Politique

De Verdun à Vichy, de héros à traîtres – évolution politique des anciens combattants

Économiste, Economiste, Economiste, Economiste

Le 6 janvier dernier, des militants pro-Trump envahissaient le Capitole. Un événement qui fait écho aux émeutes devant la Chambre des députés à Paris, le 6 février 1934. Des milliers de partisans de la droite défilent alors contre la République et contre la gauche, amalgamée avec le communisme, déclenchant une « guerre civile » qui affaiblit le pays. Tant et si bien que, six ans plus tard, l’une des plus anciennes démocraties au monde mourrait. En effet, le maréchal Philippe Pétain, élu à la tête d’un pouvoir autoritaire, collabore avec l’Allemagne nazie. Et pour ce faire, il s’appuie notamment sur des réseaux d’anciens combattants de la première guerre mondiale, qui lui sont dévoués corps et âme.

Des milliers de partisans de la droite marchent en direction de la Chambre des députés. Ils défilent sous différentes bannières, dont celles d’organisations d’extrême droite ouvertement racistes. Certains manifestants prêtent foi aux rumeurs colportées par la presse de droite évoquant une conspiration de l’État profond, d’autres entendent procéder à une démonstration de force qui affaiblira ou renversera le gouvernement de gauche, porté au pouvoir par une faible majorité et que d’aucuns jugent communistes. D’autres encore manifestent contre les Juifs. Le véritable risque d’escalade de la manifestation, néanmoins, est dû à la présence de groupes très organisés d’anciens combattants dans ses rangs.

publicité

Parmi ces anciens combattants figurent des héros décorés qui ont beaucoup donné au service de leurs pays. Mais que devient leur engagement envers les valeurs et les processus démocratiques, dans un contexte où leur camp a perdu les élections ?

Un parallèle évident peut être établi avec les événements survenus à Washington le 6 janvier 2021. Cependant, le 6 février 1934, la réaction de la police française à l’émeute devant le siège de la Chambre des députés fut plus violente que celle de la police du Capitole des États-Unis et, selon certains, témoignait de son sentiment de panique. La police ouvrit le feu, tuant 14 manifestants et en blessant 236. La gauche vit dans les événements une tentative de coup d’État, la droite dénonça l’oppression gouvernementale qui avait fait de ses partisans des martyrs de la liberté.

Débuta alors en France une « guerre civile » qui affaiblirait considérablement la capacité du pays à répondre aux crises à venir. Tant et si bien que, six ans plus tard, l’une des plus anciennes démocraties au monde se donnerait la mort, ses représentants votant pour céder leur pouvoir à une dictature dirigée par le maréchal Philippe Pétain. Traité en héros pour avoir sauvé la France lors de la cruciale bataille de Verdun durant la première guerre mondiale, Pétain dirigerait le régime autoritaire et raciste de Vichy, qui collaborerait avec l’Allemagne nazie jusqu’à la libération de la France en 1944.

La cuisante défaite militaire de la France en 1940 n’expliquait pas tout. Elle n’était sans doute qu’un symptôme supplémentaire d’un processus sous-jacent qui avait conduit à une érosion des valeurs démocratiques. À l’inverse d’autres États démocratiques tombés face aux nazis cette année-là, les représentants élus de la France renoncèrent à établir un gouvernement légitime en exil. Nombre d’entre eux semblaient plutôt convaincus que l’abandon de la démocratie représentait le prix à payer pour ouvrir la voie au « renouveau national » de la France.

Des travaux récents montrent comment l’échec de jeunes démocraties, notamment l’Allemagne des années 1930, survient souvent lorsque des gardiens institutionnels permettent à d’aspirants despotes d’accéder légalement au pouvoir à la faveur d’un opportunisme à court terme (voir par exemple l’ouvrage de Levitsky et Ziblatt, How Democracies Die). Les démocraties tendent néanmoins à gagner en résilience avec le temps. Pour certains chercheurs, la diffusion des valeurs démocratiques parmi les citoyens joue un rôle essentiel dans cette résilience. On en sait beaucoup moins, en revanche, sur la façon dont s’érode le soutien aux valeurs démocratiques, y compris au sein de démocraties auparavant solides.

