Malaise dans la laïcité
Cette précampagne électorale confirme le glissement à droite et à l’extrême droite des représentations de la laïcité. Il ne s’agit pas seulement du tapage médiatique autour d’Éric Zemmour, des surenchères auxquelles se livrent les candidats à la candidature LR, mais également d’un climat général où les accusations de « wokisme » et d’« islamo-gauchisme » suffisent à stopper toute réflexion un peu libre.
Pour un historien, cette situation est d’autant plus frappante que, on le sait, pendant un bon siècle, la laïcité constituait un des marqueurs essentiels de la gauche. Or celle-ci semble à la dérive, incapable d’opposer une vision construite de la laïcité structurellement divergente du « à droite toute » actuel.
On peut, d’ailleurs, émettre l’hypothèse qu’il s’agit là d’une des raisons de sa faiblesse. Plusieurs de ses candidats déclarés ratifient, de fait, certains fondamentaux d’une laïcité de droite, quitte à tenter de leur enlever (tâche impossible !) ses aspects discriminatoires. Il faut dire qu’ils se heurtent à des commentateurs politiques, y compris sur les chaines du service public, qui présentent comme neutre, objective, la conception dominante de la laïcité. Ce discours mainstream fonctionne selon un schéma universalisme-laïcité-République qui parait imparable, mais où s’impose, en fait, comme évidence socio-politique, une conception droitière de chacun de ces items. Je voudrais donner ici quelques éléments de réflexion soumettant au débat ces représentations sociales.
Universalisme, sécularisation et figure de l’hérétique
Avec Hegel, et beaucoup d’autres, la philosophie occidentale a forgé un grand récit où modernité et sécularisation (conçue comme une perte d’influence, de pertinence culturelle, une marginalisation de la religion dans le vie sociale) constituaient les des deux faces d’un processus porteur d’un universalisme normatif[1]. Lors du troisième quart du 20e siècle, des sociologues de la connaissance et de la religion, tels Peter Berger et Thomas Luckmann, ont cherché à valider empiriquement ce grand récit.
À cette époque, en Euroamérique, dans les pays de l’Est, et même dans le Tiers Monde, la religion apparaît comme une survivance d’un monde qui disparaît. Le « modèle industriel », issu de la modernité occidentale, privilégiant la rationalité instrumentale, semble s’universaliser dans ses deux versions conflictuelles : celles du capitalisme libéral et celle du socialisme étatique. Devenus indépendants, les anciens pays colonisés se réfèrent à l’un des deux modèles. Berger écrit que « l’expérience des traditions religieuses occidentales » permet de préjuger de « l’avenir de la religion dans les pays non occidentaux et ceci quel que soit leur régime politique, socialiste ou non » : on peut « prédire, sans grand risque de se tromper », que cet avenir « sera marqué de façon décisive, par […] la sécularisation, la pluralisation et la subjectivisation[2]. »
Au tournant du 20e et du 21e siècle, Berger change de cap, et insiste sur la « désécularisation », ce qui inverse le contenu de son propos sans en transformer structurellement la perspective : apparaissent, écrit-il alors, de « puissants mouvements de désécularisation » qui rendent le monde actuel « furieusement religieux »[3].
C’est peut-être privilégier l’actualité médiatique aux dépens de la diversité de la réalité empirique, car la pluralisation et la subjectivation du champ religieux (indiqués auparavant) se sont confirmés, engendrant des rapports différenciés à ladite sécularisation. Mais le fait qu’il n’existe plus une dynamique globale de prise de distance à l’égard de significations religieuses est l’arbre qui cache la forêt. Et cela inquiète des tenants de la classe moyenne intellectuelle. Les attentats terroristes renforcent ces craintes. En France, la sécularisation est devenue d’autant plus une valeur universelle contrariée que l’on opère un court-circuit, où la laïcité apparait comme « le produit politique [d’un] processus historique de sécularisation[4] » qui l’englobe.
