Rediffusion

Angela Merkel et les réfugiés

sociologue et démographe

Le départ récent d’Angela Merkel donne l’occasion de revenir sur un épisode marquant de son quatrième mandat : la « crise européenne des réfugiés ». Si nombre de commentateurs ont interprété sa prise de parole du 31 août 2015 comme une déclaration d’ouverture des frontières, il serait plus juste de dire qu’elle a surtout refusé de les fermer, dans la continuité d’une politique d’accueil alors largement engagée. Une politique à suivre de près, à sa succession, à l’aune de la crise afghane. Rediffusion du 22 septembre 2021

Angela Merkel a officiellement quitté ses fonctions de chancelière d’Allemagne le 2 décembre dernier. Un épisode se détache de son formidable parcours : son comportement pendant la « crise européenne des réfugiés », qui la sépare à jamais de tous les chefs d’État européens. Chacun se souvient de quelle manière elle laissa littéralement sur place François Hollande et la plupart de ses collègues européens. Avec le recul, nous disposons des données objectives et des points de comparaison qui permettent de dresser un bilan durable de ce grand moment.

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La crise éclate au grand jour en août 2015, quand les médias commencent à diffuser en boucle les images de familles syriennes ou afghanes qui cherchent à franchir à pied la frontière serbo-hongroise. Les origines de la crise sont plus anciennes. Elles remontent au moins au Printemps arabe (2010-2012), avant de changer de dimension en 2014 avec l’extension de la guerre civile en Syrie et l’implantation de l’État islamique entre la Syrie et l’Irak. Dès 2014, les ONG et le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) signalent l’afflux grandissant des réfugiés dans les camps des pays limitrophes et aux frontières de l’Europe. Ils alertent les gouvernements et les donateurs : les fonds récoltés n’autorisent plus qu’une gestion au rabais des camps installés en Turquie ou au Liban. Mais ces appels rencontrent peu d’écho et c’est là une leçon qui ne sera guère retenue par la suite : savoir anticiper les crises en se mettant à l’écoute des acteurs qui œuvrent en première ligne.

La pénurie est telle dans les camps de Turquie que les réfugiés tentent le tout pour le tout : passer en Grèce dans l’espoir de gagner l’Autriche ou l’Allemagne. Ils empruntent jusqu’en août 2015 la route centrale des Balkans via la Serbie et la Hongrie, puis, une fois la frontière hongroise fermée, la route occidentale via la Croatie et la Slovénie. Fidèle à sa tradition, l’Autriche se mobilise pour assurer un accueil d’urgence mais considère, vu sa petite taille, que c’est à l’Allemagne de prendre le relais. Le 25 août, l’Office allemand de l’immigration et des réfugiés annonce sur Twitter qu’il n’appliquera pas le règlement de Dublin aux demandeurs d’asile syriens : ils ne seront pas refoulés vers le premier État de l’Union qui a enregistré leur entrée.

Une tragédie frappe alors les esprits. Le 27 août, on découvre les cadavres de 71 réfugiés dans un camion abandonné en Autriche[1]. Quelques jours plus tard, le 31 août, la chancelière allemande donne sa conférence de presse annuelle de rentrée. Elle l’ouvre par une longue déclaration, que la presse réduira à une petite phrase : Wir schaffen das, « nous savons y faire » (généralement traduite par « nous y arriverons ») et qu’elle ramènera à un chiffre : 800 000, le nombre de réfugiés que l’Allemagne s’attend à enregistrer dans l’année 2015. Sur le coup, les journalistes présents à la conférence de presse ne prennent pas la mesure de cette double annonce ; ils continuent de questionner la chancelière sur les divers volets de sa politique intérieure et extérieure. Ce sont les salles de rédaction qui, le lendemain, braqueront le projecteur sur la formule Wir schaffen das et en feront une formule historique.

Non, Angela Merkel n’a pas « ouvert les vannes »

On a beaucoup dit qu’en prenant la parole dans un contexte aussi tragique, Angela Merkel avait « ouvert les vannes » de la demande d’asile et qu’elle l’avait fait sous le coup de l’émotion. Le 2 septembre 2015, la diffusion mondiale de la photographie du petit Alan Kurdi échoué sur une plage turque donne a posteriori à son discours un écho considérable et inspire un mouvement général de solidarité.

Laissons de côté pour l’instant l’aspect émotionnel en nous centrant sur les faits, largement méconnus. Lorsque Angela Merkel lance son appel, le 31 août 2015, le nombre cumulé des premières demandes d’asile enregistrées en Allemagne depuis janvier 2014 s’élève déjà à 410 000, selon les données compilées par Eurostat. Ce chiffre sera confirmé l’année suivante mais les estimations disponibles à l’époque l’avaient déjà bien anticipé. C’est quatre fois plus que les demandes enregistrées en France sur la même période (trois fois plus, si l’on tient compte des différences de population entre les deux pays). Il faut donc défaire le mythe : Angela Merkel n’a pas ouvert les frontières, qui étaient déjà largement ouvertes ; elle a refusé de les fermer, ce qui n’est pas la même chose.

