la matière, et en tira sa longévité. Les Omeyades, à l’inverse, ne surent pas intégrer les Persans dans leurs institutions et furent chassés du pouvoir dès 749. Les empires coloniaux européens des XIXe-XXe siècles ne furent guère plus habiles et durent assez rapidement renoncer à leur domination territoriale, faute de savoir transformer en citoyens leurs sujets, quitte à reproduire celle-ci sous d’autres formes.

Que le lecteur ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas. Les empires étaient des appareils de domination, alternant l’hégémonie et la coercition. Il n’est pas question de s’en faire une idée angélique et de nourrir quelque nostalgie que ce soit à l’égard de leur « tolérance », de leur « multiculturalisme », de leur « pluralisme religieux », de leur « civilisation », de leur « paix », même si tout n’est pas faux dans les vertus qu’on leur prête. Mais, à cet idéaltype de la domination indirecte de la différence, on peut opposer, presque terme à terme, le modèle de l’État-nation qui s’est universalisé au XXe siècle et continue de prévaloir, nonobstant la longue plainte relative à son hypothétique « retrait » sous les coups conjugués du marché et de la barbarie identitaire. L’État-nation, rationnel-légal, bureaucratique, mis en nombre, assure une domination territorialisée, directe, centralisée, et culturellement, socialement, économiquement unificatrice, en promouvant une conscience nationale exclusive sur des critères essentialistes, d’ordre ethnique, religieux et/ou linguistique[15].

Sur tous ces points, il doit être distingué de l’État du Premier Âge moderne et de ses prémisses médiévales. L’État n’est pas forcément État-nation, ni même national. Les cités-États, l’État pontifical étaient des États, sans être des États-nations. Empire, la Chine était déjà un État national, sans être un État-nation. Mais l’État-nation, né de la Révolution française, des transformations des empires au cours du XIXe siècle, et de leur effondrement au XXe, se définit aux antipodes des logiques de ces derniers, dont il est pourtant le rejeton honteux. La difficulté provient de la dépendance mentale que nous avons développée à l’égard de son propre récit, des historiographies nationalistes lourdes d‘anachronismes téléologiques. Elle procède aussi de notre réticence à penser d’un même neurone la formation de l’État-nation dans son double rapport aux effets complexes d’intégration du monde et à l’affirmation de consciences particularistes qui paraissent contradictoires avec ces logiques, alors qu’elles en sont le carburant idéologique.

L’invention de la nation

Dans la plupart des régions que nous pouvons considérer, l’universalisation de l’État-nation, dans cette double relation avec l’intégration multidimensionnelle du monde et la banalisation des idéologies ou des imaginaires identitaristes de facture culturaliste, s’est traduite par une politique de « unmixing of peoples », de « démélange », de « désenchevêtrement » des peuples, pour reprendre la célèbre formule de Lord Curzon qu’adoptera Churchill dans sa volonté de « faire un grand ménage » avant et après la deuxième guerre mondiale.

« En effet, pour autant que nous puissions en juger, l’expulsion est la méthode qui sera la plus durable et la plus satisfaisante. Il n’y aura plus de mélange de populations susceptible de causer des difficultés à l’infini, comme ce fut le cas en Alsace-Lorraine. Il faut faire un grand ménage. Je ne suis pas inquiet devant la perspective du travail nécessaire pour désenchevêtrer les populations, ni même pour les transférer, car cette opération est plus réalisable qu’elle ne l’a jamais été. La séparation des populations entre la Grèce et la Turquie après la dernière guerre (…) fut par bien des côtés une réussite et elle a débouché sur des relations amicales entre la Grèce et la Turquie », déclarera-t-il le 15 décembre 1944 à la Chambre des Communes, dans « un silence affreux, lourd d’appréhensions », témoignera l’un des auditeurs [16].

Le premier Ministre grec Venizelos parlait pour sa part de « régularisation ethnologique » à propos d’un premier échange de population entre l’Empire ottoman et la Grèce, dès 1914[17]. En fait, le procédé s’était banalisé avec les Guerres balkaniques, en particulier avec la conquête par les Grecs de la ville de Kilkis, en Macédoine, en 1913. En tant que tel, ce dessein n’était pas forcément neuf. Ce qui l’était plus, c’était que la civilisation matérielle du capitalisme (ou de son produit dérivé, le socialisme) et du culturalisme fournissait à l’État les raisons et les moyens de ses fins : la titrisation de la terre, le droit de la propriété, les médias de masse, les moyens de communication, de transport et de destruction, les institutions financières, la bureaucratisation, les statistiques, et aujourd’hui les technologies numériques et biométriques – autant de ressources pour l’imagination de la nation et l’épuration de ses corps étrangers.