Ce que nous montrons dans nos travaux, c’est que pour préserver les valeurs démocratiques et réduire la polarisation politique, il est nécessaire de comprendre l’importance de l’ancrage au sein des réseaux sociaux et économiques d’individus susceptibles d’exercer une influence politique. Au cours de l’histoire, l’héroïsme collectif offre un contexte propice à l’émergence de tels réseaux.

Notre article de recherche, « De Verdun à Vichy, de héros à traîtres », s’appuie sur une « expérience naturelle », c’est-à-dire sur un choc historique nous permettant d’estimer l’effet causal d’un « héros » et la façon dont l’exposition à un tel héros a servi de fondement à un réseau d’individus dotés d’influence politique en France, un réseau de héros de guerre né de la rotation rapide (la fameuse noria) des régiments français sous le commandement direct de Philippe Pétain lors de la bataille de Verdun en 1916. Nous combinons cette expérience historique avec la construction et l’étude d’une base de données unique et récemment déclassifiée recensant plus de 95 314 Collaborateurs au cours de la seconde guerre mondiale, base constituée par le renseignement militaire de la France libre à la fin de la guerre[1].

Un réseau « exogène » de héros : la rotation des régiments lors de la bataille de Verdun

Verdun, baptisée la « Stalingrad » de la première guerre mondiale, devint le symbole de la force morale et de la détermination à résister de la France. Au total, 305 440 soldats furent tués, soit pratiquement un mort par minute au cours des dix mois de ce qui s’avéra la plus longue bataille de l’histoire[2]. La signification profonde de la simple phrase « J’ai fait Verdun », largement adoptée parmi ses anciens combattants, était comprise dans tout le pays.

L’offensive surprise de l’armée allemande à Verdun prend la France complètement au dépourvu, et entraîne le renvoi de quatre généraux en cinq jours. À la suite d’une décision prise « sur un coup de tête », le commandement est confié à Philippe Pétain (Alistair Horne, The Price of Glory : Verdun 1916, p. 129). Au début de la première guerre mondiale, Pétain, simple colonel alors âgé de 58 ans, s’apprête à prendre sa retraite après une carrière sans éclat. Il est affecté à Verdun du seul fait de sa disponibilité. Affecté à la tête d’une rotation arbitraire de régiments provenant de tout le pays, Pétain renforce la logistique et stabilise le front avant d’être promu et remplacé en mai 1916[3]. Lorsque la bataille prend fin en décembre, au moins un régiment ayant combattu à Verdun a été rattaché à 88,7 % des 34 947 municipalités françaises, et 50,1 % de ces régiments ont servi sous le commandement direct de Pétain. Déjà salué comme le héros de Verdun, ce dernier sera plus tard nommé maréchal de France.

Soutien aux partis d’extrême droite et à la collaboration avec les nazis

Pétain est à nouveau appelé à la rescousse lors de la seconde guerre mondiale, cette fois pour diriger la France après sa cuisante défaite face à l’Allemagne. Le 10 juillet 1940, l’Assemblée nationale donne au Conseil des ministres l’autorité d’établir une nouvelle constitution. Pétain est bientôt investi des pleins pouvoirs en tant que chef de l’État désigné. Aussitôt arrivé au pouvoir, le régime de Pétain s’emploie sans tarder à démanteler les institutions libérales et adopte une ligne autoritaire. En octobre 1940, la collaboration de Pétain devient manifeste lorsqu’une photo le montrant en train de serrer la main à Hitler est largement diffusée. Le régime épouse alors rapidement un programme d’extrême droite raciste, dont le caractère répressif s’accentue à partir de novembre 1942 : la France tout entière se trouve alors sous occupation militaire allemande, et le régime de Vichy donne à la Milice le mandat de débusquer et de tuer les membres de la Résistance française.

