Numérique

Calculabilité et entropie numérique

Designer, Philosophe

« Dis-moi ta technologie et je te dirai qui tu es, quels sont tes imaginaires et tes angoisses. » La cyber-infusion du numérique sur le réel matériel a-t-elle donc vidé notre monde de ses mystères ? Si l’on définit l’entropie comme la mesure du degré d’incertitude, alors il faut accueillir les temps numériques comme une chance. Les aborder avec prudence permet d’envisager autant de mondes à faire et pas seulement à taire.

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Que l’on joue en ligne à Fortnite depuis l’arrêt de bus ou que l’on pilote un projet avec un tableur : c’est acquis, la transformation numérique bouleverse tous les secteurs et les activités. Nous sommes tous immergés dans des affordances numériques qui sont autant de prises pour notre attention, modélisant en retour nos manières de faire et de penser, parfois, à notre insu, et pour une portée qui nous dépasse. L’outil se fait alors servage. Il s’agit dès lors d’« explorer comment le calcul devient un objet avec lequel les gens doivent lutter » (Paul Dourish).

Cartographie anthropologique des imaginaires en régime numérique

Paul Dourish, dans The Stuff of Bits, analyse l’emprise des outils numériques comme des moules dans lesquels se fonde et s’informe (au sens également de prendre forme) la pensée humaine. Il questionne notamment la manière dont un outil puissant et spécialisé comme un tableur est devenu un outil censé appréhender et dompter la complexité, bien au-delà des fonctions pour lesquelles il a été initialement conçu, bien au-delà du braconnage et de l’appropriation par tout un chacun :
« Les outils se révèlent commodes pour rendre visibles de la complexité comme du détail. Si la plupart de ces tableurs ne sont pas hautement dynamiques (assez souvent, la plupart des données ne sont pas calculées), ils permettent, alors qu’ils ne sont pas conçus pour cela, de générer de la planification d’activité ou de la priorisation d’activité, tout en facilitant le partage et d’information et de données. »

En effet, la maîtrise telle qu’elle est perçue et la complexité telle qu’elle est subie révèlent comment ce monde que nous pensons maîtriser est un monde superposé au réel avec ses contraintes physiques et biologiques. Cette ignorance métaphysique (mais qui n’en dit pas le nom) semble animer notre rapport à la technologie, et en particulier aux artefacts numériques. Cette cyber-infusion du numérique sur le réel matériel a-t-elle donc vidé le monde de ses my


[1] Friedrich Nietzsche, Aurore, I, § 9, p. 13-14, Pluriel, 2005 [1881].

[2] Pour une analyse détaillée de ces tendances, et de leur mode d’existence et de manifestation, on se permet de renvoyer vers notre ouvrage : Thibaud Zuppinger, Agir en contexte, Kimé, 2016.

[3] En réalité, Aristote ne l’a pas forgé, mais repris de la philosophie tragique pré-socratique. Pour mieux saisir la portée du concept de prudence, on peut consulter l’ouvrage essentiel de Pierre Aubenque, La prudence chez Aristote, PUF, 2014.

Arnaud Merle

Designer, Consultant en design stratégique chez Human design Group

Thibaud Zuppinger

Philosophe, Chercheur associé au Curapp (UPJV-CNRS)

Notes

[1] Friedrich Nietzsche, Aurore, I, § 9, p. 13-14, Pluriel, 2005 [1881].

[2] Pour une analyse détaillée de ces tendances, et de leur mode d’existence et de manifestation, on se permet de renvoyer vers notre ouvrage : Thibaud Zuppinger, Agir en contexte, Kimé, 2016.

[3] En réalité, Aristote ne l’a pas forgé, mais repris de la philosophie tragique pré-socratique. Pour mieux saisir la portée du concept de prudence, on peut consulter l’ouvrage essentiel de Pierre Aubenque, La prudence chez Aristote, PUF, 2014.