Le résultat fut un processus d’homogénéisation de la population du nouvel État-nation sur la base de critères ethno-religieux ou ethno-linguistiques, et par recours à des degrés variables de coercition, allant de l’assimilation culturelle autoritaire au génocide en passant par les expulsions ou différentes formes de tueries. Les empires avaient eux-mêmes mis en œuvre ces procédés, mais leur légitimité leur a désormais été conférée au sein et au nom de l’État-nation capitaliste et identitariste qui, de surcroît, procurait une nouvelle ampleur à l’accumulation primitive, i.e. coercitive, de capital : celle du marché mondial. L’État-nation parachève aussi l’évanouissement de l’utopie impériale d’une domination universelle qu’avaient caressée les Ottomans et les Habsbourg au XVIe siècle, au profit d’un monde multipolaire dans lequel la souveraineté est pensée en termes relationnels[18].

Restait à trouver le ressort de cette légitimité nouvelle. La « nation », certes, mais comment et sur quelles bases l’inventer ? Car il s’agissait bien de cela. L’ « invention de la tradition » y pourvut, mais là aussi cela ne faisait que déplacer le problème. Comment définir la « tradition », à quel passé mythique se référer ? Le passé impérial put fournir une réponse, comme Rome chez les fascistes italiens, ou, aujourd’hui, l’Empire ottoman chez Recep Tayyip Erdoğan. L’Antiquité, le Moyen-Âge furent d’une utilité auxiliaire car les contours de leur dominium convenaient mal à la territorialisation de l’État-nation, ainsi que le prouva l’épuisement de la veine symbolique du Saint Empire romain germanique à laquelle les Habsbourg durent renoncer en 1806. La morphologie géographique peut suggérer des « frontières naturelles », mais elle ne s’y prête pas systématiquement ou incite à des aventures militaires dangereuses comme la France en fit l’amère expérience avec le Rhin aux Pays-Bas.

La culture, bien sûr, mais réduite à un répertoire folklorique de chants et de danses, à une bibliothèque de contes, d’épopées, de romans, de poèmes, et à un livre de recettes de cuisine, elle ne suffit pas. Même la langue, dans laquelle bien des nationalistes crurent discerner l’âme de leur nation, est insatisfaisante. C’est faire preuve d’un très haut sens littéraire que d’accepter de mourir ou de tuer pour sa langue, fût-elle maternelle. D’ailleurs nombre d’idéologues nationalistes ne s’exprimaient pas dans leur langue maternelle, ou avaient pour langue maternelle un idiome qui n’était pas celui de la nation dont ils se réclamaient. Au demeurant, le partage d’une langue ne prémunit pas contre la guerre. Au Moyen-Âge, les Européens se sont battus en latin. L’arabe n’a pas fait des pays arabes un havre de paix. Le serbo-croate, langue unique avec, il est vrai, deux alphabets (cyrillique et latin) et deux prononciations, n’a pas empêché l’éclatement sanglant de la Yougoslavie.

D’où la tentation de se tourner vers Dieu et ses ressources transcendantales, sa puissance symbolique et imaginaire, son enseignement moral du renoncement et de l’abnégation, sa capacité d’encadrement des foules incultes, son intelligentsia, son ingénierie cultuelle. L’État-nation est ainsi enclin à promouvoir une orientation ethno-religieuse de la citoyenneté. Non que la religion en tant que telle ait fourni la circonscription naturelle de la nouvelle forme de domination, l’ait en quelque sorte inspirée comme le ferait accroire un raisonnement nationaliste et culturaliste. Dans les faits, elle a été aussi bien une instance de coexistence et de compromis, ainsi que l’atteste la pratique récurrente du partage de certains lieux de culte entre chrétiens et musulmans, entre musulmans et juifs, entre sunnites et chiites. Elle se caractérise d’ailleurs souvent par une vieille tradition de mutabilité.

La quasi-totalité des pays méditerranéens ou proche-orientaux ont été, à un moment ou un autre, païens, chrétiens, musulmans, et de ce point de vue les conflits interconfessionnels contemporains opposent les sociétés qu’ils déchirent à elles-mêmes, autant qu’à d’autres. Par ailleurs, les antagonismes sont parfois plus violents au sein d’une même religion que par rapport aux autres, ainsi que le prouvent, jusqu’à la caricature, les animosités interconfessionnelles entre les chrétiens sur les lieux saints de Jérusalem, la volonté des orthodoxes bulgares et roumains de s’émanciper de l’Église orthodoxe grecque et de se constituer en Églises autocéphales au XIXe siècle, l’hostilité entre chiites et sunnites à l’échelle de l’umma, ou la tension entre Sépharades et Ashkénazes en Palestine, dès le début du XXe siècle.