Ce court-circuit induit une « culturalisation » de la laïcité où cette dernière se trouve tirée vers la valorisation d’un mode de vie séculier. C’est ce passage au « culturel » (et à « l’identitaire », ajoute-t-il lucidement) que François Baroin effectue, en 2003, par l’élaboration d’une « nouvelle laïcité », valeur de droite (versus et l’extrême-droite qui, alors, ne s’en réclame pas, et la gauche dite favorable à la « promotion des droits de l’homme »[5]). Cette laïcité comporte même des aspects caricaturaux : le fait de ne pas « faire la bise » est considéré comme lui portant atteinte (la Covid-19 serait-elle antilaïque ?!). Mais cet arrimage à droite d’une laïcité « nouvelle » (divergente de la laïcité historique) a vite été oublié et l’usage sociomédiatique dominant du mot « laïcité » a globalement repris l’aspect culturel énoncé par Baroin (sans ses conséquences extrêmes), réduisant la laïcité à être la caution sociopolitique de la sécularisation.
L’expression d’«islam modéré », devenu un lieu commun, est typique de cette dérive. Macron a semblé s’en distancier en expliquant, à différentes reprises, qu’il ne demandait pas à un musulman de « croire modérément » mais de respecter les « lois de la République ». Cependant, au final, un glissement sémantique des « lois » aux « valeurs de la République » (fort peu définies et, que les gens « sécularisés » respecteraient à priori) lui a fait reprendre par sa main droite ce qu’il avait accordé par sa main gauche. Significativement, d’ailleurs, les différentes déclarations où le président a indiqué que la laïcité n’impliquait pas de « croire modérément » n’ont jamais été mises en lumière par les médias ; elles n’ont pas « imprimé » chez les éditorialistes lui réclamant, sans cesse, un « grand discours » sur la laïcité, jusqu’à ce qu’il annonce la loi « séparatisme ».
La problématique de la sécularisation apparait typique d’un « universalisme occidentalocentré » (oxymore !)[6]. Elle continue, cependant, à s’avérer d’autant plus sous-jacente au discours social dominant sur la laïcité que cette dernière est maintenant rattachée au « commun », notion que promeut le Printemps républicain (suivi par beaucoup d’autres) dans un discours qui oppose « l’universalisme républicain » au « particularisme » et au « relativisme ». Or, en fait, ce ne sont pas ces termes mais, précisément, celui de « commun » qui devrait être opposé à la notion d’« universel ».
En effet, dans un intéressant « plaidoyer pour l’universel », le philosophe Francis Wolff tente de désoccidentaliser cette notion, en indiquant que l’on trouve, dans toutes les civilisations, « des consciences […] qui se révoltent contre l’esclavage » ou « s’insurgent contre les sacrifices d’êtres humains, le suicide par le feu des jeunes veuves, la lapidation des femmes adultères, les « meurtres d’honneurs », [le] mariage précoce, la torture des homosexuels », etc. : « N’y a-t-il pas […] partout des Antigone ? [7] » Ce raisonnement comporte plusieurs conséquences qui doivent nous conduire à décrypter l’usage social dominant de l’expression « universalisme républicain ». Examinons deux d’entre elles.
La première est que les « Antigone » de chaque civilisation, les porteurs d’universalité sont des minoritaires qui contestent les valeurs communes, l’ordre commun dans lequel se déploie la vie sociale, et portent de revendications exogènes à la société (donc tendanciellement doublement illégitimes). Prenons un exemple : la revendication du vote des femmes aux élections municipales, au tout début du 20e siècle. Cette contestation du « suffrage universel » (ainsi se dénommait le suffrage masculin) est marquée par une double particularité (vote des femmes et élections municipales) et par l’influence étrangère d’un pays non républicain (le « suffragisme » anglais[8]). Ce n’est qu’à postériori que ce particulier, alors lié à « l’hystérie » féminine, nous paraît, à l’évidence, véritablement universel contrairement au « suffrage universel » de l’époque[9].