Un exemple parmi tant d’autres de l’erreur commise à ce sujet faute d’informations est le verdict de Catherine Nay prononcé le 5 décembre 2015 sur Europe 1, affirmant que la chancelière avait « ouvert les vannes sans consulter personne ». Même accusation dans la bouche d’Éric Zemmour sur RTL, le 6 septembre 2015 : elle aurait « décidé seule, sans consulter son gouvernement ni sa majorité, ni ses alliés socialistes ou bavarois, encore moins son peuple ». Il n’en est rien, le mouvement était lancé depuis de longs mois et porté par un nombre considérable d’acteurs publics et privés. Le soutien de l’opinion publique atteignait les 90 %. Aucune consultation n’était nécessaire.

Comme le rappelle Ralph Bollmann dans sa biographie d’Angela Merkel parue en juillet 2021[2], Thomas de Maizière, ministre de l’Intérieur de 2013 à 2018, avait déjà fait une déclaration similaire : « nous devons nous attendre à ce que cette année, 800 000 personnes se présentent chez nous, en Allemagne, comme demandeurs d’asile ou de refuge (als Asylbewerber oder Flüchtlinge) » et de conclure : « c’est un défi que nous relèverons ». Il racontera plus tard que la chancelière lui avait conseillé de donner « le chiffre réaliste le plus élevé », pour éviter de devoir le réviser à la hausse par la suite (cité par Bollmann, p. 510).

C’est un beau sujet pour les sciences de la communication et les écoles de journalisme : comment expliquer que seul le discours d’Angela Merkel ait passionné les médias européens, alors que quinze jours plus tôt, son ministre avait tenu un discours analogue – même objet, même chiffrage, même tonalité volontaire ? Cela tient certes à la différence des fonctions occupées par les deux personnages, mais aussi à un léger changement dans le registre d’expression : autant il est banal d’entendre un ministre annoncer qu’il faudra relever un défi, autant l’affirmation un brin familière « nous savons y faire » a surpris dans la bouche de la chancelière. De la langue de bois insipide à la « petite phrase » qui accroche, la différence est mince, mais elle sera creusée à l’extrême.

Telle est donc la force du discours du 31 août 2015 : non pas ouvrir les frontières mais accompagner et légitimer une politique d’accueil engagée depuis des mois par l’Office fédéral de l’asile, les Länder, les municipalités, les Églises, les associations, les universités. Quand Angela Merkel quantifie à 800 000 le nombre de demandeurs d’asile qui pourrait être atteint dans l’année 2015, elle ne fixe ni un objectif ni un plafond. C’est une simple projection de la tendance en cours. Elle pense que c’est jouable si le pays s’organise en conséquence et si, par ailleurs, les autres pays européens acceptent de prendre leur part. Là-dessus, elle devra déchanter.

Pourquoi ce chiffre de 800 000 ne la fait-elle pas reculer d’effroi ? Parce que l’Allemagne est forte de 82 millions d’habitants et que 800 000 représente en chiffre rond 1 % de population supplémentaire pour le pays (soit l’équivalent de… 650 000 entrées dans le cas de la France). Peut-être aussi que la chancelière et son entourage se souviennent du dernier pic du solde migratoire observé en Allemagne en 1992. Cette année-là déjà, sans compter les Allemands de l’Est passés à l’Ouest, la population du pays avait déjà progressé de 1 %, dont une moitié environ de réfugiés. Les guerres des Balkans avaient déclenché un afflux de demandeurs d’asile, les immigrés yougoslaves qui devaient revenir au pays étaient restés en Allemagne, et des visas de « retour » avaient été accordés aux Aussiedler, ces Russes ou Kazakhs réputés d’origine allemande. Dans cette seule année 1992, le pays avait déjà gagné 800 000 habitants et, surtout, il avait appris à se mobiliser.

Dans son discours d’août 2015, Angela Merkel évoque ces précédents des années 1990 pour rappeler qu’ils illustrent une tradition nationale d’accueil des réfugiés. Elle n’en tire pas argument pour justifier le chiffrage des 800 000, elle se contente d’extrapoler pour décembre 2015 la progression d’une courbe des demandes largement engagée depuis 2014. De fait, son discours aura peu d’effet sur l’allure de la courbe, qui continue de progresser au rythme antérieur.

Résumons la situation : quand elle lance sa formule Wir schaffen das, qui symbolisera sa politique d’accueil, l’afflux des réfugiés représente déjà la moitié du point culminant de la courbe des demandes, qui sera finalement atteint en mars 2016. Angela Merkel n’a pas amorcé un appel d’air ; elle a simplement exhorté les Allemands à poursuivre les opérations d’accueil.

Raisons ou déraison : les motivations supposées de la chancelière

Reste à comprendre les motivations qui l’ont poussée à ne pas fermer les frontières. Les commentaires qui ont tenté, à travers l’Europe, de donner un sens à sa décision forment un vaste corpus, qui serait en soi un bel objet de recherche. Tout le spectre des motivations possibles y est passé, des plus désintéressées aux plus intéressées, des plus naïves aux plus calculatrices, des plus émotives aux plus rationnelles.