À dire vrai, les répertoires religieux sont aussi susceptibles de diviser que de rassembler, comme l’ont montré les dernières années de l’Empire ottoman. Lors de la révolution de 1908, les différentes autorités religieuses ont communié dans la même « ivresse de la liberté[19]» pour légitimer l’ottomanisme civique, et elles ont ensuite cautionné les nationalismes ethno-confessionnels qui se sont construits sur l’exaltation simultanée de la religion et de la langue, à l’instar du nationalisme turc d’un Ziya Gökalp.

Il s’agit donc moins, répétons-le, de religion que de la construction, éminemment politique et idéologique, de la citoyenneté avec un matériau ethno-religieux. On retrouve ici la problématique interactive de la « cité cultuelle » et des processus de « confessionnalisation » de État, bien connus des historiens de l’Europe de l’Âge moderne. D’une part, la sphère du religieux se constitue en matrice de l’État en lui donnant son mode d’organisation, son vocabulaire, son imaginaire, des possibilités de subjectivation politique. De l’autre, l’État paramètre la sphère du religieux en contribuant à sa bureaucratisation, en l’émasculant politiquement sur le mode de la domination césaro-papiste de type byzantin, ottoman ou colonial, voire en lui imposant une séparation des cultes et du politique comme en France, depuis 1905.

Soit dit en passant, une telle interaction corrobore l’impossibilité de définir une « aire culturelle » sur la base d’un critère religieux puisque les religions « n’existent pas » autrement que dans leur rapport à l’État, au marché, à l’ensemble des facteurs de la transformation sociale, et que dans leur relation avec les autres croyances dès lors que prévaut le pluralisme confessionnel dans l’ensemble considéré. Les spécialistes du Nigeria ont bien montré comment les fondamentalismes pentecôtiste et islamique se nourrissent l’un l’autre et forment une combinatoire de radicalisation et de passage à la violence, en bons « ennemis complémentaires » qu’ils sont. Itou de l’hindouisme et de l’islam en Inde, du bouddhisme et de l’islam en Birmanie et en Thaïlande, du judaïsme et de l’islam en Palestine. Il est probable qu’en France les « fondamentalistes de l’identité », les salafistes musulmans et ceux de la troisième République, jouent une partition similaire.

Le sécularisme en trompe l’œil de l’Occident

Le lecteur s’agite sur sa chaise, objections en main. L’Occident n’offre-t-il pas, précisément, un contre-exemple, mieux, le modèle sécularisé à suivre, dont l’observance épargnerait à l’humanité bien des souffrances. Hum ! L’Europe « judéo-chrétienne » contemporaine, comme on aime à la nommer en jetant un œil torve sur les musulmans, a exterminé sa part juive sitôt éteintes les braises de l’Empire austro-hongrois, ce qui n’eut rien d’étonnant puisque l’affirmation du principe national en son sein avait fait de Vienne une grande capitale de l’antisémitisme, à l’initiative conjointe du chef des nationalistes allemands, Georg von Schönerer, et du maire social-chrétien Karl Lügeral Lüger, du vivant même de François-Joseph, et non sans constituer une coalition antagonique et paradoxale avec le sioniste Theodor Herzl pour promouvoir les fondamentalismes identitaires[20]. Ce fut en végétant à Vienne que l’étudiant et artiste raté Adolf Hitler y élabora sa haine du juif.

Drapée dans sa vertu démocratique, l’Union européenne fonctionne aujourd’hui comme une pompe à reflux de l’Autre en envoyant ad patres plusieurs milliers de ses spécimens par an, et en collaborant avec les esclavagistes tortionnaires libyens pour tenter de les dissuader de faire la traversée. Le propos pourra sembler excessif, mais il n’est qu’analytique, pour ne pas dire clinique. Chacun sait que tout renforcement des mesures anti-migratoires se solde mécaniquement par un surcroît de morts, et année après année le durcissement du dispositif réglementaire et législatif par les autorités européennes est décidé en connaissance de cause, et, si l’on peut dire, en pure perte.