La première carte représente la répartition des Collaborateurs recensés dans le fichier déclassifié d’après leur municipalité de résidence en 1945, superposée à l’expérience de leurs régiments lors de la première guerre mondiale. S’il existe d’importants écarts régionaux en ce qui a trait à la proportion de Collaborateurs, celle-ci s’avère nettement supérieure dans les municipalités où résident d’anciens combattants ayant servi à Verdun sous Pétain. En utilisant les outils de l’analyse quantitative en économique (régressions économétriques), nous montrons que les municipalités où vivent des soldats qui ont servi à Verdun sous Pétain affichent des taux de collaboration 6,9 % supérieurs à ceux de municipalités du même département par ailleurs semblables.

Cette collaboration revêt des formes diverses, de l’adhésion à des organisations d’extrême droite et d’une collaboration économique active à la participation aux milices paramilitaires de Vichy engagées dans la chasse aux Juifs et à la Résistance, voire à la Waffen SS envoyée sur le front de l’Est en 1944, alors qu’il était déjà clair que les nazis perdraient la guerre. Les municipalités peuplées de soldats ayant servi à Verdun sous Pétain se révélaient du reste 8 % moins susceptibles d’abriter des membres civils de la Résistance française[4].

Pourquoi certains des plus grands héros de la France sont-ils devenus ses personnages les plus décriés ? À l’aide de nouvelles données électorales, nous montrons que ces actes extrêmes tirent leur origine de positions politiques marquées apparues au lendemain de la première guerre mondiale, et qu’ils reflètent les propres opinions de Pétain, un anticommuniste notoire de plus en plus porté vers l’autoritarisme. Ses discours, d’abord centrés sur les groupes d’anciens combattants, adoptèrent un ton plus ouvertement politique à la veille de l’élection de 1936.

Nous montrons que les municipalités dont les régiments servirent à Verdun sous Pétain, bien qu’affichant une couleur politique comparable aux autres municipalités en 1914, commencèrent par voter contre les communistes à l’élection de 1924, puis votèrent de façon croissante pour la droite (et plus tard l’extrême droite), en particulier lors de l’élection de 1936 (cf. cartes). Ce virage accentua la forte polarisation qui contribua à affaiblir la France à l’approche du second conflit mondial.

Fait notable, on note avec le temps des différences croissantes dans le vote pour la droite (et plus tard pour la collaboration avec les nazis) selon que les municipalités abritent des troupes ayant servi à Verdun sous Pétain, sous le commandement de Pétain avant la bataille ou à Verdun après la promotion de Pétain. Ces tendances s’accordent avec la notion de complémentarité, appliquée ici à l’influence politique au sein du réseau : l’influence politique des états de service héroïques de Pétain s’avère plus forte lorsqu’elle est légitimée et diffusée parmi le réseau des soldats qui ont servi sous ses ordres à Verdun, et ces derniers deviennent en retour d’autant plus influents que leur leader est perçu comme un héros.

La présence de complémentarités contribue à expliquer non seulement le fait que les héros de Verdun aient accepté l’effondrement de la République pour laquelle ils s’étaient battus, mais aussi que certains d’entre eux soient devenus les plus fervents partisans des nazis au fil du temps. Si d’autres titulaires d’états de service héroïques venaient à être considérés comme des traîtres, chaque héros verrait décroître la valeur de ses propres états de service et de son identité héroïque. En particulier s’il s’agissait de la figure la plus célèbre du réseau, Pétain lui-même. Par conséquent, les héros de Verdun étaient incités à soutenir leur leader : se retourner contre lui leur aurait été plus préjudiciable qu’à d’autres, dépourvus d’une identité de groupe commune. Ils étaient en outre davantage incités à participer à des organisations et à d’autres mécanismes destinés à réaffirmer la valeur de leurs états de service héroïques et à consolider le réseau en général. Et plus les individus investissent dans le réseau, plus il devient préjudiciable de quitter celui-ci.

