Santé

Covid-19, l’éternel retard du gouvernement sur le virus

Philosophe et historien des sciences

La thématique du retard s’est installée, et se focalise ces jours-ci sur la campagne française de vaccination. Mais l’année 2020 nous aura au moins appris une chose : quoi qu’on fasse, le virus a toujours une longueur d’avance sur les mesures sanitaires. Depuis maintenant dix mois, on rejoue le même scénario : le confinement rattrape le retard de la contagion, alors même que l’épidémie ne cesse de progresser à bas bruit. L’écart à rattraper est de plus en plus petit sans jamais se réduire à rien.

La crise sanitaire de Covid-19 ressemble étrangement à l’histoire d’Achille et la Tortue inventée par Zénon d’Élée, il y a environ 2 500 ans de cela. Elle peut s’énoncer de la manière suivante : Achille, confiant de sa supériorité d’athlète, propose une course à la Tortue en lui laissant 100 mètres d’avance. Plus véloce que la Tortue, Achille parcourt les 100 mètres en un rien de temps. La Tortue a, quant à elle, avancé d’une petite distance, disons 1 mètre. Aussi Achille doit rattraper cette distance. Mais, le temps de rattraper cet écart, la Tortue aura elle aussi avancé. Achille devra encore une fois rattraper cette distance alors que la Tortue progressera de nouveau et ce ad infinitum. Au bout du compte, Achille ne rattrapera jamais la Tortue. Selon Zénon, aussi infime que soit l’écart, la Tortue reste toujours en avance sur le pauvre Achille déconcerté.

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Si on remplace Achille par le gouvernement et la Tortue par le virus, ce paradoxe antique éclaire une situation présente : aussi minimal soit-il, l’écart qui nous sépare de la maîtrise de l’épidémie persiste. En effet, alors même que la reproduction du virus était devenue si faible début décembre, avec un R0 à 0,56, pourquoi le maintien de ce R0 en dessous de 1 pendant plusieurs semaines n’a-t-il pas suffit à planifier une sortie de crise pérenne ? Alors qu’on pouvait espérer voir l’épidémie converger vers 0, cet idéal s’est envolé. Le R0 est de nouveau supérieur à 1. L’épidémie repart de plus belle. Sans doute, les obstacles épistémologiques alliés aux contraintes organisationnelles et aux fêtes de fin d’année ont compliqué une sortie de crise en bonne et due forme.

Il faut dire que face à la Covid-19, nous sommes plus proches de la statue de Condillac que du démon de Laplace. Le manque de données réduit notre vision à un échantillonnage passé et partiel de l’épidémie, qu’on associe, tant bien que mal, aux conjectures politiques et sociales. De sorte que la Covid-19, telle la Tortue, nous devance san


[1] Emile Borel, Le hasard, Paris, PUF, 1948, p. 82.

[2] Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Éditions de Minuit, 1990, p. 245-246.

Mathieu Corteel

Philosophe et historien des sciences, Chercheur associé à Sciences Po et à Harvard

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Notes

[1] Emile Borel, Le hasard, Paris, PUF, 1948, p. 82.

[2] Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Éditions de Minuit, 1990, p. 245-246.