Chacun sait aussi que les milices libyennes auxquelles on livre matériel et renseignements trafiquent les êtres humains, les supplicient pour extorquer à leur famille des rançons, les violent, les asservissent à des fins productives avant de les embarquer sur des esquifs – et de les récupérer des mains mêmes des autorités européennes pour un nouveau petit tour dans l’enfer de la rente migratoire. Tout cela est documenté, au même titre que la criminalisation des sauveteurs de la mer ou de la montagne par les législations française et italienne. Or, l’Autre que l’on repousse ou pourchasse est bien défini en termes ethno-religieux : Africain, Arabe, Afghan et musulman, ou suspect de l’être car comment prendre au pied de la lettre le christianisme des Africains, ces grands et versatiles enfants ? Née d’opérations de purification ethnique de masse, dont au moins une de nature génocidaire, l’Union européenne continue d’être une machine à épurer ethniquement, sur une base implicitement religieuse.

De ce point de vue, la laïcité française est bien un trompe l’œil. Elle entretient avec le christianisme le même rapport honteux que la laïcité turque avec le sunnisme hanéfite. La République a elle aussi ses « étrangers du cru » (yerli yabancı). On le sait, la formation de l’État en Europe est passée par sa « confessionnalisation ». L’intégration politique du continent a en quelque sorte multilatéralisé le processus. Mais, bien sûr, celui-ci n’a rien de religieux à proprement parler et se confond avec la sécularisation de l’État. Matteo Salvini fait campagne un chapelet à la main ; la Ligue fait pression pour que des crucifix soient disposés dans les écoles tout comme certains élus de la CSU en Bavière ; le maire d’extrême-droite de Béziers Robert Ménard installe une crèche dans son hôtel de ville. L’Église catholique s’en indigne et vilipende cette instrumentalisation politique, identitariste, de symboles religieux qui dévalorise leur rapport à la transcendance de la foi. Et l’archevêque de Bologne, le cardinal Matteo Zuppi, doit rappeler, en 2019, à la fureur de la Ligue, que l’on peut faire des tortellini au poulet pour associer les musulmans à la célébration de la Saint-Petronius, le patron de la ville.

Nonobstant leur réputation de religiosité, les États-Unis présentent sur ce plan un jour contrasté que les efforts conjugués de Samuel Huntington et de Donald Trump clarifient néanmoins. Les États-Unis ont été les premiers à établir une séparation entre l’État et la religion, même si leur vie politique repose sur « deux récits fondateurs et concurrents de l’identité américaine » : l’un « ancré dans la philosophie des Lumières », l’autre d’inspiration religieuse et providentialiste que l’évangélisme de type méthodiste, baptiste ou unitairien démocratisa à partir du début du XIXe siècle en remettant en cause l’hégémonie des Églises établies et la théologie de la prédestination des puritains[21]. Les tensions entre l’évangélisme et le puritanisme, mais aussi le Kulturkampf entre le protestantisme et le catholicisme dans le courant du XIXe siècle, sur fond d’immigration irlandaise et italienne, furent inhérents à la formation de l’État américain.

S’y ajouta la question raciale que compliqua la guerre de Sécession, qu’amplifia l’immigration d’Asiatiques et de juifs venus d’Europe orientale, et que mit en petite musique l’idéologie du darwinisme social. Tout homme de paix qu’il fût, le président Wilson était ouvertement raciste, suprémaciste blanc et antisémite. Entre les deux guerres, une bonne part de l’establishment américain, Henry Ford en tête, n’hésita pas à flirter avec le national-socialisme. Lorsqu’il clame America First ! Donald Trump a donc une certaine Amérique en tête : celle des WASP, et d’avant les Civil Rights concédés aux Noirs en 1964, non sans « livrer le Sud au parti républicain » comme l’avait pressenti le président démocrate Johnson qui en fut le promulgateur[22].

Samuel Huntington, le principal idéologue du conservatisme nord-américain et l’homme du « choc des civilisations », conseille d’ailleurs aux immigrés latinos catholiques de se convertir au protestantisme, plutôt évangélique, celui de la plèbe, que puritain, celui des WASP, pour faciliter leur intégration. Après la guerre de Sécession, le baptisme avait déjà été le principal transformateur des esclaves noirs en croyants autonomes et en Américains, certes de seconde zone. La sauce du melting-pot est religieusement et racialement épicée. L’élection de Donald Trump est bien l’expression du dégoût de l’Amérique blanche à l’encontre du « musulman » (et Noir) Barack Obama.

