Intelligence spatiale : comprendre un monde social en mouvement
La connaissance progresse par l’indiscipline. Les « disciplines » ne font pas la force des sciences sociales, mais au contraire les empêchent d’avancer dans des univers où on ne rencontre que des « faits sociaux totaux ». Inévitablement, l’institution académique constitue un frein à l’innovation, mais c’est spécialement vrai en France avec le Conseil national des universités et ses 87 sections, dont 31 pour les sciences du social, quasiment étanches les unes aux autres.
Cela traduit et induit les tendances lourdes à l’« impérialisme » économiciste ou historiciste (pour n’évoquer que les plus puissants), sans parler de la prétention nostalgique de certains courants de la philosophie à disposer… du monopole de la pensée. À chaque fois, le discours est le même : ma discipline est centrale et toutes les autres sont des « sciences auxiliaires », c’est-à-dire ancillaires.
Pourtant, les innovations procèdent généralement des marges et ont pour effet et même pour mission de remettre en question les découpages épistémologiques préexistants. Ces pavillons disciplinaires où on inflige en permanence à l’intellect des séances de torture engendrent un communautarisme qui légitime une cécité réciproque entre chercheurs de différents domaines et exige de l’État tutélaire toujours davantage de privilèges qui indurent encore ces frontières. Le disciplinarisme est une expression du corporatisme d’État, lui aussi typiquement français.
Je plaide avec d’autres pour une science unifiée des mondes humains[1], parcourue de mouvements en tous sens. Cette unité systémique de la science du social implique un effort de traduction permanent : par exemple, que nous dit la notion économique de croissance du concept plus englobant de développement ? Pas tout, pas rien, mais quoi exactement ? Ou : lorsque nous voyons se transformer rapidement le paysage politique en Europe, où le clivage gauche/droite traditionnel s’efface devant de nouveaux plans de conflictualité entre progressistes et