Politique

Macron et la crise sanitaire : Léviathan mieux que Jupiter

Juriste

En annonçant un troisième confinement, le gouvernement a une nouvelle fois mobilisé les données scientifiques au service d’une décision qui n’en est pas moins politique. La verticalité du pouvoir, à laquelle renvoie la figure de Jupiter, couramment utilisée pour qualifier le style présidentiel d’Emmanuel Macron, semble trouver dans la crise sanitaire une singulière vigueur. Mais ce contexte, qui voit la préoccupation sécuritaire du pouvoir nourrie par des impératifs de santé publique et la peur de la mort que suscite le virus, réveille un autre fantôme, tiré non pas de la mythologie mais de la Bible et de l’œuvre de Thomas Hobbes : le Léviathan, incarnation de l’autorité de l’État.

Chacun a pu aisément observer que la crise due à l’épidémie de Covid-19 a mis à rude épreuve les principes de la démocratie libérale. En France, en particulier, le législateur a institué un nouveau régime d’état d’urgence, dérogatoire au droit commun, donnant aux autorités de l’État la compétence d’édicter, compte tenu des données scientifiques disponibles, les mesures nécessaires pour combattre une menace sanitaire inédite. Deux piliers essentiels de la démocratie libérale ont alors été mis en cause : la liberté d’aller et venir, qui a été considérablement entravée par les diverses mesures de confinement total ou partiel adoptées depuis le début de la crise, et le principe délibératif, qui structure, en temps ordinaire, le processus décisionnel de tous les régimes parlementaires.

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Tous les aspects de la gestion de cette crise sont en effet pris en charge par le seul pouvoir exécutif, dès lors que l’état d’urgence sanitaire issu de la loi du 23 mars 2020 permet au gouvernement, au nom de la lutte contre l’épidémie, de restreindre nos libertés par ordonnances et contribue ainsi au renforcement du tropisme monarchique de la Ve République, qu’avait déjà repéré autrefois certains constitutionnalistes [1] . La banalisation du recours au Conseil de défense est une des illustrations les plus visibles, à la faveur de cette crise, d’une dérive présidentialiste du régime déjà sensiblement alimentée par la conception dite « jupitérienne » des institutions que cultive dans sa pratique du pouvoir l’actuel locataire du palais de l’Élysée depuis son entrée en fonction en 2017.

Une telle verticalité du pouvoir, à laquelle renvoie l’usage courant de la figure de Jupiter pour qualifier le style présidentiel d’Emmanuel Macron, semble donc rencontrer dans la crise sanitaire un contexte particulier qui lui donne une singulière vigueur. Mais ce contexte, qui voit la préoccupation sécuritaire du pouvoir nourrie par des impératifs de santé publique et la peur de la mort que susci


[1]  Maurice Duverger, La Monarchie républicaine ou comment les démocraties se donnent des rois, Paris, Robert Laffont, 1974.

[2] Thomas Hobbes, Léviathan. Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république ecclésiastique et civile, 1651, trad. François Tricaud, Paris, Dalloz, 1999.

[3] David Estlund, L’Autorité de la démocratie. Une perspective philosophique, Hermann éditeurs, 2011 ; Jessy Giroux, « Le spectre épistocratique », Philosophiques, n° 402, 2013, pp. 301-319.

[4] Max Weber, Le Savant et le politique, trad. fr. de Julien Freund, 1963, Paris, Plon ; « L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales », in Essais sur la théorie de la science, trad. de Julien Freund, 1965, Paris, Plon, pp. 117-213 ; « Essai sur le sens de la neutralité axiologique dans les sciences sociologiques et économiques », in Essais sur la théorie de la science, op. cit., pp. 399-477.

[5] Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Paris, Dalloz, 1962, 2nde éd., trad. Charles Eisenmann (rééd., L.G.D.J.-Bruylant, 1999).

[6] Davis Hume, Traité sur la nature humaine, 1739, trad. Jean-Pierre Cléro, Paris, GF Flammarion, 1993

[7] Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique, 1788, trad. Jean-Pierre Fussler, Paris, GF Flammarion, 2003.

Alexandre Viala

Juriste, Professeur de droit public à l'Université de Montpellier

Notes

[1]  Maurice Duverger, La Monarchie républicaine ou comment les démocraties se donnent des rois, Paris, Robert Laffont, 1974.

[2] Thomas Hobbes, Léviathan. Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république ecclésiastique et civile, 1651, trad. François Tricaud, Paris, Dalloz, 1999.

[3] David Estlund, L’Autorité de la démocratie. Une perspective philosophique, Hermann éditeurs, 2011 ; Jessy Giroux, « Le spectre épistocratique », Philosophiques, n° 402, 2013, pp. 301-319.

[4] Max Weber, Le Savant et le politique, trad. fr. de Julien Freund, 1963, Paris, Plon ; « L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales », in Essais sur la théorie de la science, trad. de Julien Freund, 1965, Paris, Plon, pp. 117-213 ; « Essai sur le sens de la neutralité axiologique dans les sciences sociologiques et économiques », in Essais sur la théorie de la science, op. cit., pp. 399-477.

[5] Hans Kelsen, Théorie pure du droit, Paris, Dalloz, 1962, 2nde éd., trad. Charles Eisenmann (rééd., L.G.D.J.-Bruylant, 1999).

[6] Davis Hume, Traité sur la nature humaine, 1739, trad. Jean-Pierre Cléro, Paris, GF Flammarion, 1993

[7] Emmanuel Kant, Critique de la raison pratique, 1788, trad. Jean-Pierre Fussler, Paris, GF Flammarion, 2003.