Elle a été possible grâce au vote des chrétiens évangéliques, convaincus que la destruction divine de la tour de Babel avait consacré la division du monde en plusieurs « races », et désireux de réconcilier les États-Unis avec Dieu pour en faire une « brillante Cité sur la colline » par le truchement improbable d’un Président menteur et sexuellement prédateur, mais qui a l’utilité de nommer de bons juges à la Cour suprême et d’appuyer le sionisme, préalable et annonciation de l’Apocalypse. L’histoire n’est pas finie, et l’ « avenir probable » d’une « laïcité philo-cléricale, soucieuse de respecter toutes les religions sans discrimination aucune, tout en préservant autant que faire se peut la vieille tradition américaine du mur de séparation entre l’Église et l’État » n’est pas forcément compromis[23]. Il n’empêche que cette dernière visa dans un premier temps à protéger de Léviathan la piété des groupements communautaires de croyants (Gemeinde) à l’échelle locale, et la jeune nation de l’anglicanisme, plutôt qu’à promouvoir la laïcité[24]. L’exceptionnalisme occidental en matière de sécularisation du politique demande décidément à être, pour le moins, nuancé.

Universalité du particularisme civique ethno-religieux

En définitive, l’idéaltype de l’État-nation est religieusement orienté, parfois en creux lorsqu’il se définit contre la religion, à l’instar de l’Union soviétique, des régimes communistes d’Asie et d’Afrique, ou qu’il instaure une séparation sourcilleuse, comme le Mexique, bien que la Vierge de la Guadalupe continue de veiller sur sa destinée. Même dans ces cas, l’État athée paie son denier du culte. En Union soviétique la « nouvelle catégorisation d’ordre ethnique » au fondement des Républiques fédérées dont les États-nations postsoviétiques sont les légataires a procédé en ligne directe des modes religieux d’appartenance à l’Empire des Romanov par le biais de la sécularisation progressive, puis coercitive, de la société[25]. En Pologne, le communisme, après la deuxième guerre mondiale, a permis l’accomplissement de la conception ethno-religieuse et territorialisée de la citoyenneté qu’avaient conçue les nationalistes de l’ancien régime. En Bulgarie, il a endossé le principe de l’Église orthodoxe monocéphale après l’avoir brisée et inféodée au Parti, et en a tiré le périmètre de l’appartenance nationale au détriment des musulmans, turcophones comme bulgarophones.

En Chine le réformateur Kang Youwei (1858-1927) a érigé le confucianisme en religion nationale chinoise, point de vue que reprit peu ou prou Sun Yat-sen et que ne répudie pas autant qu’il y paraît la République populaire de Chine. Dans un contexte insulaire et quasiment mono-ethnique, ou se voulant tel, l’empire du Japon s’est « nationalisé » par la promotion d’un shintoïsme d’État, ce qui prouve tout à la fois que la définition ethno-religieuse de la citoyenneté n’est pas d’ordre religieux – le processus s’est effectué aux dépens du bouddhisme, dominant – et n’est pas consubstantiellement liée à la nécessité d’unifier politiquement une population hétérogène, comme en Turquie, ou d’accompagner un changement d’échelle territoriale, tantôt par réduction, comme dans l’ère post-ottomane ou post-habsbourgeoise, tantôt par extension, comme dans la plupart des États africains nés de la colonisation.

En Inde, Narendra Modi assume sans complexe son nationalisme hindou, basée sur l’ « hindouité » (hindutva), en se réclamant du dieu Ram, et il facilite la naturalisation des immigrés appartenant à des minorités religieuses persécutées du sous-continent, comme les réfugiés hindous, sikhs, chrétiens, jaïnistes, bouddhistes ou parsis, mais à l’exclusion de celles d’entre elles qui sont d’obédience musulmane, telles que les Hazara d’Afghanistan ou les Ahmadi du Pakistan. Il en est de même des généraux birmans, et de la Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, pour ce qui est du bouddhisme. La Russie de Poutine a retrouvé ses racines orthodoxes, tout comme la Géorgie de l’après-révolution de couleur.

Le pluralisme religieux de l’Ukraine, avec son irritante question uniate, est un enjeu et une dimension patente de son évolution politique, à l’interface de la Russie et de l’Union européenne. En Pologne le PIS des frères Kaczyński surjoue le catholicisme face à une société qui découvre effarée les turpitudes de l’Église et est plus sécularisée que ne le veut le roman national. En Hongrie Viktor Orban n’est pas en reste. Il n’y a toujours pas la moindre mosquée à Athènes, et Alexis Tsipras n’est pas parvenu à célébrer le divorce entre l’Église orthodoxe et l’État. Benjamin Netanyahou transforme Israël en ethnocratie juive avec les encouragements des Églises protestantes dispensationalistes du Deep South étatsunien.

La revanche de Dieu ?

