Numérique

Les médias sociaux feront-ils la présidentielle 2022 ?

Sociologue

À moins de trois mois des présidentielles, il est crucial d’avoir une conscience très claire de l’impact réel des réseaux sociaux sur notre démocratie. S’il faut prendre au sérieux ce qui se joue dans les espaces publics numériques, l’opinion exprimée sur le web, légitimée avant tout par les médias traditionnels et dénuée de représentativité, ne peut à elle seule permettre de prédire l’issue de l’élection.

« On parle sans cesse de consulter l’opinion publique ; c’est une intention fort louable, dont le résultat doit être fort utile au gouvernement et à la nation. Mais qu’est-ce que l’opinion publique ? Est-ce celle de ma coterie ? Est-ce celle du café du coin ? Est-ce en écoutant aux portes, en décachetant les lettres, qu’on apprendra ce que c’est ? Non. Quel est donc le moyen de savoir ce qu’elle veut, ce qu’elle craint ? De le savoir en tout temps, en toute circonstance, pour toute chose, pour ce qu’on fait, pour ce qu’on veut faire ? C’est d’établir un système d’informations combinées qui la prenne là où elle est, et la donne périodiquement telle qu’elle est. »
P.-L. Roederer, responsable de la Direction de l’esprit public. Lettre au Premier consul (1802). Cité par Jaume (1989), L’esprit jacobin et la démocratie

L’ancienneté de la citation ci-dessus atteste de la longue histoire des dispositifs de mesure de l’opinion, et des questions politiques que ces derniers soulèvent. Alors que la préoccupation pour l’opinion publique se fait pressante en ce début de XIXe siècle, le responsable de la Direction de l’esprit public, section du ministère de l’Intérieur spécialement destinée à sa mesure, met – à raison – l’accent sur les « systèmes d’information » par lesquels des matériaux épars, disséminés au sein d’une société, peuvent devenir, sous certaines conditions, « l’opinion publique » majuscule qui intéresse le gouvernement.

De l’enquête de police au sondage, en passant par le micro-trottoir, chaque dispositif inventé au fil du temps pour résoudre ce problème porte en lui une vision bien spécifique de ce qu’est l’acte d’opiner, des opinions qui comptent et de la manière dont celles-ci peuvent être agrégées. Aujourd’hui, la massification de l’expression sur les médias sociaux pose à nouveau cette question ancienne.

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En facilitant la diffusion, l’agrégation et la mise en visibilité des opinions de tout un chacun dans l’espace public, les plateformes comme Twitter


[1] Cette affirmation a été largement démentie par diverses rédactions journalistiques dans les jours qui ont suivi. Voir notamment l’article des Décodeurs du Monde.

[2] Voir ici, ici ou .

[3] Hunt Allcott, Matthew Gentzkow, « Social Media and Fake News in the 2016 Election », Journal of Economic Perspectives, 2017, 31, 2, p. 211‑236.

[4] Yochai Benkler, Robert Faris et Hal Roberts, Network propaganda. Manipulation, disinformation, and radicalization in American politics, Oxford University Press, 2018

[5] Ignacio Siles, Networked Selves: Trajectories of Blogging in the United States and France, Peter Lang (Digital formations), 2017

[6] Anaïs Théviot, « “Twitter en regardant la télé” : une campagne transmédias interactive ? Analyse comparée des stratégies numériques du Parti socialiste et de l’Union pour un mouvement populaire lors des ripostes-party », Télévision, 2014, n° 5, 1, p. 95.

[7] Loïc Blondiaux, La fabrique de l’opinion. Une histoire sociale des sondages, Seuil, 1998

[8] Pour la sociologie des usages politiques de Twitter, voir notamment Julien Boyadjian, Analyser les opinions politiques sur Internet : enjeux théoriques et défis méthodologiques, Dalloz (Nouvelle bibliothèque de thèses. Science politique), 2016

[9] Susan Herbst, Numbered voices. How opinion polling has shaped American politics, The University of Chicago Press, 1995

[10] S’il nous semble aujourd’hui une condition de la justice électorale, le fait même de voter seul et en secret, via l’isoloir, a fait l’objet de controverses enflammées à partir de la fin du XIXe siècle dans les démocraties occidentales ; il ne s’impose qu’en 1913 en France. Voir à ce sujet l’article d’Alain Garrigou, « Le secret de l’isoloir », Actes de la recherche en sciences sociales, 1988, 71‑72, p. 22‑45.

[11] Pierre Bourdieu, « L’opinion publique n’existe pas », Les Temps Modernes, 1973, 318, p. 1292‑1309.

 

Baptiste Kotras

Sociologue, Chargé de recherche à l'INRAE

Notes

[1] Cette affirmation a été largement démentie par diverses rédactions journalistiques dans les jours qui ont suivi. Voir notamment l’article des Décodeurs du Monde.

[2] Voir ici, ici ou .

[3] Hunt Allcott, Matthew Gentzkow, « Social Media and Fake News in the 2016 Election », Journal of Economic Perspectives, 2017, 31, 2, p. 211‑236.

[4] Yochai Benkler, Robert Faris et Hal Roberts, Network propaganda. Manipulation, disinformation, and radicalization in American politics, Oxford University Press, 2018

[5] Ignacio Siles, Networked Selves: Trajectories of Blogging in the United States and France, Peter Lang (Digital formations), 2017

[6] Anaïs Théviot, « “Twitter en regardant la télé” : une campagne transmédias interactive ? Analyse comparée des stratégies numériques du Parti socialiste et de l’Union pour un mouvement populaire lors des ripostes-party », Télévision, 2014, n° 5, 1, p. 95.

[7] Loïc Blondiaux, La fabrique de l’opinion. Une histoire sociale des sondages, Seuil, 1998

[8] Pour la sociologie des usages politiques de Twitter, voir notamment Julien Boyadjian, Analyser les opinions politiques sur Internet : enjeux théoriques et défis méthodologiques, Dalloz (Nouvelle bibliothèque de thèses. Science politique), 2016

[9] Susan Herbst, Numbered voices. How opinion polling has shaped American politics, The University of Chicago Press, 1995

[10] S’il nous semble aujourd’hui une condition de la justice électorale, le fait même de voter seul et en secret, via l’isoloir, a fait l’objet de controverses enflammées à partir de la fin du XIXe siècle dans les démocraties occidentales ; il ne s’impose qu’en 1913 en France. Voir à ce sujet l’article d’Alain Garrigou, « Le secret de l’isoloir », Actes de la recherche en sciences sociales, 1988, 71‑72, p. 22‑45.

[11] Pierre Bourdieu, « L’opinion publique n’existe pas », Les Temps Modernes, 1973, 318, p. 1292‑1309.