Pour les uns, Angela Merkel a donné libre cours à ses convictions religieuses. Fille d’un pasteur protestant, elle aurait cédé à un mouvement de charité chrétienne envers des êtres humains en détresse. Pour preuve, quinze jours plus tard à Karlsruhe, au congrès des militants de la CDU, elle déclare que les exilés « ne sont pas des masse de gens qui arrivent, ce sont des personnes […], ils sont tous enfants de Dieu ». Un discours impensable dans notre République laïque, où les sources évangéliques du principe d’égalité sont ignorées, mais qui fait sens en Allemagne. Sur un registre plus politique, on a aussi soutenu que la chancelière renouait avec la Willkommenskultur, la « culture d’accueil » que l’Allemagne fédérale pratique à l’égard des réfugiés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Pour l’historien Paul Nolte, professeur à l’Université libre de Berlin, la chancelière était en phase avec un impératif de réparation morale (Wiedergutmachung) cherchant à exorciser pour toujours le passé national-socialiste du pays (Les Échos, 9 septembre 2015). D’autres ont évoqué des visées hégémoniques : elle a profité de la pusillanimité de ses homologues européens (François Hollande, au premier chef) pour doubler le leadership économique de l’Allemagne d’un magistère moral. Une interprétation récusée par Isabelle Bourgeois, la rédactrice en chef de Regards sur l’économie allemande[3].

Mais un tout autre registre d’explications a séduit nombre de commentateurs, celui du calcul utilitariste et de l’intérêt bien compris. Angela Merkel aurait misé sur la jeunesse des exilés pour compenser le déficit des naissances en Allemagne (version démographique de l’argument) mais aussi sur leur capacité à combler les pénuries de main-d’œuvre (version économique). Les entreprises allemandes avaient donc tout à y gagner. Ces explications ont connu quelque succès en France et au Royaume-Uni, notamment chez les essayistes ou les polémistes qui soutiennent que l’accueil massif des réfugiés répond à un besoin spécifique de l’Allemagne en aucun cas généralisable à d’autres pays. Marine Le Pen poussera cette logique à outrance, sur la ligne marxisante dont elle est coutumière : « l’Allemagne a totalement ouvert ses portes aux migrants pour de basses raisons économiques, voyant dans cette masse humaine un réservoir de travailleurs à bas coût » (communiqué du 14 septembre 2015).

Une dernière série d’imputations consiste à juger la décision d’Angela Merkel folle, insensée, extravagante, irrationnelle, etc. Quand on ne comprend pas le comportement d’autrui, l’expédient le plus simple est de l’expulser du champ de la raison. Il faut lire à ce sujet les réflexions de Marc Angenot sur le « jugement de folie » dans ses Dialogues de sourds[4]. Dans le communiqué que l’on vient de citer, Marine Le Pen dénonce la « folie migratoire » de l’Allemagne, une locution qui fera florès dans la droite ultra et qui pose un problème de cohérence : comment combiner le jugement de folie avec la dénonciation du calcul économique ? À titre d’anthologie, citons quelques exemples du jugement de folie appliqué par nos politiques à la question migratoire. Les plus constants dans le genre furent Nicolas Sarkozy (qui préparait sa nouvelle campagne présidentielle), ainsi que Marine Le Pen :

— en réponse au plan Juncker visant à relocaliser les exilés bloqués en Grèce et en Italie, la France s’engage à accueillir 24 000 demandeurs d’asile en deux ans (2016 et 2017) : « C’est de la folie ! », rétorque Nicolas Sarkozy ;

— « la proposition de la Commission européenne d’ouvrir un système de quota d’accueil d’immigrés avec sanction financière à la clé pour les pays qui refuseraient est insensée » (le même, août 2016) ;

— l’accord Merkel-Erdoğan levant l’obligation de visas pour les migrants turcs ? « Une folie dans le contexte sécuritaire et migratoire que nous connaissons » (le même au Figaro, 8 mai 2016) ;

— la décision de Justin Trudeau d’accueillir au Canada 25 000 réfugiés syriens ? « Je le dis : une folie » (Marine Le Pen à Radio-Canada le 28 novembre 2015) ;

— prétendre que l’immigration est « essentielle à la croissance » (Carlos Moedas, commissaire européen à la Recherche) ? « Folie politique des dirigeants européens » (la même, site du Front national, 11 mai 2015).

Morale ou politique ? Le faux dilemme

Sagesse ou folie ? Esprit calculateur ou compatissant ? On n’entre pas dans le cerveau d’autrui comme dans un moulin. A fortiori, on ne sonde pas aisément les motivations d’un chef d’État soumis à des exigences contradictoires. Les surnoms donnés à la chancelière en Allemagne au fil de ses quatre mandats reflètent ce tiraillement. Le plus populaire est « Maman », Mutti, qui souligne son comportement sans façons, son refus de la rhétorique et du clinquant, son sens de la discrétion efficace. Angela Merkel était d’autant plus maternelle pour son pays qu’elle n’a jamais eu d’enfants. Mais on l’a qualifiée aussi de Teflon-Kanzlerin car les critiques glissaient sur elle comme sur une poêle antiadhésive. Son intransigeance vis-à-vis de la Grèce dans la crise de l’euro lui a valu le sobriquet de « Madame Non » (sur le modèle de Margaret Thatcher). Le sociologue Ulrich Beck (décédé en janvier 2015) n’avait pas hésité, dans Non à l’Europe allemande : Vers un printemps européen ? (éditions Autrement, 2013) à la traiter de Merkiavel parce que son discours européen dissimulait à ses yeux une vision cynique et hégémonique de l’Allemagne. Comble de l’équivoque, les internautes allemands avaient pris l’habitude de moquer l’attentisme de la chancelière en forgeant le verbe merkeln, « tergiverser, refuser d’agir, s’abstenir de donner son point de vue », au point que le sondage annuel du Jugendwort pour désigner le mot le plus en vogue chez les jeunes avait consacré ce verbe ironique début août 2015 ! Angela Merkel avait d’ailleurs été interrogée à ce sujet dans la conférence de presse du 31 août et, sans surprise, avait botté en touche… Étrangement, ce néologisme survivra à la crise des réfugiés, mais est utilisé désormais par antiphrase.

