Société

Johnny, les Français et l’héritage : Que je t’aime…

Politiste

L’héritage de Johnny Hallyday a fait l’objet d’une vive dispute juridique au sein de sa famille. Trois ans presque jour pour jour après le décès de la rockstar, il serait dommage de ne pas saisir l’occasion de cet anniversaire pour interroger la manière dont nos sociétés organisent la transmission de la richesse entre les générations. Car la liberté de léguer, d’hériter et de donner entre en conflit manifeste avec les valeurs clés de la modernité que sont l’idéal méritocratique et l’idéal égalitariste tout en étant en contradiction avec la défense de la propriété privée qui fait du travail son fondement légitime. Pour autant, s’agit-il alors de simplement les abolir ou bien est-il possible de repenser ces institutions pour les rendre davantage compatibles avec ces idéaux modernes ?

En rédigeant la dizaine de lignes qui constituent son testament, l’icône du rock français n’imaginait sans doute pas inaugurer une dispute juridique au sein de sa famille qui dura près de deux ans et demi et se solda grâce à l’intervention du fisc. Pour faire bref, cette dispute opposa la veuve du chanteur Laeticia, à qui il léguait l’essentiel de ses biens dans son testament américain, à ses deux premiers enfants issus de son mariage avec Sylvie Vartan puis de sa relation avec Nathalie Baye, David Hallyday et Laura Smet.

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Bien que n’ayant pas été nommément désignés comme bénéficiaires dudit testament, ces derniers réclamèrent leur part de la fortune de leur père en se prévalant du droit français qui interdit de déshériter totalement ses enfants, ce qu’aurait fait Johnny en léguant son patrimoine à Laeticia et aux deux filles qu’il a eues avec elle. Après de longs mois de procédure et différentes décisions juridiques contestées, c’est finalement le fisc français qui a poussé les parties à s’entendre en rappelant opportunément que l’héritage de Johnny incluait également des dettes fiscales (pour un peu plus de 30 millions d’euros tout de même).

Un accord a donc été trouvé le 3 juillet 2020 entre les deux camps que tout opposait. Laura Smet reconnaît le testament américain contre un chèque de 2,6 millions d’euros, David Hallyday se désiste, tandis que Laeticia conserve le patrimoine immobilier (estimé entre 28 et 34 millions d’euros) et se charge de régler la note au fisc (et de la contester). Trois ans presque jour pour jour après le décès de la rockstar, il serait dommage de ne pas saisir l’occasion de cet anniversaire pour interroger la manière dont nos sociétés organisent la transmission de la richesse entre les générations, et ce pour au moins deux raisons.

En premier lieu, cette dispute juridique permet de distinguer très clairement les trois principaux modes de transfert non marchand en vigueur dans nos sociétés – l’héritage, le legs et le don – et d


[1] Sur ce point, faisons tout de même remarquer qu’il serait difficile de défendre le droit de la veuve sur la fortune du mari en tant qu’il s’agirait d’une rémunération a posteriori d’un travail invisible mais indispensable qu’elle aurait fourni au long des années passées à soutenir le pourvoyeur de fonds du ménage. Il ne s’agit nullement de nier l’existence de ce travail féminin non rémunéré, mais de souligner que reconnaitre un droit d’hériter ne constitue certainement pas la solution au problème. Un argument qui irait en ce sens se heurterait à de nombreuses difficultés, dont la première réside dans le fait qu’il s’agirait alors d’accepter que ce travail ne soit rémunéré qu’après le décès du mari (et qu’à fortiori, en cas de décès de l’épouse avant son mari, ce travail ne soit pas rémunéré du tout – en dehors de la subsistance et des privilèges gracieusement offerts). Il est d’autant plus compliqué de défendre un tel argument que dans le cas de la veuve de Johny Hallyday, celle-ci n’arrive dans la vie du chanteur qu’une fois sa renommée déjà faite, et que le travail invisible dont il est ici question est selon toute vraisemblance essentiellement un soutien psychologique et affectif plutôt que ménager à proprement parler.

[2] Dans les faits, les différents abattements et exonérations possibles réduisent considérablement le taux effectif moyen de taxation des dons et héritages. Malgré des taux théoriques bien plus hauts, le taux moyen oscille autour de 5% pour ces deux dernières décennies. À ce propos, voir : Clément Dherbécourt, Peut-on éviter une société d’héritiers?, France Stratégie, La note d’analyse, n°51, 2017, p. 7.

[3] Ce dont témoigne également l’enquête citée ci-avant en soulignant que les répondants souhaitent avant tout épargner les revenus du travail (2.3).

[4] John Locke, Le Second Traité Du Gouvernement, trad. Jean-Fabien Spitz, Presses universitaires de France, 1994, 22, §II.27.

[5] John Stuart Mill n’hésitera par exemple pas à faire de ce droit

Éric Fabri

Politiste, Enseignant à l'Université libre de Bruxelles

Notes

[1] Sur ce point, faisons tout de même remarquer qu’il serait difficile de défendre le droit de la veuve sur la fortune du mari en tant qu’il s’agirait d’une rémunération a posteriori d’un travail invisible mais indispensable qu’elle aurait fourni au long des années passées à soutenir le pourvoyeur de fonds du ménage. Il ne s’agit nullement de nier l’existence de ce travail féminin non rémunéré, mais de souligner que reconnaitre un droit d’hériter ne constitue certainement pas la solution au problème. Un argument qui irait en ce sens se heurterait à de nombreuses difficultés, dont la première réside dans le fait qu’il s’agirait alors d’accepter que ce travail ne soit rémunéré qu’après le décès du mari (et qu’à fortiori, en cas de décès de l’épouse avant son mari, ce travail ne soit pas rémunéré du tout – en dehors de la subsistance et des privilèges gracieusement offerts). Il est d’autant plus compliqué de défendre un tel argument que dans le cas de la veuve de Johny Hallyday, celle-ci n’arrive dans la vie du chanteur qu’une fois sa renommée déjà faite, et que le travail invisible dont il est ici question est selon toute vraisemblance essentiellement un soutien psychologique et affectif plutôt que ménager à proprement parler.

[2] Dans les faits, les différents abattements et exonérations possibles réduisent considérablement le taux effectif moyen de taxation des dons et héritages. Malgré des taux théoriques bien plus hauts, le taux moyen oscille autour de 5% pour ces deux dernières décennies. À ce propos, voir : Clément Dherbécourt, Peut-on éviter une société d’héritiers?, France Stratégie, La note d’analyse, n°51, 2017, p. 7.

[3] Ce dont témoigne également l’enquête citée ci-avant en soulignant que les répondants souhaitent avant tout épargner les revenus du travail (2.3).

[4] John Locke, Le Second Traité Du Gouvernement, trad. Jean-Fabien Spitz, Presses universitaires de France, 1994, 22, §II.27.

[5] John Stuart Mill n’hésitera par exemple pas à faire de ce droit