La « revanche de Dieu » sur l’État et son champ politique ? Que non pas. La défaite et la soumission politique de Dieu à l’État-nation. Ce que l’on appelle depuis le XIXe siècle la religion est absorbée par la marchandisation globale, dont les « affinités électives » du pentecôtisme avec le marché sont une caricature, et l’identitarisme électoral ou guerrier, dont les partis politiques d’extrême-droite et les milices confessionnelles sont l’expression la plus manifeste. L’orientation ethno-religieuse de l’État-nation se comprend mieux si l’on admet que son éclosion a été concomitante d’un formidable réveil religieux qui a concerné l’ensemble des continents au XIXe siècle, et sur lequel Christopher Bayly attire l’attention en soulignant que celui-ci a été sinon indépendant de l’expansion de l’Occident, du moins irréductible à celle-ci. Le mouvement a d’ailleurs englobé l’Europe et les États-Unis, parfois par influence ou rétroaction des expériences ultramarines[26].

Or, cette vitalité de la foi a donné lieu à une bureaucratisation de type ecclésial du champ religieux, à la standardisation de ses doctrines, à l’unification de ses obédiences, à la codification de l’orthopraxie qu’ont favorisées l’alphabétisation et l’élévation du niveau d’éducation, le développement de l’écrit de masse grâce à la généralisation de l’imprimerie et à la commercialisation du papier industriel, l’extension du télégraphe, la révolution des transports, la mise en images du monde – autant de facteurs qui ont concouru à l’émergence du nationalisme et de l’État-nation au dire de leurs théoriciens classiques, et que les forces religieuses se sont appropriés sans vergogne pour répandre leur Bonne Parole[27].

En bref, l’abstraction de l’État a coïncidé avec l’abstraction du rapport à Dieu – et avec celles de la technique, de la science, du marché. L’institutionnalisation ecclésiale du bouddhisme, de l’hindouisme, de l’islam (et singulièrement du chiisme iranien), la montée en puissance en leur sein de la nouvelle catégorie des intellectuels religieux plus ou moins en concurrence avec les autorités religieuses établies, leur investissement des médias modernes et des nouvelles techniques de communication, la massification et la bureaucratisation des pèlerinages, la symbiose de ces processus avec celui de la formation de l’État-nation illustrent au mieux la complexité de ce dernier phénomène que l’utilitarisme des problématiques de sa construction stratégique ne peut restituer.

Il se trouve évidemment maintes exceptions ou nuances à l’idéaltype de l’État rationnel-légal, capitaliste, ethno-religieusement orienté. Certaines d’entre elles sont contre-intuitives, comme l’on dit maintenant. Les deux seuls pays qui ont récusé la définition ethno-religieuse de la citoyenneté dans les Balkans, après la chute des empires austro-hongrois et ottoman, ont été l’Albanie et la Bosnie-Herzégovine, toutes deux à majorité musulmane. La plupart des États subsahariens sont demeurés fidèles à la tradition de pluralisme et de « butinage religieux » de leur passé, et au legs colonial de la laïcité ou de la sécularisation, même si certains de leurs dirigeants s’efforcent eux aussi d’instrumentaliser les passions dévotionnelles. Dieu est le grand absent de leurs guerres, nonobstant les apparences du djihad. Ce qui n’a pas empêché d’autres processus d’épuration au gré de l’abstraction de l’État, notamment aux dépens des peuples de chasseurs-cueilleurs, adeptes du monde des esprits, étrangers aux monothéismes, et marginalisés ou exterminés.

Néanmoins, pour l’essentiel, l’État-nation domine non par la différence, mais par l’unité, et celle-ci a comme signifiant l’appartenance religieuse, comme signifié l’abstraction politique d’une certaine conception exclusive de la citoyenneté. L’empire tend à l’ambivalence, l’État-nation à la simplification ; l’empire prospère dans les « malentendus opératoires » (Marshall Sahlins), l’État-nation impose des alternatives ; l’empire goûte les vérités relatives et majestueuses, l’État-nation les vérités univoques et robustes. Peut-être est-ce ce dont notre monde est malade, autant que de la Covid-19.


[1] Jürgen Osterhammel, La Transformation du monde. Une histoire globale du XIXe siècle, Nouveau monde éditions, 2017, p. 178.

[2] Jane Burbank, Frederick Cooper, Empires. De la Chine ancienne à nos jours, Payot, 2011, p. 16.

[3] Béatrice Hibou, Mohamed Tozy, « Une lecture wébérienne de la trajectoire de l’Etat au Maroc », Sociétés politiques comparées, 37, septembre-décembre 2015, disponible ici
et Tisser le temps politique au Maroc. Imaginaire de l’Etat à l’âge néolibéral, Karthala, 2020.