Est-il besoin d’ajouter que les poncifs appliqués à la personne d’Angela Merkel et à sa politique migratoire mériteraient une sérieuse analyse de genre ?[5] Femme de pouvoir dominant durablement la scène européenne à condition d’effacer sa féminité, maternelle à l’excès quand elle cède à l’émotion devant la détresse des réfugiés. Dans ce schème de pensée toujours prégnant, on est viril quand on ferme les frontières, on joue les dames patronnesses quand on les ouvre. Les esprits forts, d’un côté ; les belles âmes, de l’autre. C’est cette petite paire de tenailles que Chantal Delsol manie systématiquement dans ses tribunes. S’apitoyer sur le sort du petit Alan Kurdi, soutenait-elle, c’est céder à une émotion orchestrée par la presse internationale, se laisser submerger par la morale, là où la politique exige de protéger notre identité (Le Figaro, 3 septembre 2015). Elle vient, du reste, d’adresser le même reproche au pape François, ce jésuite argentin « étranger à notre culture », qui, lui aussi, se laisse attendrir par le sort des migrants et ose invoquer l’Évangile pour faire de la morale au lieu de faire de la politique (La Croix, 15 septembre 2021). C’est oublier cette vérité toute simple que toutes les options possibles – ouvrir ou fermer les frontières, accueillir les exilés ou les rejeter – sont à la fois morales et politiques.

Dans sa précieuse analyse du troisième mandat d’Angela Merkel, publiée en 2017[6], Gwénola Sebaux rappelle le spectaculaire revirement de l’opinion publique allemande sur la politique migratoire de la chancelière : de septembre à novembre 2015, on passe de 95 % d’approbation à 81 % d’opinions négatives (la part du public jugeant que le gouvernement « ne maîtrise pas la crise des réfugiés »). Et ce, selon le même institut de sondage, Infratest dimap. Dans l’intervalle, nombre de communes se sont plaint du soutien insuffisant de l’État et les bénévoles se sont usés. Dès septembre 2015, le Spiegel campe en couverture une Angela Merkel grimée en Mère Teresa. S’érigeant en porte-parole de l’opinion publique, le magazine souligne la mutation radicale de son image : « Longtemps, les Allemands ont vu dans leur chancelière un décideur rationnel et réfléchi. Mais avec la crise des réfugiés, une nouvelle Merkel a émergé, mue par l’empathie. Tout se passe comme si Angela Merkel en proie à l’émotion était de plus en plus sujette à l’erreur. » C’est l’antique argument de la raison brouillée par la passion, du logos chassé par le pathos. Les meilleurs spécialistes de l’argumentation, telles Ruth Amossy, Christian Plantin[7] ou Marianne Doury[8], le soulignent pourtant avec force : on peut argumenter rationnellement le « devoir d’éprouver » et le « devoir d’agir », il n’y a pas de frontière étanche entre le pathos et le logos ; « les valeurs sont des vecteurs d’émotion reconnus » et « l’émotion est le ressort de l’action ».

Un leadership de conviction ?

La question du Spiegel a été reprise en 2019 par un trio de politistes autrichien, néerlandais et britannique[9], mais dans les catégories de leur discipline : peut-on dire qu’Angela Merkel ait basculé d’un « leadership pragmatique » à un « leadership de conviction » ? C’est une allusion à la distinction établie par Max Weber entre éthique de responsabilité et éthique de conviction, distinction devenue un lieu commun très apprécié de nos élites, une variante chic de l’opposition primaire entre politique et morale. Tout haut fonctionnaire français ayant fait ses classes à Sciences Po est imbu de ce dualisme, qui offre un quitus moral commode quand on veut « assumer » ses responsabilités « sans état d’âme ».

On l’ignore trop souvent (car Raymond Aron n’en dit mot dans la préface à l’édition française de 1959 régulièrement rééditée), la conférence de Max Weber sur « le savant et le politique » a été prononcée à l’Université de Munich au lendemain de la première guerre mondiale, alors que la ville était aux mains des spartakistes. Le sociologue s’adressait aux jeunes militants qui avaient pris le pouvoir et rêvaient de réformes radicales, pour leur rappeler qu’ils devaient pondérer leur évangile social par la prise en compte des conséquences. Weber n’aiguise pas à l’extrême le dilemme des deux éthiques : elles polarisent le champ sans le scinder. Helms et ses collègues reviennent sur le cas d’Angela Merkel en déplaçant le dilemme de Weber : à quoi s’oppose au juste une « politique de conviction » ? Est-ce forcément à une Realpolitik responsable ? En réalité, d’autres options sont possibles (et nous prolongeons ici la liste proposée par les trois chercheurs) : une politique de conviction peut s’opposer à des comportements irresponsables, tels que l’opportunisme, le cynisme, le clientélisme, l’attentisme, la dérobade. Il existe par ailleurs des comportements politiques inclassables dans la logique binaire des deux éthiques, comme la recherche du consensus, le respect du pluralisme, l’écoute d’autrui, qui peuvent être guidés par des valeurs éminemment démocratiques, tout en visant des résultats concrets.

