Justice

Retour sur le procès « hors norme » des attentats de janvier 2015

Sociologue

Revenir sur le procès des attentats de janvier 2015 pourra servir l’analyse de celui du 13 novembre 2015, lorsque l’heure sera venue pour les sciences sociales d’en comprendre les enjeux fondamentaux, à l’aune des débats et du verdict, attendu pour mai 2022. Smaïn Laacher, qui a suivi quotidiennement les audiences cinquante-quatre jours durant, partage pour AOC les enseignements sociologiques qu’il retire de cet événement hors norme.

Aucun procès ne ressemble à un autre. Mais, lorsqu’il s’agit de procès pour terrorisme de masse et si l’on se donne la peine de regarder de près, on peut aisément remarquer quelques puissants invariants. Prenons l’exemple des attentats de janvier et de novembre 2015. Dans les deux cas les accusés sont jugés par des cours d’assises spécialement composées ; les procès sont qualifiés de « procès hors norme ». Rien que pour le procès du 13 novembre 2015 : 330 avocats dont environ 300 représentent les parties civiles et 1 765 personnes parties civiles d’une vingtaine de nationalités, un million de pages de dossier d’instruction qui compte 542 tomes, soit 53 mètres linéaires (l’équivalent d’un tiers de la hauteur du tribunal judiciaire de Paris).

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Dans les deux cas, pour des raisons de sécurité, le déploiement de la police et de la gendarmerie est impressionnant et les contrôles effectués pour accéder au palais de justice (Paris et Porte Clichy) sont extrêmement scrupuleux ; une salle d’audience principale et d’autres salles équipées de vidéotransmission sont mises à la disposition du public (accrédité ou non) et le procès est filmé ; des centaines de journalistes (français et étrangers) présents les jours d’audiences jugées les plus intéressantes ou les plus passionnantes ; la durée des procès : 3 mois pour le procès de janvier 2015, environ 6 mois pour le second, etc.

Arrêtons-là cette rapide présentation de quelques similitudes entre les deux procès. Celui des attentats de janvier 2015 est terminé (septembre-novembre 2020), l’autre, est en cours (septembre-mai 2022). Sur ce dernier, je m’abstiendrai de tout commentaire car il est loin d’être achevé et je ne pourrais pas mieux dire que celles et ceux qui ont chroniqué jusqu’alors chaque audience.

En revanche, je souhaiterais revenir sur le procès qui a eu lieu au tribunal judiciaire de la Porte de Clichy et en tirer, avec le recul, quelques enseignements sociologiques qui, à n’en point douter, se retrouveront,


[1] Smaïn Laacher, Juger la terreur. Le procès des attentats de janvier 2015, Éditions de l’aube, 2022

[2] Justine Lacroix, Michaël Foessel, « Pourquoi Lefort “compte” », revue Esprit, n° 451, Janvier-février 2019, p.44.

[3] Contrairement à un lieu commun, les réseaux sociaux n’ont pas joué un rôle décisif (bien loin de là) dans l’embrigadement ou la « radicalisation » des accusés. Peut-être un rôle d’« excitateurs » au début du projet des trois assassins. D’ailleurs, il en a été très peu question lors de ce procès. Les énigmes concernaient, entre autres, mais surtout l’usage de la téléphonie et des SMS. En fait, pour qu’une telle opération (Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de Vincennes) soit menée jusqu’au bout, il est impératif d’être d’une absolue discrétion. Les frères Kouachi ont été, de ce point de vue, un modèle d’école. Le réseau social ne produit pas l’acte et dans le cas qui nous intéresse ici, il est même très secondaire. Il a fallu que les assassins se voient, se connaissent déjà depuis un certain temps, s’appuient sur des « compagnons » de route relativement fiables, dépendent les uns des autres (s’être connus dans la même cité ou en prison, ou avoir des liens familiaux, est très important), participent collectivement à l’achat d’armes, les transportent, etc. Et cela ne se fait pas avec les réseaux sociaux. Un téléphone, des SMS, un peu d’argent, des voitures, des armes, des vêtements de combat et… beaucoup de discrétion suffisent à mener une opération de cette envergure.

[4] On se reportera, à propos de cette distinction, à l’ouvrage d’António R. Damásio, Spinoza avait raison ; le cerveau de la tristesse, de la joie et des émotions, Odile Jacob, 2003.

[5] Les accusés sont quasiment restés muets tout au long du procès sur leur antisémitisme réel ou supposé et leur pensée raciste. L’antisémitisme réel doublé d’un racisme biologique était surtout l’obsession explicite et revendiqués des frères Kouachi et d’Amédy Coulibaly.

Smaïn Laacher

Sociologue, Professeur de sociologie à l'Université de Strasbourg

Mots-clés

Mémoire

Notes

[1] Smaïn Laacher, Juger la terreur. Le procès des attentats de janvier 2015, Éditions de l’aube, 2022

[2] Justine Lacroix, Michaël Foessel, « Pourquoi Lefort “compte” », revue Esprit, n° 451, Janvier-février 2019, p.44.

[3] Contrairement à un lieu commun, les réseaux sociaux n’ont pas joué un rôle décisif (bien loin de là) dans l’embrigadement ou la « radicalisation » des accusés. Peut-être un rôle d’« excitateurs » au début du projet des trois assassins. D’ailleurs, il en a été très peu question lors de ce procès. Les énigmes concernaient, entre autres, mais surtout l’usage de la téléphonie et des SMS. En fait, pour qu’une telle opération (Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de Vincennes) soit menée jusqu’au bout, il est impératif d’être d’une absolue discrétion. Les frères Kouachi ont été, de ce point de vue, un modèle d’école. Le réseau social ne produit pas l’acte et dans le cas qui nous intéresse ici, il est même très secondaire. Il a fallu que les assassins se voient, se connaissent déjà depuis un certain temps, s’appuient sur des « compagnons » de route relativement fiables, dépendent les uns des autres (s’être connus dans la même cité ou en prison, ou avoir des liens familiaux, est très important), participent collectivement à l’achat d’armes, les transportent, etc. Et cela ne se fait pas avec les réseaux sociaux. Un téléphone, des SMS, un peu d’argent, des voitures, des armes, des vêtements de combat et… beaucoup de discrétion suffisent à mener une opération de cette envergure.

[4] On se reportera, à propos de cette distinction, à l’ouvrage d’António R. Damásio, Spinoza avait raison ; le cerveau de la tristesse, de la joie et des émotions, Odile Jacob, 2003.

[5] Les accusés sont quasiment restés muets tout au long du procès sur leur antisémitisme réel ou supposé et leur pensée raciste. L’antisémitisme réel doublé d’un racisme biologique était surtout l’obsession explicite et revendiqués des frères Kouachi et d’Amédy Coulibaly.