La crise du rire, véritable événement ou fake news ?
S’il vivait aujourd’hui, Flaubert aurait pu rédiger, dans son Dictionnaire des idées reçues, une définition du genre : « Rire : n’est plus ce qu’il était. » Car on ne compte plus, aujourd’hui, les réquisitoires, aussi fermement argumentés qu’irrévocablement pessimistes, sur la crise de la culture contemporaine du rire. Ils développent deux types d’arguments symétriques.
D’un côté, dans notre société du spectacle régie par la pulsion consommatrice, le rire serait devenu si omniprésent, jouerait avec une telle efficacité le rôle d’une contrainte sociale insidieuse, qu’il aurait cessé d’être drôle.

De l’autre, la dictature douce du politiquement correct interdirait par avance le droit à se moquer de quoi que ce soit. L’individu contemporain s’empêcherait de rire ; ou plutôt, on le lui interdirait, jusqu’au moment, qui serait proche, où il aurait totalement intériorisé le tabou.
Bien sûr, nous n’en pensons rien : sinon, nous n’aurions pas consacré un livre de mille pages à « L’Empire du rire », à ce rire où nous voyons la principale caractéristique de la culture française depuis près de trois siècles – c’est-à-dire depuis que l’Occident est entré dans l’âge médiatique. Le cliché de la crise du rire est d’ailleurs tout sauf nouveau. En 1830, alors même que la monarchie de Juillet allait ouvrir l’une des périodes les plus fastes pour la culture comique nationale, Balzac publiait un article percutant, « Complaintes satiriques sur les mœurs du temps présent », pour déplorer la disparition de la célèbre « gaieté française ».
Une raison, toute simple, nous invite au scepticisme quant à la variabilité du comique. Nous savons bien que le rire est une donnée anthropologique fondamentale, que nous partageons d’ailleurs avec les grands singes et, sans doute, avec d’autres animaux sociaux. Grâce au rire, l’animal humain se libère d’un environnement potentiellement dangereux, ou d’une agressivité qu’il sent en lui. Et, parallèlement à ce système de protection psychique, le