Nul ne peut nier, soulignent les trois chercheurs, que Ronald Reagan et Margaret Thatcher aient été des conviction leaders. Mais il suffit de songer aux chefs d’État français pour comprendre que le diagnostic n’est pas si simple. Il peut varier sensiblement dans le cas de Charles de Gaulle, selon qu’on considère l’appel du 18 juin, le discours de Bayeux sur la Constitution, l’allocution du Forum d’Alger (« Je vous ai compris ! ») ou l’interview de 1965 (« la ménagère française, elle veut le progrès mais pas la pagaille »). Les convictions de François Mitterrand étaient à double fond, celles de Jacques Chirac sans grand mystère. Les convictions de Nicolas Sarkozy sur l’immigration « choisie » et la « diversité » ont beaucoup varié. On cherche encore les convictions de François Hollande en matière de politique migratoire et l’on dira, pour faire vite, qu’Emmanuel Macron a une conviction bien ancrée, celle d’être l’homme de la situation contre toutes les convictions possibles. Que le lecteur nous pardonne ces raccourcis sans prétention scientifique ; ils n’ont pas d’autres buts que défaire la fausse évidence du partage entre éthique de responsabilité et éthique de conviction, dont la vulgate se ramène le plus souvent à opposer la politique (qui ne s’embarrasse pas de morale) à la morale (dépourvue de sens politique).

Peut-être Angela Merkel livrera-t-elle un jour ses confidences sur le cheminement qu’elle a suivi pour prendre sa décision d’août 2015. Le témoignage de Sigmar Gabriel, leader du SPD et vice-chancelier à l’époque, est éclairant (The Harvard Gazette, 28 mai 2019). La chancelière, raconte-t-il, avait tenu bon dans une réunion décisive du cabinet. Certains ministres réclamaient une solution à la hongroise : fermer les frontières avec l’Autriche et la république Tchèque, construire une clôture anti-migrants. Prenant Sigmar Gabriel à part, elle le conjura : « Promets-moi, je t’en prie, que jamais nous ne construirons de nouveaux murs en Allemagne contre des gens qui fuient des guerres civiles et veulent seulement sauver leurs vies et celles de leurs enfants ». Recevant son doctorat honoris causa à Harvard, elle raconta comment, jeune physicienne en Allemagne de l’Est, elle avait vécu la chute du Mur : « le monde s’était grand ouvert devant moi ». Une expérience aussi fondatrice est à la fois personnelle et politique.

Le texte de l’allocution du 31 août 2015 est toujours accessible sur le site de la chancellerie. Quand on prend la peine de le lire intégralement au lieu de le réduire à une petite phrase, on découvre que son argumentaire n’a rien de mystérieux : « Nous évoquerons au préalable ce qui au fond doit nous guider et ce qui me touche également (was uns eigentlich leiten sollte und was auch mich bewegt) quand on dit que viendront chez nous cette année jusqu’à 800 000 personnes, d’après les dernières prévisions. » Elle n’hésite pas à lier dans la même phrase le nous et le je. Le nous guidé par des principes, le je sujet à l’émotion. Mais le ressort est le même : c’est la violation des principes qui suscite l’émotion et non pas une passion personnelle. La compassion, dans ce cas précis, n’est pas une faiblesse sentimentale, l’attendrissement d’une belle âme, mais l’issue logique d’un raisonnement : ne pas reproduire à l’encontre d’autrui les errements de l’histoire qu’on a soi-même subis, savoir se mettre à la place d’autrui parce qu’on sait d’expérience que les positions sont réversibles.

De fait, la suite du discours est un abrégé de droit constitutionnel. La chancelière rappelle que le droit d’asile inscrit dans la Constitution s’applique non seulement aux réfugiés politiques mais à tous ceux qui fuient les guerres sans être persécutés politiquement. De même, le respect de la dignité de la personne, inscrit dans l’article 1er, s’applique à tous, y compris, précise-t-elle, aux déboutés du droit d’asile. C’est sur cette base, affirme Angela Merkel, qu’il faut condamner les actes de violence à l’encontre des centres d’hébergement d’urgence, qui venaient de se succéder.

L’impossible partage de la charge de l’accueil

Accueillir les réfugiés est donc une question de principe. Encore faut-il savoir accueillir. C’est le versant pragmatique du discours, mais qui reste lié à un principe de justice : le « partage équitable » de l’effort (l’allemand a récupéré le mot anglais fair et parle de faire Verteilung). Toutes les composantes de la nation doivent y prendre leur part : les communes, les Länder, l’État fédéral, mais aussi (évoqués en filigrane) le monde associatif et les Églises. Nulle opposition entre l’approche pragmatique et le respect des valeurs : l’organisation de la justice spatiale est précisément source d’efficacité. Ce raisonnement est conforme à la conception fédérale de l’État allemand ; il utilise un instrument statistique, la « clé de Königstein », qui distribue les subventions fédérales en fonction de la population et de la richesse des territoires et qui avait déjà servi à répartir les réfugiés en 1992.