[4] Jane Burbank, Frederick Cooper, Empires, op. cit., p. 23.

[5] Karen Barkey, Empire of Difference. The Ottomans in Comparative Perspective, Cambridge University Press, 2008, notamment p. 193 ; Daniel Goffman, The Ottoman Empire and Early Modern Europe, Cambridge University Press, 2002, pp. 91 et suiv.

[6] Reşat Kasaba, A Moveable Empire. Ottoman Nomads, Migrants & Refugees, University of Washington Press, 2009 ; Denis Retaillé, « Sahel, sahel », L’Information géographique, 82 (1), 2018, pp. 34-81.

[7] Jean-François Bayart, Romain Bertrand, « De quel ‘‘legs colonial’’ parle-t-on ? », Esprit, décembre 2006, pp. 134-160.

[8] Jane Burbank, Frederick Cooper, Empires, op. cit., p. 317.

[9] Serge Gruzinski, Les Quatre Parties du monde. Histoire d’une mondialisation, Editions de La Martinière, 2004.

[10] Béatrice Hibou, Mohamed Tozy, Tisser le temps politique au Maroc, op. cit., p. 230.

[11] Pieter M. Judson, « L’Autriche-Hongrie était-elle un empire ? », Annales HSS, 63 (3), mai-juin 2008, p. 585.

[12] Michael Mann, The Sources of Power, tome I : A History of Power from the Beginning to A. D. 1760, Cambridge University Press, 1986,  pp. 145 et suiv.

[13] Jane Burbank, Frederick Cooper, Empires, op. cit., p. 35.

[14] Yves Chevrier, « L’empire distendu : esquisse du politique en Chine des Qing à Deng Xiaoping » in Jean-François Bayart, dir., La Greffe de l’Etat. Les trajectoires du politique, 2, Karthala, 1996, pp. 263-395.

[15] Pour une distinction typologique commode entre l’empire et l’Etat-nation, voir Jürgen Osterhammel, La Transformation du monde, op. cit., pp. 581-583 ou Béatrice Hibou, Mohamed Tozy, Tisser le temps politique au Maroc, op. cit., pp. 118 et suiv.

[16] Ray M. Douglas, Les Expulsés, Flammarion, 2012, p. 102.

[17] Cité par Olivier Delorme, La Grèce et les Balkans. Du Ve siècle à nos jours, Gallimard, 2013, volume II, p. 865.

[18] Sanjay Subrahmanyam, Comment être un étranger. Goa-Ispahan-Venise. XVIe-XVIIIe siècle, alma, 2013, p. 137.

[19] François Georgeon, dir., « L’Ivresse de la liberté ». La révolution de 1908 dans l’Empire ottoman, Peeters, 2012.

[20] Carl E. Schorske, Vienne Fin de Siècle. Politique et culture, Le Seuil, 1983, chapitre 3, notamment pp. 171 et suiv.

[21] Denis Lacorne, De la religion en Amérique. Essai d’histoire politique, Gallimard, collection « Folio Essais », 2012, nouvelle édition augmentée, pp. 12 et suiv., pp. 106 et suiv.

[22] Ibid, p. 269.

[23] Ibid, pp. 319-320, souligné par l’auteur.

[24] Christopher A. Bayly, La Naissance du monde moderne (1780-1914), Les Editions de l’Atelier/Les Editions ouvrières, 2007, p. 469 et p. 550.

[25] Juliette Cadiot, Le Laboratoire impérial. Russie-URSS, 1860-1940, CNRS Editions, 2007, notamment p. 209.

[26] Christopher A. Bayly, La Naissance du monde moderne, op. cit., chapitre IX.

[27] Voir, par exemple, pour le catholicisme français, Michel Lagrée, La Bénédiction de Prométhée. Religion et technologie, XIXe-XXe siècle, Fayard, 1999, et Religion et cultures en Bretagne : 1850-1950, Fayard, 1992, ainsi que Nadine Picaudou, L’Islam entre religion et idéologie. Essai sur la modernité musulmane, Gallimard, 2010, et Cemil Aydin, The Idea of the Muslim World. A Global Intellectual History, Harvard University Press, 2017, pp. 69 et suiv.

Jean-François Bayart

Politiste, Professeur à l'IHEID de Genève titulaire de la chaire Yves Oltramare "Religion et politique dans le monde contemporain"

Mots-clés

Laïcité

Notes

[1] Jürgen Osterhammel, La Transformation du monde. Une histoire globale du XIXe siècle, Nouveau monde éditions, 2017, p. 178.

