Santé

Covid-19 : la santé publique comme laboratoire du contrôle social

Philosophe et historien des sciences

La gestion de la pandémie est largement passée par le recours à des dispositifs techniques de modélisation statistique des comportements. En mettant à l’écart les sciences humaines et sociales, cette gestion techniciste aboutit à des politiques de santé publique qui visent le contrôle plutôt que l’autonomie des acteurs.

En participant au dispositif du contrôle social, la santé publique a délaissé sa prétention à la promotion de la santé[1] visant l’autonomie des acteurs, pour mieux maîtriser les conduites. L’octroi de capabilités a fait place à une instrumentalisation du choix social qui, en se normalisant au gré des décisions publiques, guide l’agent de manière diffuse, insidieuse et sans contradiction. Ce tournant laisse penser que l’autonomisation des acteurs de la santé et la défense des droits n’ont plus leur place dans l’application des normes sanitaires. Il faut au contraire réguler, inhiber et désinhiber les comportements en appareillant les individus de laissez-passer.

Qu’elle est la raison de ce changement de perspective ? Est-ce véritablement la population qui s’est écartée de la raison, en perdant confiance dans la science et les institutions ? Ou bien serait-ce plutôt les institutions qui ont perdu confiance dans l’autonomie de leurs administrés ? Alors que la complainte de la défiance s’amenuise et que plus de 50 millions de français sont vaccinés, le gouvernement réaffirme encore une fois sa visée comportementale aspirant à l’adaptation toujours plus astreinte des individus au milieu sociotechnique.

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Cette conscience dirigiste de l’État est sans doute le signe d’une inquiétude concernant la population, ou pour le moins, celui d’une conviction dans le bien-fondé de sa mise sous tutelle. La défiance, quasi-continue depuis les gilets jaunes jusqu’aux anti-vaccins, aura sans doute conduit le gouvernement à la certitude que les politiques publiques doivent parvenir à maîtriser la conduite en instrumentalisant la raison et la science. À tel point qu’embarquées dans ce dispositif, les valeurs de la santé publique se sont vidées de leur sens.

Sommes-nous encore capables de trouver un équilibre entre le respect des droits de la personne et la protection de la santé collective ? Dans le contexte actuel, cela semble difficile à concevoir. En réduisant « l’acteur de la


[1] Linda Cambon, Henri Bergeron, Patrick Castel, Valéry Ridde, François Alla. « Quand la réponse mondiale à la pandémie de COVID-19 se fait sans la promotion de la santé », Global Health Promotion, 2021, 28 (2).

[2] Avis du Conseil scientifique Covid-19 du 5 octobre 2021.

[3] Avis du Conseil scientifique Covid-19 du 6 octobre 2021. 

[4] La DREES évalue une baisse de 350 000 tests entre le 21 et le 24 octobre, à la suite de la levée de la gratuité, par rapport aux dépistages effectués entre le 14 et le 17 octobre.

[5] Les modèles SIR et SEIR constituent la majeure partie des modèles employés durant la pandémie de Covid-19, les modèles individus-centrés ou réticulaires reprennent la logique de compartiment en complexifiant toutefois les calculs. Pour comprendre la logique générale, on se tiendra à la description du modèle simple.

[6] Christophe Bourdoiseau, « Covid-19, l’Allemagne plonge dans la pandémie des non-vaccinés », Libération, 8 novembre 2021.

[7] « L’Autriche ordonne le confinement des personnes non vaccinées à partir de lundi », Le Monde avec AFP, 14 novembre 2021.

[8] C. Hecketweiler, D. Larousserie, « Covid-19 : les modèles de plus en plus déboussolés », Le Monde, 13 octobre 2021.

[9] J. L. Bernal et al., « Effectiveness of Covid-19 Vaccines against the B.1.617.2 (Delta) Variant », in NEJM, vol. 385, n°7, 2021, DOI: 10.1056/NEJMoa2108891

[10] N. M. Ferguson et al., « Impact of non-pharmaceutical interventions (NPIs) to reduce COVID-19 mortality and healthcare demand », in Imperial College covid-19 Response Team, 16 mars 2020.

[11] T. C. Hales, « A review of the Ferguson Imperial Model of Covid-19 infection », 22 novembre 2020, p.7.

[12] C. Hecketweiler, D. Larousserie, « Covid-19 : les modèles de plus en plus déboussolés », Le Monde, 13 octobre.

Mathieu Corteel

Philosophe et historien des sciences, Chercheur associé à Sciences Po et à Harvard

Mots-clés

Covid-19

Notes

[1] Linda Cambon, Henri Bergeron, Patrick Castel, Valéry Ridde, François Alla. « Quand la réponse mondiale à la pandémie de COVID-19 se fait sans la promotion de la santé », Global Health Promotion, 2021, 28 (2).

[2] Avis du Conseil scientifique Covid-19 du 5 octobre 2021.

[3] Avis du Conseil scientifique Covid-19 du 6 octobre 2021. 

[4] La DREES évalue une baisse de 350 000 tests entre le 21 et le 24 octobre, à la suite de la levée de la gratuité, par rapport aux dépistages effectués entre le 14 et le 17 octobre.

[5] Les modèles SIR et SEIR constituent la majeure partie des modèles employés durant la pandémie de Covid-19, les modèles individus-centrés ou réticulaires reprennent la logique de compartiment en complexifiant toutefois les calculs. Pour comprendre la logique générale, on se tiendra à la description du modèle simple.

[6] Christophe Bourdoiseau, « Covid-19, l’Allemagne plonge dans la pandémie des non-vaccinés », Libération, 8 novembre 2021.

[7] « L’Autriche ordonne le confinement des personnes non vaccinées à partir de lundi », Le Monde avec AFP, 14 novembre 2021.

[8] C. Hecketweiler, D. Larousserie, « Covid-19 : les modèles de plus en plus déboussolés », Le Monde, 13 octobre 2021.

[9] J. L. Bernal et al., « Effectiveness of Covid-19 Vaccines against the B.1.617.2 (Delta) Variant », in NEJM, vol. 385, n°7, 2021, DOI: 10.1056/NEJMoa2108891

[10] N. M. Ferguson et al., « Impact of non-pharmaceutical interventions (NPIs) to reduce COVID-19 mortality and healthcare demand », in Imperial College covid-19 Response Team, 16 mars 2020.

[11] T. C. Hales, « A review of the Ferguson Imperial Model of Covid-19 infection », 22 novembre 2020, p.7.

[12] C. Hecketweiler, D. Larousserie, « Covid-19 : les modèles de plus en plus déboussolés », Le Monde, 13 octobre.