La chancelière insiste sur la nécessité d’étendre à toute l’Europe ce principe de juste répartition. Une semaine après son discours, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, lui emboîte le pas : il annonce un plan visant à relocaliser en deux ans dans les États-membres quelque 120 000 personnes bloquées en Italie, en Grèce ou en Hongrie et qui nécessitent une protection. Eurostat doit pour cela calculer une clé de répartition à l’allemande, qui tienne compte de la population et de la richesse de chaque État. Mais le gouvernement de Manuel Valls va chercher à réduire la part de la France en réclamant l’introduction de deux autres critères : le taux de chômage et les demandes d’asile en cours de traitement. Plus un pays a de chômeurs et de demandeurs d’asile, moins il sera tenu d’accueillir de nouveaux exilés. Cette demande n’est pas purement technique : elle revient à réduire la part structurelle des « capacités d’accueil » (la population et la richesse) au profit d’une conception politique restrictive des capacités d’accueil (elles seraient déjà limitées par les politiques passées, il n’est plus question de les étendre). Mais la France n’aura pas gain de cause dans ces tractations européennes sur la répartition de l’accueil : dans la clé de répartition finale, le critère de la population nationale comptera pour 40 %, de même que le PIB, laissant seulement 10 % au taux de chômage et 10 % au stock des demandes. Le principe de justice spatiale continue donc de prévaloir. Peine perdue, comme on sait : le plan Juncker reposant sur cette clé tournera au fiasco devant le refus catégorique des pays de l’ex-Europe de l’Est et le peu d’enthousiasme de la France et du Royaume-Uni.

Il faut rappeler au passage qu’il existe en France un équivalent de la clé de Königstein : elle permet à l’État de répartir la dotation globale de fonctionnement aux collectivités locales, mais elle n’a jamais été appliquée à l’hébergement des demandes d’asile. Il a fallu attendre plus de trois ans pour que le Parlement français approuve, par la loi du 10 septembre 2018, le principe du SNADAR, le Schéma national d’accueil des demandeurs d’asile et d’intégration des réfugiés. La clé de répartition des demandeurs d’asile entre les régions sera publiée seulement en décembre 2020. C’est une clé à la française, distribuant les demandes en fonction de la population et du PIB par habitant, et en raison inverse du taux de chômage et des capacités existantes du dispositif national d’accueil. L’Île-de-France, qui concentre 46 % des demandeurs d’asile, devrait ainsi en héberger deux fois moins, tandis que les proportions en Auvergne-Rhône-Alpes devraient remonter de 9 % à 13 %. Alors que le système allemand valorise l’idéal de la répartition équitable, le système français vise essentiellement à désengorger la région capitale en envoyant les excédents en région : c’est un pragmatisme vertical, non raccordé à un système de valeur.

La force de l’ethos collectif

Un dernier type d’argument émaille le discours de la chancelière, celui de l’ethos collectif. Il consiste à exalter l’image positive de l’Allemagne pour mobiliser la population. C’est en fait sur ce thème qu’elle ouvre le paragraphe décisif de son discours : « Je le dis très simplement : l’Allemagne est un pays fort (ein starkes Land). Et voici ce qui doit nous motiver dans cette affaire : nous avons su faire tant de choses – nous saurons y faire ! Et si quelque chose se dresse sur notre chemin, il faudra le surmonter, il faudra y travailler. Le gouvernement fédéral fera tout ce qui est en son pouvoir pour y parvenir – avec les Länder, avec les municipalités. »

L’ensemble du discours est émaillé de références à la puissance économique de l’Allemagne, à son organisation administrative et juridique, à son rôle en Europe. Au total, la thèse du Spiegel ne tient pas. La chancelière n’a pas pris sa décision sous le coup d’une émotion qui aurait réduit sa capacité de jugement. Angela n’a pas péché par angélisme. Son discours entrelace les trois types d’arguments distingués dans la Rhétorique d’Aristote et développés par les travaux contemporains sur l’argumentation : le logos, le pathos et l’ethos. Le logos, en l’occurrence, est la référence argumentée aux principes de droit et l’appel à une juste répartition de l’effort. Le pathos tient essentiellement dans l’indignation soulevée par la violation des droits de la personne. L’ethos, enfin, au sens précis de ce mot dans l’analyse rhétorique (qui n’est pas le sens sociologique), est l’image de soi qui se construit dans le discours. Non pas l’image de la chancelière (à aucun moment elle ne se met en avant dans cette affaire) mais l’image d’une nation prospère, organisée, équilibrée, solidaire, respectueuse des droits fondamentaux et respectée sur la scène internationale. C’est là, très exactement, le propre de l’« ethos collectif » défini par Ruth Amossy : « la construction verbale d’une image collective permet de donner au groupe ou au mouvement la capacité à agir sur l’auditoire et par là sur le réel ; elle n’est pas seulement un instrument identitaire, elle est aussi un levier de pouvoir.[10] »

Le discours d’Angela Merkel était donc, si l’on peut dire, un discours fédéral et fédérateur – fédérateur parce que fédéral. Est-ce une raison pour le cantonner à une réalité proprement allemande ? C’est une question majeure que les Français devraient se poser. En France, on le sait, l’ethos collectif est construit autour d’un idéal dit « républicain », c’est-à-dire, selon la nouvelle acception du mot « républicain » introduite en 2021 dans le Petit Larousse illustré : « conforme aux idéaux d’égalité, d’ordre public et de centralisation propre à la conception française de la république ». Et cela soulève la question de savoir si la vision française officielle du lien social – qui tend à relier verticalement le citoyen à l’État au détriment des liens horizontaux – permet de construire une mobilisation collective efficace vis-à-vis de l’immigration et de la demande de refuge.