Et donc, seconde conséquence, nous devons nous poser la question : qu’est-ce qui constitue aujourd’hui l’équivalent du « suffrage universel » du début du 20e siècle ? Autrement dit quel est l’universel actuel qui n’est qu’un faux nez, qu’un masque ? Qu’est-ce qui, au contraire, sera considéré, à l’évidence, comme universel dans un siècle ? Certainement pas le commun – les lieux communs ! – d’aujourd’hui, les incantations « rrrépublicaines » dont se gargarisent des candidats d’une certaine gauche à l’extrême droite. Il est infiniment plus plausible que certaines (pas toutes !) des positions considérées comme « particularistes », opposées à notre universel d’aujourd’hui, et stigmatisées comme telles par les éditorialistes distingués, deviendront demain universelles. Car les exemples auraient pu être multipliées. Ainsi la Ligue des droits d’homme semblait s’opposer à l’universel républicain en organisant, en 1906, des conférences sur « La barbarie coloniale », etc., etc.
Petite conclusion : si on veut typifier une figure de l’universel, ce n’est pas le sécularisé mais le socialement hérétique qui s’en rapproche. Mais ceux et celles qui sont confortablement installés dans la société mainstream, et dont les éditoriaux sont lisses, « raisonnables », non seulement sont fort éloignés de toute hérésie, mais ne peuvent même pas comprendre ce qui façonne un hérétique et le pousse à être porteur d’universalité. Tendanciellement, il y a fort à parier que plus on se gargarise d’universalisme républicain, moins on se situe dans une perspective universaliste.
Laïcité et égale liberté de conscience
Cependant, parfois, par suite d’un « alignement (structurel) des planètes », et grâce à quelques individualités qui arrivent à percer le plafond de verre auquel se heurtent habituellement les (plus ou moins) hérétiques, une société parvient collectivement à énoncer un principe universel. C’est le petit « miracle » (selon le terme de Ferdinand Buisson) que le Parlement français, dans la douleur et avec maints zigzags, a façonné en 1905.
Si la Déclaration de 1789 présentait une conception tronquée de la liberté de conscience[10], il en a été autrement lors de la loi sur la séparation. La proclamation d’un plein engagement de la puissance publique pour « la liberté de conscience » (qu’elle doit « assurer ») et, complémentairement, pour « le libre exercice des cultes » (qu’elle doit « garantir », dans les limites d’un « ordre public » démocratique) inaugure ce texte (article 1) et s’applique d’autant mieux qu’une religion ne peut revêtir un caractère officiel (article 2). Cette liberté de conscience inclut des individus et des groupes ayant des rapports différenciés à la sécularisation, n’excluant que des extrémistes violents. Cela n’avait rien d’évident : beaucoup voulaient que la loi donne un coup de pouce aux « catholiques républicains », acculturés à une certaine sécularisation.
La mémoire collective a oublié que les projets gouvernementaux (projet Combes, à l’automne 1904, et projet Bienvenu-Martin, en février 1905) ne proclamaient pas la liberté de conscience. Il a fallu la ténacité des deux dirigeants de la Commission parlementaire, des francs-tireurs, Buisson et Aristide Briand, pour l’imposer. La difficulté de son inscription dans la loi n’est pas un détail qui ne présente d’intérêt que pour les historiens. Beaucoup renâclaient alors, car leur conception de la laïcité cadrait mal avec la perspective de la liberté de conscience et l’acceptation des spécificités liées à l’exercice des cultes[11].
Pourtant – et c’est l’intérêt d’une loi par rapport à une déclaration des droits[12] – ce principe d’une égale liberté de conscience se concrétise, notamment, par le peu connu article 31, qui punit des mêmes peines les pressions abusives « contre un individu » pour le déterminer « à exercer ou à s’abstenir d’exercer un culte […] ». Engagement religieux et refus de la religion sont « garantis » de la même manière. Et comme cet engagement avait été troublé pendant la période combiste, l’article 32 punit « des même peines » que le précédent « ceux qui auront empêché, retardé ou interrompu les exercices d’un culte » – Briand précisant, dans les débats parlementaires, que la critique de la religion peut déjà s’exercer sans être considérée comme délictueuse.
