économie

La bourse et la vie : crise du capitalisme et crise sanitaire

Économiste

Le monde fait face à une crise économique et sociale sans précédent. Mais la pandémie de SARS-CoV-2 en est-elle la seule cause, comme l’affirme une certaine doxa ? En réalité, il s’agit bien plutôt d’une crise endogène au système capitaliste néolibéral, déclenchée en 2007 par la crise des subprimes, à laquelle suit une crise des dettes souveraines dans les États de la zone euro, puis une crise d’endettement externe des entreprises des pays émergents. Assistons-nous donc aujourd’hui à l’ultime phase d’un système moribond ? Comment en sortir ?

La crise provoquée par la pandémie de Covid-19 a un caractère totalement inédit ; crise d’abord sanitaire, elle s’est transformée instantanément en une crise économique, sociale et politique d’ampleur inégalée depuis celle des années 1930. En outre, la responsabilité du capitalisme néolibéral dans l’émergence et le développement de cette crise est manifeste. On est en présence d’une relation à double sens entre crise sanitaire et crise financière qui renvoie à la place qu’occupent aujourd’hui la santé et la médecine dans l’économie capitaliste.

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Ce caractère inédit de la crise suscite diverses questions. La pandémie serait-elle le symptôme d’un capitalisme néolibéral moribond ? Comment pouvons-nous sortir du cercle vicieux de l’endettement public dans lequel les politiques anti-Covid nous ont désormais enfermés ?

Le fil du raisonnement qu’on déroule pour tenter de répondre à ces questions est le suivant : on considère d’abord que la Covid-19 n’est pas un choc exogène, mais une manifestation endogène à la structure du système capitaliste actuel. Il s’ensuit l’idée que la crise sanitaire ouverte en 2020 est une sorte d’apothéose de la crise structurelle du capitalisme néolibéral déclenchée en 2007 par la crise des subprimes aux États-Unis et qui s’est poursuivie par une crise des dettes souveraines dans la zone euro et une crise d’endettement externe des entreprises des pays émergents.

S’agissant néanmoins d’une crise spécifique par rapport aux trois précédentes, on s’interroge alors sur ses déterminants propres – à savoir une contradiction entre, d’un côté, le développement d’un capitalisme biomédical financiarisé et fondé sur les idées néolibérales d’individu autonome et de « santé parfaite » et, de l’autre côté, le besoin collectif de santé publique et d’appartenance à des touts protecteurs, dont la pandémie de Covid-19 appelle la satisfaction. Enfin, afin de sortir du cercle vicieux d’une cavalerie consistant à financer de la dette publique par de la det


[1] Michel Aglietta et Sabrina Khanniche, « La vulnérabilité du capitalisme financiarisé face au coronavirus », La Lettre du CEPII, n° 407, avril 2020 ; R. Boyer, Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, La Découverte, 2020 ; Alex Liebman Leibman, Luis Fernando Chaves et Rodrick Wallace, « Le Covid-19 et les circuits du Capital », Terrestres, N° 13, 30/04/2020.

[2] On suit librement ici principalement Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi. Dépression et société, Odile Jacob, 1998, et « La santé mentale ou l’union du mal individuel et du mal commun », SociologieS, novembre 2013, et plus accessoirement Nikolas Rose, « Neurochimical Selves », Society, nov.-dec. 2003.

[3] Sur le biocapitalisme, cf. la synthèse de Céline Lafontaine, Le Corps-marché. La marchandisation de la vie à l’ère de la bioéconomie (Seuil, 2014), qui est plus qu’une très bonne entrée en la matière.

[4] On suit ici librement Claire Lafontaine, Le Corps-marché, et Nikolas Rose, The Politics of Life Itself: Biomedicine, Power, and Subjectivity in the Twenty-First Century, Princeton University Press, 2007.

[5] Comment ne pas penser aussi à la reconnaissance sociale par la population du sens du sacrifice des personnels soignants des hôpitaux au plus fort de la pandémie.

[6] Cf. Thomas Coutrot et Bruno Théret, « Système fiscal de paiement complémentaire : un dispositif pour renverser l’hégémonie », Revue française de socio-économie, n° 22, 2019 ; Bruno Théret, « Note sur le statut de la Banque centrale européenne… », Les Possibles, n° 22, 2020 ; Benjamin Lemoine et Bruno Théret, « Il est possible de construire un circuit du trésor européen écologique », Gestion et Finances Publiques, n° 4, juillet-août, 2020 ; Benjamin Lemoine, « Il faut subvertir les lois du marché pour financer la crise », Libération, 27 mai 2020.

Bruno Théret

Économiste, Directeur de recherches émérite au CNRS, Institut de Recherches Interdisciplinaires en Sciences Sociales (IRISSO), Université Paris Dauphine – PSL

Notes

[1] Michel Aglietta et Sabrina Khanniche, « La vulnérabilité du capitalisme financiarisé face au coronavirus », La Lettre du CEPII, n° 407, avril 2020 ; R. Boyer, Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, La Découverte, 2020 ; Alex Liebman Leibman, Luis Fernando Chaves et Rodrick Wallace, « Le Covid-19 et les circuits du Capital », Terrestres, N° 13, 30/04/2020.

[2] On suit librement ici principalement Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi. Dépression et société, Odile Jacob, 1998, et « La santé mentale ou l’union du mal individuel et du mal commun », SociologieS, novembre 2013, et plus accessoirement Nikolas Rose, « Neurochimical Selves », Society, nov.-dec. 2003.

[3] Sur le biocapitalisme, cf. la synthèse de Céline Lafontaine, Le Corps-marché. La marchandisation de la vie à l’ère de la bioéconomie (Seuil, 2014), qui est plus qu’une très bonne entrée en la matière.

[4] On suit ici librement Claire Lafontaine, Le Corps-marché, et Nikolas Rose, The Politics of Life Itself: Biomedicine, Power, and Subjectivity in the Twenty-First Century, Princeton University Press, 2007.

[5] Comment ne pas penser aussi à la reconnaissance sociale par la population du sens du sacrifice des personnels soignants des hôpitaux au plus fort de la pandémie.

[6] Cf. Thomas Coutrot et Bruno Théret, « Système fiscal de paiement complémentaire : un dispositif pour renverser l’hégémonie », Revue française de socio-économie, n° 22, 2019 ; Bruno Théret, « Note sur le statut de la Banque centrale européenne… », Les Possibles, n° 22, 2020 ; Benjamin Lemoine et Bruno Théret, « Il est possible de construire un circuit du trésor européen écologique », Gestion et Finances Publiques, n° 4, juillet-août, 2020 ; Benjamin Lemoine, « Il faut subvertir les lois du marché pour financer la crise », Libération, 27 mai 2020.