Urbanisme

Cités à la déroute

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Pour prendre l’entière mesure de l’échec, tout particulièrement en France, des « cités de banlieues », il convient de remonter aux projets pionniers des cités-jardins de la fin du XIXe siècle. Ces œuvres d’architectes et urbanistes témoignent, par l’aménagement de nouveaux espaces et modes de vie communs, de la volonté de participer d’une ascension sociale et culturelle de leurs habitants. Mais en France, tout ce qui faisait la sève de ces réalisations fut très tôt évincé pour raison économique.

Onze ans après les violences et actes incendiaires perpétrés au sein d’une cité dite « sensible » de Grenoble, France Télévision diffusait le 19 avril dernier, au 20 heures, un court reportage titré « Retour dans le quartier de La Villeneuve à Grenoble ».

L’actualité est celle d’une détérioration progressive et, en apparence, irrémédiable des conditions de vie : disparition quasi-complète des commerces entraînant ipso facto une désertion des espaces communs, à commencer par la Grand’Place et ses allées, ainsi que ses « aires », parcs et jardins. L’intensification du trafic de stupéfiants, notamment à proximité des crèches du quartier, oblige d’y poster, aux différentes entrées, policiers et agents de sécurité à temps plein.

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Après visionnage d’un tel document, le téléspectateur ne pouvait que conclure à l’échec, à tous niveaux, des grands ensembles, plus couramment appelés les « cités de banlieues » : des zones toujours pathogènes où sévit « la sarcellite [1] », « gangrénée » par la criminalité ; le creuset de la délinquance endémique d’une jeunesse oisive massée aux pieds des blocs de béton qu’un urbanisme, regardé comme fautif ou à tout le moins inconséquent, se serait suffi d’aligner au pourtour des villes.

Évidemment, là n’était pas le projet des architectes-urbanistes de l’Atelier d’urbanisme et d’architecture (AUA) – regroupés autour de Jacques Allégret – naguère chargés de la conception de La Villeneuve entre 1970 et 1983. En effet, ces derniers avaient pour ambition, pour dessein, de réaliser une Cité Nouvelle à très haute valeur sociale d’inspiration largement fouriériste, renouant alors avec certains des idéaux utopistes du XVIIIe siècle. Le phalanstère, concept élaboré par le philosophe Charles Fourier, a vu son incarnation la plus célèbre dans le familistère de Guise, érigé entre 1859 et 1884 par la volonté de l’industriel Jean-Baptiste André Gaudin pour ses ouvriers.

Pleinement « communautaire » (de vie comme de gouvernance), l’ensemble urbain


[1] Dérivé de Sarcelles (ville emblématique de la banlieue parisienne), le terme renvoie à la maladie des grands ensembles : des troubles névrotiques à dominante anxieuse.

[2] Terme préféré à « harmonieux » par Jean-Baptiste André Godin, cité par Victor Considérant, Exposition abrégée du système phalanstérien, Librairie Sociétaire, 1845, réédité par Wentworth Press, en 2018.

[3] Marc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil, 1992.

[4] Michel Agier, Anthropologie de la ville, PUF, 2015.

[5] Denise Pumain, Thierry Paquot, Richard Keinschmager, Dictionnaire : La ville et l’urbain, éditions Economica, 2006.

[6] Y sera expérimentée, notamment, une école de plein air surnommée « l’école de l’avenir » : pour une éducation aux nouvelles formes d’organisation sociale (joignant urbanité, sociabilité et citoyenneté).

[7] Ian Tod et Michael Wheeler, Utopia, Orbis, 1978.

[8] Katherine Burlen (dir.), La banlieue oasis. Henri Sellier et les cités-jardins (1900-1940), Presses universitaires de Vincennes, 1987.

[9] Paul Wolf, Städtebau: das Formproblem der Stadt in Vergangenheit und Zukunft (« Urbanisme : le problème de la forme de la ville dans le passé et dans le futur »), Klinhardt & Biermann, 1919.

David Bihanic

Designer, Maître de conférences à l'université Paris 1, chercheur associé à l'ENSADlab

Notes

[1] Dérivé de Sarcelles (ville emblématique de la banlieue parisienne), le terme renvoie à la maladie des grands ensembles : des troubles névrotiques à dominante anxieuse.

[2] Terme préféré à « harmonieux » par Jean-Baptiste André Godin, cité par Victor Considérant, Exposition abrégée du système phalanstérien, Librairie Sociétaire, 1845, réédité par Wentworth Press, en 2018.

[3] Marc Augé, Non-lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Seuil, 1992.

[4] Michel Agier, Anthropologie de la ville, PUF, 2015.

[5] Denise Pumain, Thierry Paquot, Richard Keinschmager, Dictionnaire : La ville et l’urbain, éditions Economica, 2006.

[6] Y sera expérimentée, notamment, une école de plein air surnommée « l’école de l’avenir » : pour une éducation aux nouvelles formes d’organisation sociale (joignant urbanité, sociabilité et citoyenneté).

[7] Ian Tod et Michael Wheeler, Utopia, Orbis, 1978.

[8] Katherine Burlen (dir.), La banlieue oasis. Henri Sellier et les cités-jardins (1900-1940), Presses universitaires de Vincennes, 1987.

[9] Paul Wolf, Städtebau: das Formproblem der Stadt in Vergangenheit und Zukunft (« Urbanisme : le problème de la forme de la ville dans le passé et dans le futur »), Klinhardt & Biermann, 1919.