Un indicateur révélateur : le poids des exilés

La suite des événements a-t-elle donné tort à la chancelière ? Au début de l’année 2016, elle subit la double pression de ses alliés bavarois et des Länder de l’Est. Comme une bonne partie de la société allemande, elle est ébranlée par l’affaire des agressions sexuelles massives du Nouvel An 2016 : plus d’un millier de plaintes de femmes enregistrées à Cologne, mais aussi dans d’autres villes, commises pour la plupart par de jeunes hommes d’origine maghrébine et, semble-t-il, par une faible minorité de Syriens. La place nous manque ici pour confronter les interprétations de cet épisode. Il est clair qu’il a cassé le lien de confiance que nombre d’Allemands avaient tissé avec les réfugiés, pour ne rien dire des attentats islamistes revendiqués par Daech.

Dans les mois qui suivent, la coalition dirigée par Angela Merkel multipliera les mesures réduisant les droits des exilés, par exemple en allongeant de deux ans le délai du regroupement familial pour les réfugiés bénéficiant d’une protection subsidiaire et non de la Convention de Genève. En mars 2016, Angela Merkel conclura un deal avec le président turc Recep Erdoğan, ravivant ainsi, sous une forme externalisée et invisible, la conception d’une barrière anti-migrants qu’elle avait vigoureusement combattue en août 2015. La contradiction est flagrante, certes, mais elle est largement imputable au refus des États membres de l’Union européenne de se partager équitablement l’accueil des réfugiés à travers toute l’Europe. Après l’échec des deux plans Juncker de répartition, l’Allemagne ne pouvait plus se permettre de porter à elle seule un tiers de la charge de l’accueil.

Il existe plusieurs manières de dresser le bilan statistique de l’accueil des réfugiés dans l’Espace économique européen (EEE) depuis 2014. L’essentiel est de raisonner en proportion et non en chiffres absolus. Selon les données d’Eurostat, les 32 pays de l’EEE ont enregistré en sept ans, de 2014 à 2020 quelque 5,6 millions de premières demandes d’asile déposées par des exilés non européens, venus pour l’essentiel du Moyen-Orient et d’Afrique orientale. Le chiffre peut paraître énorme, mais il faut le rapporter aux 522 millions d’habitants que comptait l’EEE en 2014 : cela représente seulement, en l’espace de sept ans, une augmentation de la population de 1,1 % – tout le contraire d’un « tsunami » ou d’une « invasion », et sans commune mesure avec le surcroît de population apporté par les exilés au Liban, en Jordanie ou en Turquie (environ quatre fois plus élevé en moyenne).

On peut comparer le comportement des divers pays européens en examinant les variations de ce surcroît depuis 2014, grâce aux données précises compilées par Eurostat. Dans le cas de la France, les demandes d’asile enregistrées de 2014 à 2020 ont apporté 1 % de population supplémentaire, si l’on fait l’hypothèse (maximaliste) que les déboutés (les trois quarts d’entre eux) demeurent tous sur le territoire. Nous sommes donc proches de la moyenne européenne, certes nettement au-dessus du Royaume-Uni (+ 0,4 %) mais loin derrière l’Allemagne et l’Autriche (+ 2,4 % chacune). La France dépasse l’Italie (+ 0,8 %) et l’Espagne (+ 0,7 %), qui ont souvent organisé le transit des demandeurs sans les enregistrer. Les pays où le surcroît de population dû aux demandeurs d’asile est le plus important en termes relatifs sont les pays méditerranéens placés en première ligne : la Grèce (+ 2,8 %), Malte (+ 3,3 %) et Chypre (+ 4,6 %). Il est d’autant plus remarquable d’observer que la Suède, fort éloignée du théâtre des opérations, s’intercale dans le haut du tableau (+ 3,4 %). Dans les pays d’Europe centrale, où l’idéologie communiste a isolé les peuples pendant quarante ans et interdit toute familiarisation avec l’immigration non européenne, l’accroissement de population imputable aux exilés est resté voisin de zéro. Or le Royaume-Uni, toute honte bue, n’a pas fait mieux, profitant de son insularité et de son éloignement pour jouer les tire-au-flanc : de 2014 à 2020, et toujours en proportion du nombre d’habitants, il a accordé sa protection à dix fois moins d’exilés que l’Allemagne et trois fois moins que la France, tout en barrant la route aux migrants d’Europe centrale par le biais du Brexit.

