Économie

Projets de monnaie, projets de société

Economiste, Sociologue, Ingénieur en système d'information

L’annonce récente de création d’une énième nouvelle cryptomonnaie par un consortium de 70 entreprises japonaises offre l’occasion de s’interroger sur le phénomène de multiplication des monnaies apparu depuis la crise financière de 2007-2008. Car tout projet de réforme monétaire est aussi nécessairement un projet de société et ces cryptomonnaies, monnaies locales ou autres alternatives portent de nouveaux modèles de vivre-ensemble.

L’actualité monétaire est agitée. Les initiatives monétaires se multiplient. Les cryptomonnaies, les monnaies locales ou complémentaires, les mesures non conventionnelles de la banque centrale, les taux d’intérêt à zéro voire négatifs, les nouvelles théories monétaires intriguent les citoyens en quête de nouveaux repères dans un monde monétaire bousculé. « Dois-je épargner en cryptomonnaies ? », « Est-il utile d’utiliser une monnaie locale ? », « La finance verte l’est-elle réellement ? », « Le système bancaire peut-il proposer des solutions contre les dérèglements climatiques ? », sont des questions que se posent nombre d’entre nous.

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Porté par ces transformations monétaires, le débat d’idées se fait plus vif. Émergent depuis quelques années des propositions de monnaie hélicoptère[1], de monnaie libre de dette au service de la reconstruction écologique[2] ou plus largement de dons monétaires au service du bien commun[3]. Si la monnaie hélicoptère est le plus souvent présentée comme un nouvel instrument qui permettrait aux banques centrales de s’affranchir des problèmes de transmission de leur action monétaire à l’économie réelle, la plupart de ces propositions sont motivées par des critiques plus profondes du système monétaire et financier actuel analysé comme la matrice des dérèglements environnementaux, sociaux, économiques et financiers.

Ces propositions, tout comme les initiatives monétaires actuelles y compris celles des banques centrales, sont chacune porteuses d’un choix de société, parfois explicite, souvent implicite. Car aucun système monétaire n’est naturel, il est toujours une construction sociale orientée vers des objectifs plus ou moins explicites, fruit d’une histoire, fruit de critiques, de compromis, de rapports de force politiques parfois houleux[4] privilégiant les intérêts des uns ou des autres. Tout projet de réforme monétaire est donc nécessairement aussi un projet de société.

Vues sous cet angle, les questions monétaires deviennent u


[1] Voir positivemoney.eu et l’actualisation de la proposition initiale de monnaie hélicoptère dans le contexte de la crise sanitaire par Stanislas Jourdan, « Helicopter Money as a response to the Covid-19 recession », mars 2020. Voir aussi : Emmanuel Carré, Jézabel Couppey-Soubeyran, Thomas Lebrun et Thomas Renault, « Un “drone monétaire” pour remettre la politique monétaire au service de tous», Institut Veblen, janvier 2020 et l’adaptation de cette proposition au contexte de la crise sanitaire : Jézabel Couppey-Soubeyran, « La “monnaie hélicoptère” contre la dépression dans le sillage de la crise sanitaire », avril 2020. Voir également la contribution plus récente : Philippe Martin, Éric Monnet et Xavier Ragot, « Que peut encore faire la Banque centrale européenne ? », Les Notes du Conseil d’Analyse économique, n°65, Juin 2021.

[2] Nicolas Dufrêne et Alain Grandjean, Une monnaie écologique, Odile Jacob, février 2020.

[3] Voir André Peters, « Le don monétaire, pour compléter le système monétaire », Financité, octobre 2020 ; Jézabel Couppey-Soubeyran et Pierre Delandre, « La transition monétaire. Pour une monnaie au service du bien commun », Institut Veblen, mai 2021 ; Jézabel Couppey-Soubeyran et Pierre Delandre, « La monnaie volontaire », La vie des idées, 19 octobre 2021.

[4] On se rappellera à ce propos l’intense débat aux XVIIIe et XIXe siècle entre la conception métallique de la monnaie représentée par la currency school et la conception bancaire de la monnaie représentée par la banking school, débat dont l’issue a mené à l’actuelle conception bancaire de la monnaie avec une architecture institutionnelle basée sur une banque centrale publique desservant un secteur bancaire largement privé. Une architecture conforme à la conception libérale dans laquelle le secteur public ne fait qu’encadrer les activités privées.

[5] Concernant les formes de la confiance, on se réfère ici au modèle développé par Michel Aglietta et André Orléan dans La Monnaie e

Jézabel Couppey-Soubeyran

Economiste, Maîtresse de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, conseillère scientifique à l'Institut Veblen

Pierre Delandre

Sociologue, Haut cadre dans le secteur bancaire public et chercheur associé à l'Etopia (Belgique)

Fabien Fert

Ingénieur en système d'information

Mots-clés

Capitalisme

Notes

[1] Voir positivemoney.eu et l’actualisation de la proposition initiale de monnaie hélicoptère dans le contexte de la crise sanitaire par Stanislas Jourdan, « Helicopter Money as a response to the Covid-19 recession », mars 2020. Voir aussi : Emmanuel Carré, Jézabel Couppey-Soubeyran, Thomas Lebrun et Thomas Renault, « Un “drone monétaire” pour remettre la politique monétaire au service de tous», Institut Veblen, janvier 2020 et l’adaptation de cette proposition au contexte de la crise sanitaire : Jézabel Couppey-Soubeyran, « La “monnaie hélicoptère” contre la dépression dans le sillage de la crise sanitaire », avril 2020. Voir également la contribution plus récente : Philippe Martin, Éric Monnet et Xavier Ragot, « Que peut encore faire la Banque centrale européenne ? », Les Notes du Conseil d’Analyse économique, n°65, Juin 2021.

[2] Nicolas Dufrêne et Alain Grandjean, Une monnaie écologique, Odile Jacob, février 2020.

[3] Voir André Peters, « Le don monétaire, pour compléter le système monétaire », Financité, octobre 2020 ; Jézabel Couppey-Soubeyran et Pierre Delandre, « La transition monétaire. Pour une monnaie au service du bien commun », Institut Veblen, mai 2021 ; Jézabel Couppey-Soubeyran et Pierre Delandre, « La monnaie volontaire », La vie des idées, 19 octobre 2021.

[4] On se rappellera à ce propos l’intense débat aux XVIIIe et XIXe siècle entre la conception métallique de la monnaie représentée par la currency school et la conception bancaire de la monnaie représentée par la banking school, débat dont l’issue a mené à l’actuelle conception bancaire de la monnaie avec une architecture institutionnelle basée sur une banque centrale publique desservant un secteur bancaire largement privé. Une architecture conforme à la conception libérale dans laquelle le secteur public ne fait qu’encadrer les activités privées.

[5] Concernant les formes de la confiance, on se réfère ici au modèle développé par Michel Aglietta et André Orléan dans La Monnaie e