Rediffusion

Angela Merkel et les réfugiés

sociologue et démographe

Le départ récent d’Angela Merkel donne l’occasion de revenir sur un épisode marquant de son quatrième mandat : la « crise européenne des réfugiés ». Si nombre de commentateurs ont interprété sa prise de parole du 31 août 2015 comme une déclaration d’ouverture des frontières, il serait plus juste de dire qu’elle a surtout refusé de les fermer, dans la continuité d’une politique d’accueil alors largement engagée. Une politique à suivre de près, à sa succession, à l’aune de la crise afghane. Rediffusion du 22 septembre 2021

Angela Merkel a officiellement quitté ses fonctions de chancelière d’Allemagne le 2 décembre dernier. Un épisode se détache de son formidable parcours : son comportement pendant la « crise européenne des réfugiés », qui la sépare à jamais de tous les chefs d’État européens. Chacun se souvient de quelle manière elle laissa littéralement sur place François Hollande et la plupart de ses collègues européens. Avec le recul, nous disposons des données objectives et des points de comparaison qui permettent de dresser un bilan durable de ce grand moment.

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La crise éclate au grand jour en août 2015, quand les médias commencent à diffuser en boucle les images de familles syriennes ou afghanes qui cherchent à franchir à pied la frontière serbo-hongroise. Les origines de la crise sont plus anciennes. Elles remontent au moins au Printemps arabe (2010-2012), avant de changer de dimension en 2014 avec l’extension de la guerre civile en Syrie et l’implantation de l’État islamique entre la Syrie et l’Irak. Dès 2014, les ONG et le Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) signalent l’afflux grandissant des réfugiés dans les camps des pays limitrophes et aux frontières de l’Europe. Ils alertent les gouvernements et les donateurs : les fonds récoltés n’autorisent plus qu’une gestion au rabais des camps installés en Turquie ou au Liban. Mais ces appels rencontrent peu d’écho et c’est là une leçon qui ne sera guère retenue par la suite : savoir anticiper les crises en se mettant à l’écoute des acteurs qui œuvrent en première ligne.

La pénurie est telle dans les camps de Turquie que les réfugiés tentent le tout pour le tout : passer en Grèce dans l’espoir de gagner l’Autriche ou l’Allemagne. Ils empruntent jusqu’en août 2015 la route centrale des Balkans via la Serbie et la Hongrie, puis, une fois la frontière hongroise fermée, la route occidentale via la Croatie et la Slovénie. Fidèle à sa tradition, l’Autriche se mobilise pour assurer un accueil d’urgence mais cons


[1] On apprendra plus tard que les victimes, vietnamiennes pour la plupart, avaient fait basculer le camion dans l’espoir de provoquer l’ouverture des portes mais que le chef des passeurs, un Afghan, avait ordonné à ses complices bulgares de les abandonner à leur sort.

[2] Ralph Bollmann, Angela Merkel : Die Kanzlerin und ihre Zeit, C.H. Beck, 2021, non traduit en français.

[3] Isabelle Bourgeois, « Allemagne : « Wir schaffen das », une approche collective », Colloque France terre d’asile, Paris, 4 novembre 2016.

[4] Marc Angenot, Dialogues de sourds : traité de rhétorique antilogique, Fayard, 2008.

[5] Clara Martinez, « Gendered Media Representations in International Relations: Part 1: German Chancellor Angela Merkel », Journal of the Centre for Feminist Foreign Policy, 17 février 2018.

[6] Gwénola Sebaux, « La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise », Allemagne d’aujourd’hui, 2017, vol. 222, n°4,  pp. 94 à 113.

[7] Christian Plantin, Dictionnaire de l’argumentation. Une introduction aux études d’argumentation, Lyon, ENS Éditions, 2016.

[8] Marianne Doury, Argumentation. Analyser textes et discours, Armand Colin, 2016.

[9] Ludger Helms, Femke Van Esch et Beverly Crawford, « Merkel III: From Committed Pragmatist to ‘Conviction Leader’? », German Politics, n°28, 2019, pp. 350 à 370.

[10] Ruth Amossy et Eithan Orkibi (dir.), Ethos collectif et identités sociales, Classiques Garnier, 221, p. 23.

François Héran

sociologue et démographe, Professeur au Collège de France

Notes

[1] On apprendra plus tard que les victimes, vietnamiennes pour la plupart, avaient fait basculer le camion dans l’espoir de provoquer l’ouverture des portes mais que le chef des passeurs, un Afghan, avait ordonné à ses complices bulgares de les abandonner à leur sort.

[2] Ralph Bollmann, Angela Merkel : Die Kanzlerin und ihre Zeit, C.H. Beck, 2021, non traduit en français.

[3] Isabelle Bourgeois, « Allemagne : « Wir schaffen das », une approche collective », Colloque France terre d’asile, Paris, 4 novembre 2016.

[4] Marc Angenot, Dialogues de sourds : traité de rhétorique antilogique, Fayard, 2008.

[5] Clara Martinez, « Gendered Media Representations in International Relations: Part 1: German Chancellor Angela Merkel », Journal of the Centre for Feminist Foreign Policy, 17 février 2018.

[6] Gwénola Sebaux, « La politique migratoire du 3e gouvernement Merkel en temps de crise », Allemagne d’aujourd’hui, 2017, vol. 222, n°4,  pp. 94 à 113.

[7] Christian Plantin, Dictionnaire de l’argumentation. Une introduction aux études d’argumentation, Lyon, ENS Éditions, 2016.

[8] Marianne Doury, Argumentation. Analyser textes et discours, Armand Colin, 2016.

[9] Ludger Helms, Femke Van Esch et Beverly Crawford, « Merkel III: From Committed Pragmatist to ‘Conviction Leader’? », German Politics, n°28, 2019, pp. 350 à 370.

[10] Ruth Amossy et Eithan Orkibi (dir.), Ethos collectif et identités sociales, Classiques Garnier, 221, p. 23.