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Les Kurdes et la construction d’une contre-mémoire du génocide arménien

Anthropologue

Le 24 avril marque la commémoration annuelle du génocide des Arméniens, perpétré en 1915. Alors que cette violence d’État fondatrice et inaugurale continue de faire l’objet d’un négationnisme farouche de la part du pouvoir turc, la sphère politique kurde a impulsé un processus de reconnaissance publique de la participation des Kurdes au génocide, en prenant notamment appui sur les savoirs diffus transmis et véhiculés depuis plus d’un siècle dans la langue, les mémoires familiales, tribales, ou locales.

Dans le discours officiel de la Turquie contemporaine, l’extermination des Arméniens, violence d’État fondatrice et inaugurale, continue de faire l’objet d’un négationnisme farouche. C’est dans ce contexte qu’une grande partie de la sphère politique kurde a impulsé un processus de reconnaissance publique de la participation des Kurdes au génocide des Arméniens. Celui-ci a pris appui sur les savoirs diffus transmis et véhiculés depuis plus d’un siècle dans la langue, les mémoires familiales, tribales, ou locales habitant à divers degrés la société kurde.

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Pour décrire l’émergence et le déploiement de ce phénomène mémoriel, je vais tenter d’articuler les deux registres de connaissance qui ont façonné ma perspective actuelle sur le sujet : d’une part les recherches historiques et ethnographiques, les lectures, les enquêtes que j’ai effectuées en tant que chercheur en sciences sociales ; d’autre part, un retour introspectif sur ma trajectoire mémorielle et mon vécu personnel, en tant que Kurde de Turquie né dans les années 1980 dans la région de Diyarbakir.

Mes enquêtes et observations de terrain, tant bien que l’étude de la littérature académique existante sur le sujet, m’ont conduit à voir et à penser au prisme d’un cadre conceptuel intégrant les conclusions suivantes : tout d’abord, la mémoire collective kurde est l’un des lieux fondamentaux permettant de documenter, de sauvegarder le souvenir, et d’obliger à reconnaître la réalité du génocide des Arméniens perpétré en 1915. Ensuite, la langue kurde est l’un des lieux essentiels de cette contre-mémoire et les Kurdes sont donc porteurs d’un « poisonous knowledge ».

Autre conclusion, celui-ci a commencé à émerger sur la scène publique et à être reconfiguré par la nouvelle approche historiographique développée par le mouvement kurde entrant en écho avec des processus mémoriels concomitants qui se sont fait jour depuis les années 1990 en Turquie, à savoir l’émergence d’un régime victimo-mémoriel unissant progres


[1] Le mot vient du persan, farmân, qui signifie « décret » ou « ordre » et désigne dans l’Empire ottoman un décret impérial.

[2] Johann Michel, Devenir descendant d’esclave: Enquête sur les régimes mémoriels, Rennes, PU Rennes, 2015.

[3] Michael Rothberg, « Multidirectional memory », Témoigner. Entre histoire et mémoire, 119 | 2014, 176.

 

 

Adnan Çelik

Anthropologue, Maître de conférences à l’EHESS

Mots-clés

Mémoire

Notes

[1] Le mot vient du persan, farmân, qui signifie « décret » ou « ordre » et désigne dans l’Empire ottoman un décret impérial.

[2] Johann Michel, Devenir descendant d’esclave: Enquête sur les régimes mémoriels, Rennes, PU Rennes, 2015.

[3] Michael Rothberg, « Multidirectional memory », Témoigner. Entre histoire et mémoire, 119 | 2014, 176.