Autant que faire se peut, la religion est donc mise dans le droit commun. Pourtant cela ne s’avère pas totalement possible, à cause de ses spécificités propres. Des « avantages » sont consentis par rapport à la loi de 1901 sur la liberté d’association et, fait moins connu, par rapport à celle de 1881, établissant la liberté de réunion. On a peine à se représenter aujourd’hui l’importance ressentie des dérogations à cette dernière loi. La contradiction possible lors des réunions publiques, le choc des idées par le débat sont alors considérés comme intimement liés à l’ethos républicain, différenciant l’acte (démocratique) de « penser » et celui (hiérarchique) de « croire ». Pourtant la loi oblige le respect du mode spécifique de transmission des convictions religieuses.
Cette protection sans équivalent s’équilibre par une « police des cultes » qui comporte elle-même quelques peines spécifiques, bien moins rigoureuses, toutefois, que cela n’était prévu au départ et instituant, in fine, pour les cultes et leurs « ministres » des libertés nouvelles par l’abolition des règles régissant, jusqu’en 1905 les « cultes reconnus » (c’est-à-dire semi-officiels). Il est singulièrement éclairant de constater que l’article 40, qui instaure une liberté politique nouvelle, est cité par Jérémie Peltier (directeur des études à la Fondation Jean Jaurès) complètement à contre-sens comme instituant une pseudo interdiction[13], comme si le libéralisme de la loi de 1905 était devenu incompréhensible aux spécialistes médiatiques de la laïcité.
Cette « police des cultes » garantissant les nécessités d’ordre public aurait dû être maintenue telle quelle, dans une logique d’incitation auprès des associations exerçant le culte musulman à s’inscrire dans le cadre de la loi de 1905. Le message aurait alors été très clair : vous êtes traité à égalité avec les autres religions, preuve en est : on vous applique une loi élaborée quand vous étiez pratiquement inexistants dans la métropole.
Mais avec la loi « confortant les respect des principes républicains » (août 2021), les associations cultuelles passent d’un régime déclaratif à une surveillance administrative[14], ce qui avait été refusé en 1905. Ce n’est pas sur la centaine associations diocésaines catholiques que cela s’exercera ! Moralité, il est urgent de rétablir une conception de la laïcité se situant dans la filiation de la loi de 1905 et dont la validité soit évaluée à partir du critère de la liberté de conscience (quasiment absent dans le discours dominant actuel).
La République, l’universel et le particulier
Élément d’universalité de la loi de 1905, la proclamation de l’égale liberté de conscience est due, en bonne part, à la singularité de l’histoire de la France (un conflit frontal entre « deux France » où l’athéisme a acquis, tendanciellement, une légitimité plus forte que dans d’autres démocraties), montrant que le « particulier », loin d’être l’adversaire de l’universel peut, au contraire, en constituer un chemin[15].
Mais, ce qui contredit l’affirmation d’une « laïcité comme exception française », son application a nécessité non seulement de s’appuyer sur des modèles étrangers (par exemple le Mexique), mais surtout d’opérer un véritable transfert de la culture politique anglo-saxonne. Ce fut la modification décisive de l’article 4, enjeu d’un second conflit, celui-là interne au camp républicain, qu’il serait trop long de détailler ici[16]. L’universel se façonne grâce à des transferts culturels, du transculturel ; il implique de l’interculturalité. L’opposition sommaire, établie de façon récurrente, entre-le (mauvais) « multiculturalisme » (plus ou moins caricaturé) et « l’universalisme républicain » est très fallacieuse.
Par ailleurs, la singularité française a en même temps proclamé de l’universel et induit des écarts avec l’universel. Parfois, la volonté de mettre l’État à l’abri du conflit des deux France a supplanté le souci de la liberté de conscience, transposant ce conflit au sein de la société civile, au détriment d’une culture pluraliste, point sur lequel la France apparait en déficit notoire d’universalité[17]. Autre exemple, la décision de conserver les jours fériés catholiques (article 42 de la loi) s’explique par le souci irénique de ne pas rompre avec des « traditions », mais constitue, néanmoins, une atteinte à l’égale liberté de conscience. Cet accroc, dont la majorité de la population n’a pas conscience, nombre de jeunes y sont sensibles et, tel l’enfant dévoilant la nudité du roi, en remarquent l’incongruité, alors même qu’on ne cesse de leur vanter la neutralité (quand ce n’est pas la neutralisation !) laïque. Sans parler du statut particulier de l’Alsace-Moselle dans une République que l’on prétend, à tort, être « une et indivisible » alors que, constitutionnellement, elle est « indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
Il n’est pas sûr que ces deux derniers adjectifs soient totalement inclus dans l’expression de « valeurs de la République », sans cesse convoquée (et maintenant inscrite dans la loi pour l’obtention de subventions par les associations). Cette expression signifierait-elle que la France se réfère à des « valeurs » structurellement différentes des royaumes de Belgique, d’Espagne, des Pays-Bas, du Royaume-Uni ?
