Société

Ce que l’imagination de l’exode urbain veut dire

Géographe

Si la pandémie de Covid-19 a bien renforcé le sentiment d’inconfort de la vie urbaine, elle n’a pas bouleversé les structures territoriales françaises qui restent marquées par l’essor toujours croissant des espaces périurbains. La rhétorique de l’exode urbain perpétue en fait une dualité insurpassable de la « ville » et de la « campagne » essentialisées. Elle témoigne aussi d’une « urbanophobie » qui se modalise dans la détestation de Paris.

À moins de vivre dans une thébaïde, difficile de ne pas constater la multiplication, ces derniers mois, des articles de presse consacré à un « exode urbain » – une sorte de mouvement contraire à l’exode rural – que la pandémie de Covid aurait enclenché en France. On a pu lire nombre de textes positifs voire enthousiastes : Paris et les métropoles perdraient de leur superbe et seraient délaissées par des habitants redécouvrant les vertus insurpassables des petites villes, des villages et des campagnes, dressés en pays de cocagne. Enfin les français reviendraient à la raison géographique et reconnaitraient les valeurs des territoires – le mot-valise territoires, au pluriel, se muant quasiment en interjection pour désigner le creuset de tout ce qui serait authentique par opposition à l’artificialité des organisations urbaines mondialisées.

Samuel Depraz, dans ces colonnes[1], a souligné que l’on pouvait trouver des manifestations d’une telle imagination géographique dès le début de la croissance urbaine. Par imagination géographique, il faut entendre ce qu’un individu (et/ou) un groupe social pense, dit, raconte, représente de l’organisation de l’espace, des actions légitimes qu’on peut y accomplir, des valeurs intrinsèques et d’usage qu’on peut y affecter. Ce n’est donc pas qu’un imaginaire individuel, mais un ensemble de principes instituant des attitudes et des pratiques, donnant un tour particulier aux actes des opérateurs sociaux.

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Le discours de l’exode urbain doit être pris au sérieux, bien que les études scientifiques montrent qu’il n’est guère fondé sur des réalités empiriques solides. Ainsi, le POPSU-PUCA, une structure de recherche dépendant du Ministère de la transition écologique, a publié le 17 février 2022 une enquête pluridisciplinaire : Exode urbain? Petits flux, grands effets. Les mobilités résidentielles à l’ère (post-)Covid, qui a permis de mobiliser des données originales : les chercheurs ont étudié les requêtes immobilières effectuées su


[1] Samuel Depraz, « L’exode urbain, un mythe », AOC, 2 décembre 2021.

[2] Cf. Michel Lussault, Hyper-lieux. Nouvelles géographies de la mondialisation, Le Seuil, 2017.

[3] Cf. Neil Brenner and Christian Schmidt, « The “urban age” in question », International Journal of Urban and Regional Research, vol 38-3, 2014, 731 -755.

[4] Henri Raymond (dir.), L’habitat pavillonnaire, CRU, 1966.

[5] Gérard Bauer & Jean-Michel Roux, La rurbanisation, ou la ville éparpillé, Le Seuil, 1976.

[6] Jérome Fourquet et Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux. Économie, paysages, nouveaux modes de vie, Le Seuil, 2021.

[7] Bernard Kayser, La renaissance rurale. Sociologie des campagnes du monde occidental, Colin, 1990.

[8] Cf, notamment les travaux de Laurent Davezie, La République et ses territoires. La circulation invisible des richesses. Seuil, coll. « La République des idées », 2009 et de Bernard Pecqueur et Magali Tallandier, « Les espaces de développement résidentiel et touristique – état des lieux et problématiques ». Territoires 2040, no 3, 2011, p. 120-138.

[9] « L’hypothèse de l’habiter poly-topique : pratiquer les lieux géographiques dans les sociétés à individus mobiles. »EspacesTemps.net, Travaux, 2006

[10] Joëlle Salomon Cavin, La ville mal-aimée, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2005.

[11] Guillaume Faburel, Les métropoles barbares. Pour en finir avec les grandes villes, Le passager Clandestin, 2018. Idem, Pour une écologie post-urbaine, Le passager clandestin, 2020.

[12] Il y aurait beaucoup à dire pour étudier le trope du déracinement, ses différentes manifestations historiques qui voient des personnages aussi dissemblables que Barrès et Simone Weil s’emparer de la question dans des perspectives au demeurant totalement différentes.

[13] On rappellera au demeurant que le solde migratoire de Paris intra-muros et de l’Ile de France (la région pouvant aisément être considérée comme congruente de la mégapole parisienne) est en général négat

Michel Lussault

Géographe, Professeur à l’Université de Lyon (École Normale Supérieure de Lyon) et directeur de l’École urbaine de Lyon

Notes

[1] Samuel Depraz, « L’exode urbain, un mythe », AOC, 2 décembre 2021.

[2] Cf. Michel Lussault, Hyper-lieux. Nouvelles géographies de la mondialisation, Le Seuil, 2017.

[3] Cf. Neil Brenner and Christian Schmidt, « The “urban age” in question », International Journal of Urban and Regional Research, vol 38-3, 2014, 731 -755.

[4] Henri Raymond (dir.), L’habitat pavillonnaire, CRU, 1966.

[5] Gérard Bauer & Jean-Michel Roux, La rurbanisation, ou la ville éparpillé, Le Seuil, 1976.

[6] Jérome Fourquet et Jean-Laurent Cassely, La France sous nos yeux. Économie, paysages, nouveaux modes de vie, Le Seuil, 2021.

[7] Bernard Kayser, La renaissance rurale. Sociologie des campagnes du monde occidental, Colin, 1990.

[8] Cf, notamment les travaux de Laurent Davezie, La République et ses territoires. La circulation invisible des richesses. Seuil, coll. « La République des idées », 2009 et de Bernard Pecqueur et Magali Tallandier, « Les espaces de développement résidentiel et touristique – état des lieux et problématiques ». Territoires 2040, no 3, 2011, p. 120-138.

[9] « L’hypothèse de l’habiter poly-topique : pratiquer les lieux géographiques dans les sociétés à individus mobiles. »EspacesTemps.net, Travaux, 2006

[10] Joëlle Salomon Cavin, La ville mal-aimée, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2005.

[11] Guillaume Faburel, Les métropoles barbares. Pour en finir avec les grandes villes, Le passager Clandestin, 2018. Idem, Pour une écologie post-urbaine, Le passager clandestin, 2020.

[12] Il y aurait beaucoup à dire pour étudier le trope du déracinement, ses différentes manifestations historiques qui voient des personnages aussi dissemblables que Barrès et Simone Weil s’emparer de la question dans des perspectives au demeurant totalement différentes.

[13] On rappellera au demeurant que le solde migratoire de Paris intra-muros et de l’Ile de France (la région pouvant aisément être considérée comme congruente de la mégapole parisienne) est en général négat