[2] Jane Burbank, Frederick Cooper, Empires. De la Chine ancienne à nos jours, Payot, 2011, p. 16.

[3] Béatrice Hibou, Mohamed Tozy, « Une lecture wébérienne de la trajectoire de l’Etat au Maroc », Sociétés politiques comparées, 37, septembre-décembre 2015, disponible ici
et Tisser le temps politique au Maroc. Imaginaire de l’Etat à l’âge néolibéral, Karthala, 2020.

[4] Jane Burbank, Frederick Cooper, Empires, op. cit., p. 23.

[5] Karen Barkey, Empire of Difference. The Ottomans in Comparative Perspective, Cambridge University Press, 2008, notamment p. 193 ; Daniel Goffman, The Ottoman Empire and Early Modern Europe, Cambridge University Press, 2002, pp. 91 et suiv.

[6] Reşat Kasaba, A Moveable Empire. Ottoman Nomads, Migrants & Refugees, University of Washington Press, 2009 ; Denis Retaillé, « Sahel, sahel », L’Information géographique, 82 (1), 2018, pp. 34-81.

[7] Jean-François Bayart, Romain Bertrand, « De quel ‘‘legs colonial’’ parle-t-on ? », Esprit, décembre 2006, pp. 134-160.

[8] Jane Burbank, Frederick Cooper, Empires, op. cit., p. 317.

[9] Serge Gruzinski, Les Quatre Parties du monde. Histoire d’une mondialisation, Editions de La Martinière, 2004.

[10] Béatrice Hibou, Mohamed Tozy, Tisser le temps politique au Maroc, op. cit., p. 230.

[11] Pieter M. Judson, « L’Autriche-Hongrie était-elle un empire ? », Annales HSS, 63 (3), mai-juin 2008, p. 585.

[12] Michael Mann, The Sources of Power, tome I : A History of Power from the Beginning to A. D. 1760, Cambridge University Press, 1986,  pp. 145 et suiv.

[13] Jane Burbank, Frederick Cooper, Empires, op. cit., p. 35.

[14] Yves Chevrier, « L’empire distendu : esquisse du politique en Chine des Qing à Deng Xiaoping » in Jean-François Bayart, dir., La Greffe de l’Etat. Les trajectoires du politique, 2, Karthala, 1996, pp. 263-395.

[15] Pour une distinction typologique commode entre l’empire et l’Etat-nation, voir Jürgen Osterhammel, La Transformation du monde, op. cit., pp. 581-583 ou Béatrice Hibou, Mohamed Tozy, Tisser le temps politique au Maroc, op. cit., pp. 118 et suiv.

[16] Ray M. Douglas, Les Expulsés, Flammarion, 2012, p. 102.

[17] Cité par Olivier Delorme, La Grèce et les Balkans. Du Ve siècle à nos jours, Gallimard, 2013, volume II, p. 865.

[18] Sanjay Subrahmanyam, Comment être un étranger. Goa-Ispahan-Venise. XVIe-XVIIIe siècle, alma, 2013, p. 137.

[19] François Georgeon, dir., « L’Ivresse de la liberté ». La révolution de 1908 dans l’Empire ottoman, Peeters, 2012.

[20] Carl E. Schorske, Vienne Fin de Siècle. Politique et culture, Le Seuil, 1983, chapitre 3, notamment pp. 171 et suiv.

[21] Denis Lacorne, De la religion en Amérique. Essai d’histoire politique, Gallimard, collection « Folio Essais », 2012, nouvelle édition augmentée, pp. 12 et suiv., pp. 106 et suiv.

[22] Ibid, p. 269.

[23] Ibid, pp. 319-320, souligné par l’auteur.

[24] Christopher A. Bayly, La Naissance du monde moderne (1780-1914), Les Editions de l’Atelier/Les Editions ouvrières, 2007, p. 469 et p. 550.

[25] Juliette Cadiot, Le Laboratoire impérial. Russie-URSS, 1860-1940, CNRS Editions, 2007, notamment p. 209.

[26] Christopher A. Bayly, La Naissance du monde moderne, op. cit., chapitre IX.

[27] Voir, par exemple, pour le catholicisme français, Michel Lagrée, La Bénédiction de Prométhée. Religion et technologie, XIXe-XXe siècle, Fayard, 1999, et Religion et cultures en Bretagne : 1850-1950, Fayard, 1992, ainsi que Nadine Picaudou, L’Islam entre religion et idéologie. Essai sur la modernité musulmane, Gallimard, 2010, et Cemil Aydin, The Idea of the Muslim World. A Global Intellectual History, Harvard University Press, 2017, pp. 69 et suiv.