Elle comporte, en fait, des relents xénophobes : quand il est question de « République », chacun comprend qu’il ne s’agit pas des républiques autrichienne, états-unienne ou italienne ! C’est une façon détournée de dire : « les valeurs de la France », comme si notre pays possédait des valeurs qui lui seraient tout à fait spécifiques, comme si la République française n’était pas une forme de démocratie. Il n’est guère étonnant, au vu de cette pratique discursive, que l’extrême droite devienne culturellement hégémonique. Prenons une seule des valeurs invoquées, l’égalité femme-homme, et constatons que le divorce, le droit de vote pour les deux sexes, la contraception et l’avortement ont été instaurés au Royaume-Uni avant de l’être en France.
En revanche, l’obsession sur le port de vêtements religieux semble être récurrente dans l’hexagone. Début 1905, Briand s’étonnait de recevoir « quantité de lettres qui ne se préoccupent que de cela. Il semble que la séparation soit tout entière dans le costume[18] ». De fait, le débat parlementaire sur le port de la soutane dans l’espace public donna lieu à une joute où l’on trouve déjà la plupart des arguments énoncés depuis trente ans sur le voile. Mais Briand s’opposa à une mesure d’interdiction, qu’il jugeait contraire à « un régime de liberté » et, de plus, inefficace[19].
La loi de 2004 interdisant le port de signes religieux ostensibles par les élèves des écoles publiques a instauré une exception dans une liberté qui restait la règle générale. Sous le mandat de Jacques Chirac, il en a bien été ainsi, grâce à la vigilance de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE). Mais Nicolas Sarkozy a supprimé cette instance, ce qui a permis de nombreuses dérives (sur les mères accompagnatrices des sorties scolaires, à LR sur les « usagers » du service public, etc.).
Une chose est d’émettre des critiques sur le port du voile, une autre est de l’essentialiser comme s’il avait, toujours et partout, une signification unique. Surtout que, pendant que la société française se laissait politiquement et médiatiquement obnubiler sur cette question en brandissant l’étendard de l’égalité femme-homme, le harcèlement sexuel, voire le viol, s’avérait une pratique courante dans nombre d’institutions, bénéficiant d’une omerta presque totale[20]. Malgré l’affaire DSK, la prise de conscience n’est pas venue de la « République » (française), mais des États-Unis, avec #metoo.
Remarque conclusive
Montrer que plusieurs conceptions de la laïcité se sont affrontées lors de la fabrication de la loi de 1905 n’a rien d’un propos érudit ; c’est récuser, comme contraire à la réalité historique et sociale, l’idée que le mot « laïcité » se suffirait à lui-même et serait le seul terme de la langue française qu’il serait interdit de qualifier par des adjectifs (petit rappel : la République en a, constitutionnellement quatre !).
Ce diktat inquisitorial a rendu possible le hold-up sur la « laïcité » par la droite dure et l’extrême droite. À partir du moment où il devait être tu que certaines représentations de la laïcité (non seulement l’antireligieuse, mais aussi une représentation gallicane, intégraliste, substantialiste) avaient été récusées lors de la loi de séparation, il devenait possible de se revendiquer de cette loi, voire même de la sacraliser, tout en prônant des mesures qui avaient été récusées par ses auteurs. Dès lors, on ouvrait un boulevard à des gens fort peu recommandables. On en paye le prix aujourd’hui. Il est plus que temps de se ressaisir !
NDLR : Jean Baubérot a fait paraître en novembre 2021 La Loi de 1905, légendes et réalités aux Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme.