Justice

La « grande famille » des victimes des attentats du 13 novembre 2015

Politiste, Politiste, Anthropologue, Étudiante, Politiste, Politiste

Une équipe de chercheuses et chercheurs en sciences sociales a observé, cinq semaines durant, les témoignages des quelque 300 parties civiles entendues dans le cadre du procès des attentats du 13 novembre. La « grande famille des victimes du terrorisme » qui s’est tenue à la barre, loin d’en représenter la totalité, a dévoilé autant de divisions que d’expériences politiques, sociales et judiciaires partagées. En voici un portrait collectif.

La Cour d’assises spécialement composée pour ce procès juge en ce moment vingt auteurs présumés des actes terroristes liés aux attentats commis à Paris le 13 novembre 2015. Durant cinq semaines (du 28 septembre au 29 octobre), plus de 300 parties civiles – sur les 2 400 constituées début novembre – ont témoigné devant elle en tant que victimes ou témoins directs de ces actes. D’autres le feront au printemps, en raison de leurs demandes plus tardives pour venir témoigner à ce procès. Cette participation est inédite : par le nombre de parties civiles mais aussi par leur statut, puisqu’elles sont venues dans l’enceinte judiciaire à la fois pour témoigner des faits et, de manière prévue et annoncée, pour produire un récit collectif de leurs souffrances.

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Les médias ont rendu compte de leurs dépositions sous l’angle des histoires singulières d’hommes et de femmes confrontés au surgissement d’une violence exceptionnelle. Les mots de certains d’entre eux, jugés les plus marquants, ont été reproduits parfois in extenso. Leur vécu avant, pendant, et surtout après l’attentat, a été évoqué. Leurs émotions et celles du public ont été décrites. Il existe une manière un peu différente de dire ce qui se passe au cours de ce procès : celle des sciences sociales, qui voient d’abord du social et du collectif, même dans l’émotion la plus singulière, et qui savent que tout n’est pas exceptionnel dans l’expérience de la violence politique et de ses suites.

Une équipe de chercheurs en sciences sociales observe la totalité des audiences, pour comprendre comment la justice française s’efforce de faire une place plus grande aux victimes, ce que cette présence massive fait aux pratiques judiciaires, et comment les victimes s’investissent ou non dans le procès. Nous comparons ce procès à d’autres traitant de violences politiques – celui des attentats de janvier 2015 à Paris, celui des attentats de Nice, bientôt, mais aussi des procès plus lointains, comme ceux menés en France contre


[1] Ce texte est une première analyse, à « chaud », du procès, et en particulier des 5 semaines dédiées aux dépositions des parties civiles.

[2] Par exemple, par Denis Salas interviewé par Soren Seelow du journal Le Monde : « Ce procès est avant tout l’occasion de faire récit, de souder une mémoire collective autour de cette page traumatique de notre histoire récente »

[3] Halbwachs Maurice, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997 [1ère éd. 1950].

[4] Le mot est utilisé notamment par deux personnes très distinctes : le frère d’une victime des terrasses et par le père d’une victime du Bataclan, respectivement les 5 et 25 octobre 2021 ; les termes entre guillemets renvoient à des mots utilisés devant la Cour.

[5] Didier Fassin et Richard Rechtman, L’empire du traumatisme : enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion, 2007.

[6] Merci à Julie Alix de ce rappel utile.

[7] Sandrine Lefranc et Lilian Mathieu, dir., Mobilisations de victimes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.

[8] Ibid.

[9] La rénovation des toilettes du Palais de l’île de la Cité ne trompe pas ; elle est une surprise pour les habitués du lieu avant le déplacement des procès vers le tribunal des Batignolles.

[10] Le décompte inclut un jeune homme qui s’est suicidé deux ans après.

[11] Ce décompte a été effectué sur la base d’une liste des parties civiles désireuses de déposer à la barre, datée du 22 septembre 2021.

[12] L’un des moyens que nous avons identifiés est la création d’un questionnaire en ligne, ouvert à toutes les personnes affectées par les attentats du 13 novembre.

[13] Harald Welzer, Les exécuteurs : des hommes normaux aux meurtriers de masse, Paris : Gallimard NRF essais, traduit de l’allemand, 2007 ; Christopher R. Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne, Paris, Les Belles Lettres/10/18, trad. de l’anglais, 1999.

Sylvain Antichan

Politiste, Maître de conférences à l'Université de Rouen

Emmanuel Cayre

Politiste, Doctorant à l'Institut des sciences sociales du politique (Sciences Po)

Pauline Jarroux

Anthropologue, Chercheuse post-doctorante au CUREJ

Johanna Lauret

Étudiante, Membre du groupe de recherche JUPITER (CUREJ)

Sandrine Lefranc

Politiste, Directrice de recherche au CNRS

Antoine Mégie

Politiste, Maitre de conférences à l’Université de Rouen

Notes

[1] Ce texte est une première analyse, à « chaud », du procès, et en particulier des 5 semaines dédiées aux dépositions des parties civiles.

[2] Par exemple, par Denis Salas interviewé par Soren Seelow du journal Le Monde : « Ce procès est avant tout l’occasion de faire récit, de souder une mémoire collective autour de cette page traumatique de notre histoire récente »

[3] Halbwachs Maurice, La mémoire collective, Paris, Albin Michel, 1997 [1ère éd. 1950].

[4] Le mot est utilisé notamment par deux personnes très distinctes : le frère d’une victime des terrasses et par le père d’une victime du Bataclan, respectivement les 5 et 25 octobre 2021 ; les termes entre guillemets renvoient à des mots utilisés devant la Cour.

[5] Didier Fassin et Richard Rechtman, L’empire du traumatisme : enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion, 2007.

[6] Merci à Julie Alix de ce rappel utile.

[7] Sandrine Lefranc et Lilian Mathieu, dir., Mobilisations de victimes, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009.

[8] Ibid.

[9] La rénovation des toilettes du Palais de l’île de la Cité ne trompe pas ; elle est une surprise pour les habitués du lieu avant le déplacement des procès vers le tribunal des Batignolles.

[10] Le décompte inclut un jeune homme qui s’est suicidé deux ans après.

[11] Ce décompte a été effectué sur la base d’une liste des parties civiles désireuses de déposer à la barre, datée du 22 septembre 2021.

[12] L’un des moyens que nous avons identifiés est la création d’un questionnaire en ligne, ouvert à toutes les personnes affectées par les attentats du 13 novembre.

[13] Harald Welzer, Les exécuteurs : des hommes normaux aux meurtriers de masse, Paris : Gallimard NRF essais, traduit de l’allemand, 2007 ; Christopher R. Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne, Paris, Les Belles Lettres/10/18, trad. de l’anglais, 1999.