Au cœur de cette Europe déchirée, l’Allemagne d’Angela Merkel a dû s’adapter à la mauvaise volonté de ses voisins. Il est important d’observer que le discours du 31 août 2015 contenait déjà une allusion directe à la nécessité de soutenir la Turquie dans l’accueil des réfugiés, afin de tarir les sources de l’exil. Le deal germano-turc était donc envisagé dès le départ. L’erreur d’Angela Merkel – si l’on peut se permettre un tel verdict depuis la position confortable que procure le recul – ne fut pas de traiter avec la Turquie en mars 2016, ni d’entraîner dans son sillage les autres pays de l’Union à signer un accord peu glorieux avec Ankara. Elle consista à croire que les pays de l’Union partageaient encore les valeurs communes de l’Europe et qu’ils pourraient s’accorder un jour sur un plan de répartition équitable des réfugiés. Idée devenue d’autant plus impraticable au fil du temps que les exilés avaient eux-mêmes leurs préférences et leurs réseaux et n’entendaient pas se laisser orienter d’office vers des pays qui ne les attiraient pas ou qui (comme la France) les accueillaient à bras fermés. Nous ne sommes plus Européens, sauf par un accord tacite sur une politique du laisser-survivre et, souvent, du laisser-mourir aux portes de l’Europe. Par son initiative courageuse et réfléchie de ne pas fermer les frontières aux exilés de 2015, Angela Merkel a littéralement planté les dirigeants des grands pays européens, France et Royaume-Uni compris. Mais l’écart s’est creusé, et l’Allemagne a dû rebrousser chemin pour coller aux passions tristes de l’Europe. Angela Merkel est sortie de cette épreuve avec tous les honneurs. On ne peut pas en dire autant de ses homologues européens.

Qui s’en souvient encore ? Commentant à chaud sur une chaîne française le discours prononcé le 31 août par la chancelière, un polémiste français du nom d’Éric Zemmour eut ce propos définitif : « Mme Merkel vient de signer la fin de la civilisation allemande ! » N’est pas prophète qui veut. La civilisation en question, incarnée depuis seize ans par la figure d’Angela Merkel, se porte bien, merci. Elle poursuit son œuvre d’intégration. Elle a survécu au déclin des valeurs européennes de solidarité. Nul doute qu’elle survivra aussi à tous les commentaires.

Cet article a été publié pour la première fois dans le quotidien AOC le 22 septembre 2021. 


[1] On apprendra plus tard que les victimes, vietnamiennes pour la plupart, avaient fait basculer le camion dans l’espoir de provoquer l’ouverture des portes mais que le chef des passeurs, un Afghan, avait ordonné à ses complices bulgares de les abandonner à leur sort.

[2] Ralph Bollmann, Angela Merkel : Die Kanzlerin und ihre Zeit, C.H. Beck, 2021, non traduit en français.

[3] Isabelle Bourgeois, « Allemagne : “Wir schaffen das”, une approche collective », Colloque France terre d’asile, Paris, 4 novembre 2016.

[4] Marc Angenot, Dialogues de sourds : traité de rhétorique antilogique, Fayard, 2008.

[5] Clara Martinez, « Gendered Media Representations in International Relations: Part 1: German Chancellor Angela Merkel », Journal of the Centre for Feminist Foreign Policy, 17 février 2018.

[6] Gwénola Sebaux, « La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise », Allemagne d’aujourd’hui, 2017, vol. 222, n°4,  pp. 94 à 113.

[7] Christian Plantin, Dictionnaire de l’argumentation. Une introduction aux études d’argumentation, Lyon, ENS Éditions, 2016.

[8] Marianne Doury, Argumentation. Analyser textes et discours, Armand Colin, 2016.

[9] Ludger Helms, Femke Van Esch et Beverly Crawford, « Merkel III: From Committed Pragmatist to ‘Conviction Leader’? », German Politics, n°28, 2019, pp. 350 à 370.

[10] Ruth Amossy et Eithan Orkibi (dir.), Ethos collectif et identités sociales, Classiques Garnier, 221, p. 23.

François Héran

sociologue et démographe, Professeur au Collège de France

Notes

[1] On apprendra plus tard que les victimes, vietnamiennes pour la plupart, avaient fait basculer le camion dans l’espoir de provoquer l’ouverture des portes mais que le chef des passeurs, un Afghan, avait ordonné à ses complices bulgares de les abandonner à leur sort.

[2] Ralph Bollmann, Angela Merkel : Die Kanzlerin und ihre Zeit, C.H. Beck, 2021, non traduit en français.

[3] Isabelle Bourgeois, « Allemagne : “Wir schaffen das”, une approche collective », Colloque France terre d’asile, Paris, 4 novembre 2016.

[4] Marc Angenot, Dialogues de sourds : traité de rhétorique antilogique, Fayard, 2008.

[5] Clara Martinez, « Gendered Media Representations in International Relations: Part 1: German Chancellor Angela Merkel », Journal of the Centre for Feminist Foreign Policy, 17 février 2018.

[6] Gwénola Sebaux, « La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise », Allemagne d’aujourd’hui, 2017, vol. 222, n°4,  pp. 94 à 113.

[7] Christian Plantin, Dictionnaire de l’argumentation. Une introduction aux études d’argumentation, Lyon, ENS Éditions, 2016.

[8] Marianne Doury, Argumentation. Analyser textes et discours, Armand Colin, 2016.

[9] Ludger Helms, Femke Van Esch et Beverly Crawford, « Merkel III: From Committed Pragmatist to ‘Conviction Leader’? », German Politics, n°28, 2019, pp. 350 à 370.

[10] Ruth Amossy et Eithan Orkibi (dir.), Ethos collectif et identités sociales, Classiques Garnier, 221, p. 23.