Le mérite comme storytelling : Tapie, Macron et les beaux jours de l’héritocratie

«Il dérangeait autant qu’il fascinait, parce qu’il enjambait toutes les barrières sur le chemin de la réussite ». Le 3 octobre 2021, l’Élysée a rendu un hommage plein de lyrisme à Bernard Tapie, quelques heures après sa disparition. Le communiqué officiel, signé Emmanuel et Brigitte Macron, frappe par sa longueur (deux pages et demie), sa teneur (très « presse people »), mais surtout, par son souci de mettre en scène l’exemplarité du défunt, loué pour son audace et son mérite : « Sa naissance en 1943 […] d’un père ouvrier-fraiseur et d’une mère aide-soignante, ne lui avait pourtant pas frayé une célébrité toute tracée. Porté par une énergie qui le poussait à empoigner le monde, à saisir sa chance à pleines mains, à embrasser tous les possibles, Bernard Tapie se forgea un destin hors du commun. »
Bernard Tapie béatifié : storytelling politique et spectacle médiatique
Le storytelling prend ici le dessus sur le langage protocolaire pour mieux louer les vertus héroïques d’un « homme qui avait une combativité à déplacer les montagnes et à décrocher la lune ».
On en oublierait presque son casier judiciaire et les origines de sa fortune personnelle : des entreprises en faillite rachetées pour un franc symbolique, « redressées » à marche forcée puis revendues aussitôt, moyennant d’énormes plus-values et des milliers de salariés licenciés, des usines Manufrance aux usines Wonder, sans parler de la somme colossale (plus de 500 millions d’euros) obtenue de façon litigieuse dans le contentieux qui l’opposait de longue date au Crédit Lyonnais concernant la cession d’Adidas[1].
Peu importe, au fond, que la success story justifiant cette béatification républicaine soit vraie ou non. Car pour toucher l’opinion et capter des électeurs, quoi de mieux qu’un self-made man haut en couleurs, pourvu d’un simple bac technique et un peu menteur, mais bourré de « talent » et, surtout, doté d’une énorme surface médiatique ?
Bernard Tapie a beau être associé aux « affaires » durant l