Ces mécanismes incitatifs peuvent expliquer pourquoi les municipalités d’origine des héros de Verdun ont continué à soutenir Pétain alors même que la défaite des nazis ne faisait plus guère de doute. Ils peuvent également expliquer la persistance de ces préférences et de ces identités en France après la chute du régime collaborationniste, l’interdiction des parties d’extrême droite et le verdict de haute trahison rendu à l’encontre de Pétain[5]. Comme nous l’illustrons, les municipalités de résidence des soldats ayant servi à Verdun sous Pétain affichent une hausse moyenne constante de 6,8 % du vote à droite aux élections, et ce, du lendemain de la seconde guerre mondiale à la fin de la guerre froide[6]. Ces effets tendent à s’accentuer lors des principales crises politiques survenues en France dans l’après-guerre : la guerre d’Algérie en 1958, les mouvements sociaux de 1967-1968 et l’élection de 1981.

Conclusion

Dans un autre pays, à une autre époque, mobilisée par des allégations de fraude à propos d’une autre élection, une autre foule armée se rassemble devant un autre capitole. Craignant que les hommes sous ses ordres soient eux-mêmes politisés, le commandant de la milice, seul et désarmé, monte les marches pour s’adresser à la foule. « Messieurs, j’entends dire que vous voulez me tuer », commence-t-il.

« Voilà qui n’a rien de nouveau pour moi. J’ai couru le risque d’être tué à maintes occasions, alors que je ne le méritais pas davantage qu’aujourd’hui. Certains d’entre vous, je crois, se trouvaient à mes côtés en ce temps-là […] Je suis ici pour préserver la paix et l’honneur de cet État, jusqu’à ce que soit établi le gouvernement légitime – peu importe lequel, ce n’est pas à moi d’en décider. Il est de mon devoir, cependant, de faire respecter les lois de cet État, non par la fraude ni la force, mais avec un esprit lucide et d’honnêtes intentions. Il s’agit de mon devoir, et j’entends l’accomplir. Si quiconque y voit une raison de me tuer, me voici. Qu’il me tue ! » (John J. Pullen, Joshua Chamberlain : A Hero’s Life and Legacy)

Le commandant qui offre ainsi son torse à la foule rassemblée devant le capitole de l’État du Maine en 1880 est Joshua Chamberlain, qui commandait le 20e régiment d’infanterie du Maine lorsque celui-ci a défendu la ligne défensive de l’Armée de l’Union à Little Round Top, lors de la bataille de Gettysburg. Dans un moment digne d’Hollywood, un ancien combattant jaillit alors de la foule et s’exclama : « Je jure devant Dieu, cher général, que je tuerai sur-le-champ le premier homme qui osera poser la main sur vous. » La foule se disperse aussitôt (John J. Pullen)[7].

Il n’est pas surprenant que les héros, qui ont démontré au prix de grands sacrifices qu’ils étaient prêts à renoncer à leur propre bien-être au nom de leur pays dans le cadre de la guerre ou de la désobéissance civile non violente, soient appelés à représenter le peuple en politique et inspirent confiance lorsqu’ils adoptent une position politique[8]. Cette source de légitimité peut être utilisée pour influencer l’opinion et renforcer la démocratie. Les héros reconnus pour leurs actes de bravoure peuvent œuvrer plus facilement pour la paix[9]. Intégrés à des réseaux de pairs dotés de cette identité commune, ils peuvent former de puissants groupes d’individus engagés et organisés sur le plan politique, et s’épauler mutuellement dans la promotion de valeurs démocratiques et de comportements pro-social[10].

Toutefois, ceux dont le patriotisme ne saurait être mis en doute pourraient aussi tirer parti de leurs états de service pour élargir la « fenêtre d’Overton » et légitimer des opinions autrement proscrites et inacceptables dans le cadre du débat public. Comme l’illustre l’expérience de la France, de tels réseaux prêtent le flanc à la manipulation et à l’apparition de mécanismes incitatifs qui consolident les positions extrêmes au fil du temps et exposent les membres du réseau qui se ravisent à des sanctions et à des pressions de la part d’autres membres. Il est ainsi plus difficile de faire machine arrière comme certains ont tenté de le faire dans les jours qui ont suivi l’attaque du Capitole. L’histoire nous enseigne qu’il est possible de mettre à profit la légitimité des réseaux de héros. Leur force peut se révéler destructrice. Mais ils peuvent également promouvoir les valeurs démocratiques et la paix.

