Politique

L’imagination, notre Commune (2/2)

Philosophe, historien de l'art

En musique, donner le ton c’est faire entendre la note qui va définir ensuite la tonalité d’une œuvre. C’est un commencement ou un recommencement, c’est l’expression d’un désir, d’une liberté qui ouvre des possibles. Or le ton, terme polysémique, peut aussi désigner une couleur en peinture. Qu’est-ce à dire ? Que ce qui est affaire de liberté – la liberté de commencer –, donc d’éthique et de politique, est tout autant affaire de sensibilité, c’est-à-dire d’esthétique. Mais aussi, plus fondamentalement, affaire d’imagination. Dernier volet d’une série de deux articles.

Donner le ton c’est, en musique, faire entendre la note – résultat d’un tonos, c’est-à-dire d’une tension spécifique sur la corde de l’instrument – qui va, par la suite, engager toute la tonalité d’une œuvre. L’expression convient très bien à Kant, non seulement parce qu’après lui la philosophie tout entière a bien changé de ton et de tonalité, mais encore parce que sa pensée même fut une pensée du commencement ou du recommencement.

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Le ton de l’histoire sera donc « temps du commencement », comme le développe Françoise Proust en insistant – ce qu’Ernst Bloch, en particulier, avait déjà fait – sur la notion cruciale de possibilité : « […] ce qui commence, c’est le pur pouvoir de commencer qui s’expérimente à même son exercice, qui s’éprouve comme pouvoir [je dirai plutôt, après Deleuze : comme puissance], comme le pouvoir (Vermögen), comme l’expérience d’un possible (möglich), comme l’expérience de la liberté. » La force de commencer est la puissance d’oser – « Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » –, la puissance de penser, de résister à tout ce qui nous prive de liberté.

Françoise Proust évoque donc ce commencement à travers l’idée du « ton de l’histoire » en tant que possibilité ouverte au temps d’être toujours « maintenant », soit de se dresser comme présent maintenu, donc résistant. En ce sens, il apparaît comme un temps soulevé : « Pur signe de l’arrivée du temps, [le commencement] fracture le temps en son milieu, non pas pour en faire un nouveau lieu, mais pour, à chaque fois, en chaque lieu, ouvrir la possibilité de l’arrivée du temps. […] Passé, présent ou à venir, [il] est toujours maintenant. C’est, c’était, ce sera maintenant. C’est (c’était, ce sera) le temps ou jamais, c’est le temps de venir, d’arriver et de commencer. » Voilà qui semble, de façon frappante, correspondre au temps énoncé par Rosa Luxemburg : « J’étais, je suis, je serai… »

S’il y a un « sublime historique » aux yeux de Kant, celui-ci se résume


Georges Didi-Huberman

Philosophe, historien de l'art, Directeur d'études de l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS)

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