Savoirs

De Verdun à Vichy et retour : quand des économistes font fausse route

Historienne, Historien, Chercheuse en sciences sociales, Historien, Historien

Les simplifications, voire les inexactitudes, à propos des guerres mondiales sont monnaie courante dans l’espace public. Et il appartient aux historiens de les corriger, comme le font ici plusieurs auteurs dans un texte en réponse à « De Verdun à Vichy » publié récemment dans AOC. Ils rappellent ainsi les règles de méthode présidant à toute démarche de connaissance, tout en pointant un travers actuel de la recherche en sciences sociales : la passion parfois aveugle pour le Big Data et le traitement sériel de données.

Pour qui fait l’histoire des guerres mondiales, lutter contre les simplifications répandues dans l’espace public fait presque partie du quotidien. Il se passe rarement un mois sans qu’une controverse médiatique ou mémorielle n’implique, en son centre ou à la marge, Vichy ou la collaboration, les « poilus » ou les résistants, Churchill ou Pétain. Il est plus rare, toutefois, de devoir prendre position lorsque les contresens et les simplismes concernant ces périodes ne proviennent pas de polémistes assumant leur ignorance, mais d’universitaires de premier plan, comme les économistes signataires du texte paru récemment dans AOC.

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Version abrégée d’un travail de recherche primé, cet article présente pourtant une quantité tellement étonnante d’erreurs de méthode, de perspective et de fond, pour tout dire d’histoire, qu’il paraît nécessaire de les examiner, y compris dans les points techniques mobilisés dans ses raisonnements, afin de réfuter la vision faussée de la période et du fonctionnement social qu’il propose. Pas pour suggérer un triste partage des rôles où les spécialistes d’histoire défendraient leur chasse gardée sur le passé, bien sûr, mais plutôt pour rappeler des règles élémentaires présidant à toute démarche de connaissance, quelle qu’en soit la discipline, et ainsi regretter que nos éminentes collègues n’aient semble-t-il pas envisagé la voie du travail interdisciplinaire pour répondre à des questionnements qui sont, c’est certain, importants[1].

En fait de révélations sur Vichy, une méconnaissance profonde

Le texte cosigné par Julia Cagé, Anna Dagorret, Pauline Grosjean et Saumitra Jha a pour ambition d’éclairer rien moins qu’un pan central de l’histoire de France : le lien entre l’expérience de la Grande Guerre et l’adhésion au régime de Vichy, dont Pétain serait la clé.

Il est dès lors surprenant d’y lire tant d’erreurs factuelles, qu’une consultation minimale des abondants travaux sur la période ou même de simples manuels aurait permis d’évite


[1] On emploiera désormais le féminin générique pour désigner « les auteures » du texte « De Verdun à Vichy ».

[2] Johnathan Bracken, The Verdun Regiment: Into the Furnace: The 151st Infantry Regiment in the Battle of Verdun 1916, Pen & Sword, 2018, p. 1. Les auteures s’appuient sur ce travail dans leur texte anglais (p. 23) sans avoir semble-t-il relevé ce passage. Elles remarquent dans une note de ce texte que d’autres unités comme les régiments d’artillerie « were organised at the broader region level and are therefore less suitable for our analysis », alors que le problème est identique, on le voit, pour les régiments d’infanterie.

[3] Jules Maurin, Armée – Guerre – Société. Soldats languedociens (1889-1919), Publications de la Sorbonne, 1982, p. 393-435.

[4] Dimitri Chavaroche, L’extraordinaire de la guerre. Le combat rapproché et le corps à corps sur le front ouest pendant la Première Guerre mondiale, thèse, Université Paris-I, 2021, p. 159-160.

[5] Erwan Le Gall, Le 47e régiment d’infanterie pendant la Première Guerre mondiale, thèse, Université Rennes-II, 2019, p. 321.

[6] Sa présentation repose sur le livre de Dominique Lormier, Les 100.000 collabos. Le fichier interdit de la collaboration française, Paris, Le cherche midi, 2017, qui a communiqué la liste aux auteures. Mais cet auteur, polygraphe aux plus de 130 livres, n’a pas effectué de véritable travail de contextualisation du document, dans un livre sans rigueur, conçu comme un coup éditorial (le fichier « interdit ») et dépourvu d’appareil critique. Par ailleurs les auteures indiquent que la liste a été établie sous la supervision de Paul Paillole, « head of French army intelligence after the war » (p. 23), ce qui est inexact : s’il a eu la liste en sa possession rien ne dit que le colonel Paillole l’ait compilée ou supervisée, et il a quitté l’armée en novembre 1944.

[7] D. Lormier, Les 100.000 collabos. Le fichier interdit de la collaboration française, p. 15.

[8] Voir par exemple les différents tra

Anne-Sophie Anglaret

Historienne

Tal Bruttmann

Historien

Sarah Gensburger

Chercheuse en sciences sociales, CNRS – Institut des Sciences sociales du Politique, Université de Paris Nanterre

André Loez

Historien, Professeur en classes préparatoires littéraires

Antoine Prost

Historien, Professeur émérite à l’Université Paris-I

Notes

[1] On emploiera désormais le féminin générique pour désigner « les auteures » du texte « De Verdun à Vichy ».

[2] Johnathan Bracken, The Verdun Regiment: Into the Furnace: The 151st Infantry Regiment in the Battle of Verdun 1916, Pen & Sword, 2018, p. 1. Les auteures s’appuient sur ce travail dans leur texte anglais (p. 23) sans avoir semble-t-il relevé ce passage. Elles remarquent dans une note de ce texte que d’autres unités comme les régiments d’artillerie « were organised at the broader region level and are therefore less suitable for our analysis », alors que le problème est identique, on le voit, pour les régiments d’infanterie.

[3] Jules Maurin, Armée – Guerre – Société. Soldats languedociens (1889-1919), Publications de la Sorbonne, 1982, p. 393-435.

[4] Dimitri Chavaroche, L’extraordinaire de la guerre. Le combat rapproché et le corps à corps sur le front ouest pendant la Première Guerre mondiale, thèse, Université Paris-I, 2021, p. 159-160.

[5] Erwan Le Gall, Le 47e régiment d’infanterie pendant la Première Guerre mondiale, thèse, Université Rennes-II, 2019, p. 321.

[6] Sa présentation repose sur le livre de Dominique Lormier, Les 100.000 collabos. Le fichier interdit de la collaboration française, Paris, Le cherche midi, 2017, qui a communiqué la liste aux auteures. Mais cet auteur, polygraphe aux plus de 130 livres, n’a pas effectué de véritable travail de contextualisation du document, dans un livre sans rigueur, conçu comme un coup éditorial (le fichier « interdit ») et dépourvu d’appareil critique. Par ailleurs les auteures indiquent que la liste a été établie sous la supervision de Paul Paillole, « head of French army intelligence after the war » (p. 23), ce qui est inexact : s’il a eu la liste en sa possession rien ne dit que le colonel Paillole l’ait compilée ou supervisée, et il a quitté l’armée en novembre 1944.

[7] D. Lormier, Les 100.000 collabos. Le fichier interdit de la collaboration française, p. 15.

[8] Voir par exemple les différents tra