Rediffusion

L’écoféminisme n’est pas un essentialisme

Philosophe

Est-il possible de penser la manière dont des processus de domination peuvent s’exercer conjointement sur les femmes et sur la nature sans assigner la féminité à une essence intangible ? Associer les femmes à la nature, cela peut sembler une essentialisation qui ferait obstacle à leur émancipation. Mais cela peut aussi permettre de renverser notre regard et, à l’heure des crises écologiques que nous traversons, de questionner la prétendue évidence selon laquelle l’arrachement à la nature serait un préalable nécessaire à toute libération. Rediffusion du 27 septembre 2021

Écoféminisme : le mot a été inventé par Françoise d’Eaubonne, dans un livre publié en 1974, Le féminisme ou la mort. Vite oublié en France, le terme resurgit aux États-Unis dans les années 1980 pour désigner toute une série de mouvements rassemblant des femmes autour de luttes écologistes très diverses : marches antimilitaristes et antinucléaires, communautés agricoles de femmes, mobilisations contre la pollution[1]

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Ces engagements de femmes dans des luttes écologiques se sont répandus un peu partout dans le monde, particulièrement dans les Suds (Inde, Afrique, Amérique du Sud…), où des femmes se sont mobilisées contre la déforestation, contre l’extractivisme ou pour la justice environnementale[2]… Très présentes dans les manifestations pour le climat, notamment en 2015, les mobilisations écoféministes sont revenues en Europe, particulièrement en France, où ces mouvements se sont multipliés et où le terme rencontre un grand succès[3].

Cependant, cette façon d’associer les femmes et la nature paraît suspecte à certains. Les femmes seraient-elles, par nature, plus portées à s’occuper de l’environnement ? Seraient-elles plus naturelles que les hommes ? La méfiance est particulièrement forte dans un pays comme la France où l’on affirme volontiers que la nature n’existe pas et où la tradition féministe est plutôt universaliste (les femmes sont des hommes comme les autres) et constructiviste : « on ne naît pas femme, on le devient ». Cette tradition ne peut qu’être hostile à un différentialisme qui prêterait une nature particulière aux femmes. La nature n’est donc pas une ressource pour les femmes, c’est au contraire le piège qui leur est tendu : les femmes sont naturalisées pour être mieux dominées.

Une domination croisée des femmes et de la nature

L’écoféminisme regroupe une grande variété de mouvements politiques qui suscitent une grande diversité d’idées : on ne peut lui assigner une doctrine unique. Or, l’accuser d’essentialisme ou de naturalisme revient à


[1] Voir Reclaim, Recueil de textes écoféministes, choisis et présentés par Émilie Hache, Paris, Éditions Cambourakis, 2016.

[2] Voir les Cahiers du genre, 59, 2015, Genre et environnement, Nouvelles menaces, nouvelles analyses au Nord et au Sud.

[3] Multitudes, n° 67, été 2017, Dossier sur l’écoféminisme dirigé par Jeanne Burgart Goutal.

[4] Julia Cook, Reclaim, op. cit., p. 287

[5] Carolyn Merchant, The Death of Nature : Women, Ecology and the Scientific Revolution, 1980, La mort de la nature, Wildproject, septembre 2021.

[6] Emile Hache, Préface, in Reclaim, op. cit., p. 30.

[7] Reclaim the Earth : Women Speak Out for Life on Earth, Leonie Caldecott and Stephanie Leland (dir.), Women’s Press 1983.

[8] Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Paris, Zones, éditions La Découverte, 2018.

[9] Starhawk, Rêver l’obscur, Femmes, magie et politique, Paris, éditions Cambourakis, 2014, p. 352.

[10] Starhawk, Rêver l’obscur, op. cité, notamment p. 339.

[11] Donna Haraway, Staying with the trouble (2016), Habiter le trouble avec Donna Haraway, textes réunis et présentés par Florence Caeymaex, Vinciane Despret et Julien Pieron, éditions Dehors, 2019.

[12] Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables, Paris, Aubier, 1995, p. 145.

Catherine Larrère

Philosophe, Professeur émérite à l'université de Paris I-Panthéon-Sorbonne, Spécialiste de philosophie morale et politique.

Notes

[1] Voir Reclaim, Recueil de textes écoféministes, choisis et présentés par Émilie Hache, Paris, Éditions Cambourakis, 2016.

[2] Voir les Cahiers du genre, 59, 2015, Genre et environnement, Nouvelles menaces, nouvelles analyses au Nord et au Sud.

[3] Multitudes, n° 67, été 2017, Dossier sur l’écoféminisme dirigé par Jeanne Burgart Goutal.

[4] Julia Cook, Reclaim, op. cit., p. 287

[5] Carolyn Merchant, The Death of Nature : Women, Ecology and the Scientific Revolution, 1980, La mort de la nature, Wildproject, septembre 2021.

[6] Emile Hache, Préface, in Reclaim, op. cit., p. 30.

[7] Reclaim the Earth : Women Speak Out for Life on Earth, Leonie Caldecott and Stephanie Leland (dir.), Women’s Press 1983.

[8] Mona Chollet, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Paris, Zones, éditions La Découverte, 2018.

[9] Starhawk, Rêver l’obscur, Femmes, magie et politique, Paris, éditions Cambourakis, 2014, p. 352.

[10] Starhawk, Rêver l’obscur, op. cité, notamment p. 339.

[11] Donna Haraway, Staying with the trouble (2016), Habiter le trouble avec Donna Haraway, textes réunis et présentés par Florence Caeymaex, Vinciane Despret et Julien Pieron, éditions Dehors, 2019.

[12] Aldo Leopold, Almanach d’un comté des sables, Paris, Aubier, 1995, p. 145.