Politique

L’antagonisme ami/ennemi, terreau dangereux du macronisme

Juriste

Depuis le big bang électoral de 2017, qu’on peut lire comme un « double 21 avril », une règle tacite oriente le jeu actuel de l’échiquier politique : le graal revient à celui qui se qualifiera en finale face à la représentante d’un électorat protestataire qui a fait sociologiquement sécession en se maintenant solidement au-dessus des 25 % sans pouvoir raisonnablement, plafond de verre oblige, caresser l’espoir de rassembler au second tour. Un jeu plus que dangereux.

« Xavier Bertrand est un adversaire, Marine Le Pen un ennemi. » C’est avec cette nuance sémantique que le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, a justifié son entrée en campagne dans les Hauts-de-France en vue des élections régionales des 20 et 27 juin prochains. Derrière le propos du ministre qui affiche sa démarche au nom du seul souci de faire barrage à l’extrême-droite, une lecture réaliste de cette séquence politicienne permet d’y repérer une stratégie savamment mise en place au sommet de l’exécutif pour affaiblir un concurrent potentiel aux élections présidentielles de 2022[1]. Devant l’ennemi explicitement désigné, s’interpose un adversaire gênant susceptible de venir troubler le duel Macron/Le Pen et de se qualifier pour le second tour des élections présidentielles face à une candidate que les sondages érigent, depuis le début du quinquennat, au rang d’opposant le plus audible au président de la République.

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Dans le contexte local des Hauts-de-France, l’idée serait que l’entrée en scène du ministre vienne siphoner le réservoir électoral de Xavier Bertrand, soit pour compromettre sa réélection à la tête de la région que ce dernier avait imprudemment présentée comme la condition de sa candidature à l’élection présidentielle, soit pour le pousser, au second tour, à une alliance avec la majorité présidentielle en vue de le priver politiquement, pour 2022, d’un espace autonome entre celle-ci et le Rassemblement national : avant d’affronter l’ennemi, il faut d’abord affaiblir l’adversaire. La démarche s’inscrit dans le logiciel tactique du chef de l’Etat qui consiste à affaiblir les formations politiques traditionnelles du monde d’hier, à droite comme à gauche, pour reconfigurer le paysage politique. Une reconfiguration dont Edouard Philippe avait dessiné les contours le 18 novembre 2017 devant les cadres de la République en marche, en usant de cette métaphore : « la poutre travaille encore, laissons-la travailler. » Révélatrice de l’évolution contempora


[1] L. Alemagna, Ch. Chaffanjon, J-B Daoulas, Régionales. Les partis flambent et Macron souffle sur les braises, Libération, 25 mai 2021, p. 2.

[2] F. Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme, trad. D-A Canal, Flammarion, 1992.

[3] Y. Mounk, Le peuple contre la démocratie, trad. J-M Souzeau, Editions de l’Observatoire, 2018.

[4] C. Mouffe, L’illusion du consensus, trad. P. Colonna d’Istria, Albin Michel, 2016 ; Macron, stade suprême de la post-politique, Le Monde, 1er juin 2017.

[5] S. Mesure et A. Renaut, La guerre des dieux. Essai sur la querelle des valeurs, Grasset, 1996.

[6] Ph. Corcuff, La grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Ed. Textuel, 2020, p. 31.

[7] C. Mouffe, L’illusion du consensus, op. cit., p. 26.

[8] Ibid, pp. 35-36.

Alexandre Viala

Juriste, Professeur de droit public à l'Université de Montpellier

Notes

[1] L. Alemagna, Ch. Chaffanjon, J-B Daoulas, Régionales. Les partis flambent et Macron souffle sur les braises, Libération, 25 mai 2021, p. 2.

[2] F. Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme, trad. D-A Canal, Flammarion, 1992.

[3] Y. Mounk, Le peuple contre la démocratie, trad. J-M Souzeau, Editions de l’Observatoire, 2018.

[4] C. Mouffe, L’illusion du consensus, trad. P. Colonna d’Istria, Albin Michel, 2016 ; Macron, stade suprême de la post-politique, Le Monde, 1er juin 2017.

[5] S. Mesure et A. Renaut, La guerre des dieux. Essai sur la querelle des valeurs, Grasset, 1996.

[6] Ph. Corcuff, La grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Ed. Textuel, 2020, p. 31.

[7] C. Mouffe, L’illusion du consensus, op. cit., p. 26.

[8] Ibid, pp. 35-36.