Tout ce que vous avez voulu savoir sur Bruno Latour sans jamais oser le demander au SARS-CoV-2 – un moment latourien (1/4)
La nouvelle est tombée il y a à peine deux ou trois ans ; elle semble d’ailleurs avoir surpris les personnes qui se croyaient le mieux informées : un certain Bruno Latour était « le philosophe français le plus célèbre au monde » (dixit le New York Times), « l’intellectuel français le plus influent à l’étranger » (dixit Le Monde), et même une star à l’égal de Greta Thunberg (dixit Yann Barthès).

Le grand public découvrait un auteur qui non seulement battait des records au palmarès bibliométrique des noms les plus cités au monde [1], mais qui de surcroît avait fondé des disciplines entières (la sociologie des sciences et des techniques), inspiré des travaux dans des champs extrêmement variés (de l’anthropologie au management et du marketing à la théologie, toutes également renouvelées par une orientation originale associée à Latour : la « théorie de l’acteur-réseau »), travaillé avec les meilleurs artistes de son temps pour des expositions ou des pièces de théâtre, inspiré aussi bien les négociateurs de la COP-21 que les zadistes de Notre-Dame-des-Landes, bref une œuvre-monde. Cette œuvre était passée relativement inaperçue, du moins dans son pays d’origine, la France, où la conviction s’était établie que l’âge d’or des années soixante et soixante-dix n’avait laissé derrière lui que des orphelins prodigues, désormais vieillissants.
C’est bien à l’histoire que Latour aura dû cette faveur tardive. Il n’y aura fallu rien de moins qu’un événement cosmique : le réchauffement climatique. Car le fait est qu’au cours des années 2010 un basculement s’est opéré dans l’opinion publique au sujet de la mutation écologique globale.
Certes le problème n’est pas apparu durant la dernière décennie ; mais il n’est devenu une préoccupation de masse que très récemment. Le climatoscepticisme a cessé d’être une position par défaut ; désormais, au contraire, l’inquiétude pour l’avenir de notre planète est devenue l’attitude non-marquée (pour parler comme les linguistes), celle qui