NDA : Une première version de ce texte a été écrite en anglais et publiée sur le site Voxeu.org. Nous remercions Julien Besse pour sa traduction.


[1] D’importants éléments du fichier sont résumés dans Les 100 000 collabos : le fichier interdit de la collaboration française de Dominique Lormier (Cherche Midi, 2017). Le fichier, bien que déclassifié, n’a pas été rendu public. Nous remercions donc Dominique Lormier de nous avoir permis de consulter les documents originaux.

[2] Ces chiffres peuvent être comparés aux 405 399 pertes militaires subies par les États-Unis au cours de la seconde guerre mondiale, et aux 22 654 soldats des deux camps tués lors de la bataille la plus sanglante de l’histoire des États-Unis, Antietam.

[3] L’interchangeabilité des régiments de ligne était une caractéristique commune d’autres armées, dont l’armée britannique (voir Jha et Wilkinson, « Does Combat Experience Foster Organizational Skill ? Evidence from Ethnic Cleansing during the Partition of South Asia », American Political Science Review, vol. 106, no 4, 2012, p. 883-907).

[4] Voir notre article complémentaire, Julia Cagé, Pauline Grosjean et Saumitra Jha, « Army of Shadows: Organizing Resistance in World War II France », Document de travail, 2020.

[5] Le bras droit de Pétain, Pierre Laval, fut exécuté, de même qu’un certain nombre de hauts fonctionnaires du régime de Vichy. De Gaulle, qui avait servi sous Pétain lors de la première guerre mondiale, commua la condamnation à mort de Pétain en peine de prison à perpétuité en reconnaissance de ses contributions militaires au cours de cette guerre. En 1951, le décès de Pétain en prison déclencha des manifestations dans la plupart des villes françaises à l’appel des anciens combattants de Verdun (Charles Williams, Pétain : How the Hero of France Became a Convicted Traitor and Changed the Course of History, p. 271). À propos de la façon dont les complémentarités peuvent susciter un élan et une continuité en matière d’adoption et d’organisation technologiques, voir cet article de Paul Milgrom, Yingyi Qian et John Roberts ; en ce qui a trait aux institutions politiques et sociales celui de Saumitra Jha.

[6] Voir cet article de Julia Cagé et celui de Yasmine Bekkouche et Julia Cagé pour des détails concernant les données électorales de l’après-guerre.

[7] À propos des effets du commandement sur la cohésion des unités au cours de la guerre de Sécession, notamment le commandement de Chamberlain, voir également cet article de Christian Dippel et Andreas Ferrara 2020.

[8] À propos du rôle de la sanction des actions non violentes en guise de mécanisme de sélection des dirigeants politiques, voir cet article de Rikhil Bhavnani et Saumitra Jha.

[9] Selon une observation courante dans le domaine des relations internationales, les politiciens issus de partis plutôt bellicistes seraient, paradoxalement, souvent mieux placés pour présenter des propositions de paix politiquement risquées à des adversaires de longue date que leurs homologues plus conciliants. La célèbre visite de Nixon en Chine en est un exemple. Cependant, notre interprétation tient compte de l’ensemble des options offertes aux héros de guerre pour influer sur la politique, quel que soit leur parti. Par exemple, Yitzhak Rabin, commandant durant la guerre israélo-arabe de 1948-1949, puis chef d’état-major au moment de la victoire israélienne dans la guerre des Six Jours, joua un rôle actif dans la signature des accords d’Oslo à titre de chef du Parti travailliste israélien.

[10] Par exemple, les anciens combattants français de la guerre d’indépendance américaine contribuèrent largement à diffuser et à défendre les valeurs démocratiques durant la phase constitutionnelle de la Révolution française (Saumitra Jha et Steven Wilkinson, Wars and Freedoms, ouvrage en cours).

Julia Cagé

Économiste, Professeure à Sciences Po Paris

Anna Dagorret

Economiste, Doctorante à l'Université de Stanford

Pauline Grosjean

Economiste, Université de Nouvelle-Galles du Sud (UNSW Sydney)

Saumitra Jha

Economiste, Professeur associé à la Stanford Graduate School of Business

Notes

[1] D’importants éléments du fichier sont résumés dans Les 100 000 collabos : le fichier interdit de la collaboration française de Dominique Lormier (Cherche Midi, 2017). Le fichier, bien que déclassifié, n’a pas été rendu public. Nous remercions donc Dominique Lormier de nous avoir permis de consulter les documents originaux.

[2] Ces chiffres peuvent être comparés aux 405 399 pertes militaires subies par les États-Unis au cours de la seconde guerre mondiale, et aux 22 654 soldats des deux camps tués lors de la bataille la plus sanglante de l’histoire des États-Unis, Antietam.

[3] L’interchangeabilité des régiments de ligne était une caractéristique commune d’autres armées, dont l’armée britannique (voir Jha et Wilkinson, « Does Combat Experience Foster Organizational Skill ? Evidence from Ethnic Cleansing during the Partition of South Asia », American Political Science Review, vol. 106, no 4, 2012, p. 883-907).

[4] Voir notre article complémentaire, Julia Cagé, Pauline Grosjean et Saumitra Jha, « Army of Shadows: Organizing Resistance in World War II France », Document de travail, 2020.

[5] Le bras droit de Pétain, Pierre Laval, fut exécuté, de même qu’un certain nombre de hauts fonctionnaires du régime de Vichy. De Gaulle, qui avait servi sous Pétain lors de la première guerre mondiale, commua la condamnation à mort de Pétain en peine de prison à perpétuité en reconnaissance de ses contributions militaires au cours de cette guerre. En 1951, le décès de Pétain en prison déclencha des manifestations dans la plupart des villes françaises à l’appel des anciens combattants de Verdun (Charles Williams, Pétain : How the Hero of France Became a Convicted Traitor and Changed the Course of History, p. 271). À propos de la façon dont les complémentarités peuvent susciter un élan et une continuité en matière d’adoption et d’organisation technologiques, voir cet article de Paul Milgrom, Yingyi Qian et John Roberts ; en ce qui a trait aux institutions politiques et sociales celui de Saumitra Jha.

[6] Voir cet article de Julia Cagé et celui de Yasmine Bekkouche et Julia Cagé pour des détails concernant les données électorales de l’après-guerre.

[7] À propos des effets du commandement sur la cohésion des unités au cours de la guerre de Sécession, notamment le commandement de Chamberlain, voir également cet article de Christian Dippel et Andreas Ferrara 2020.

[8] À propos du rôle de la sanction des actions non violentes en guise de mécanisme de sélection des dirigeants politiques, voir cet article de Rikhil Bhavnani et Saumitra Jha.

[9] Selon une observation courante dans le domaine des relations internationales, les politiciens issus de partis plutôt bellicistes seraient, paradoxalement, souvent mieux placés pour présenter des propositions de paix politiquement risquées à des adversaires de longue date que leurs homologues plus conciliants. La célèbre visite de Nixon en Chine en est un exemple. Cependant, notre interprétation tient compte de l’ensemble des options offertes aux héros de guerre pour influer sur la politique, quel que soit leur parti. Par exemple, Yitzhak Rabin, commandant durant la guerre israélo-arabe de 1948-1949, puis chef d’état-major au moment de la victoire israélienne dans la guerre des Six Jours, joua un rôle actif dans la signature des accords d’Oslo à titre de chef du Parti travailliste israélien.

[10] Par exemple, les anciens combattants français de la guerre d’indépendance américaine contribuèrent largement à diffuser et à défendre les valeurs démocratiques durant la phase constitutionnelle de la Révolution française (Saumitra Jha et Steven Wilkinson, Wars and Freedoms, ouvrage en cours).