Politique

Demain, le chaos parlementaire ?

Politiste

À rebours du chaos parlementaire annoncé à l’envi par les commentateurs, une remise en perspective historique permet de comprendre que la Ve République a été conçue pour permettre de suppléer à l’absence, pensée comme quasi structurelle, d’une véritable majorité de gouvernement. Si les législatives de 2022 ne signent donc ni la fin de la Ve République ni l’avènement d’une République nouvelle, le camp présidentiel va toutefois devoir acquérir une nouvelle qualité, et c’est peut-être là le plus difficile – car c’est la faiblesse congénitale du macronisme : savoir faire de la politique.

Très nombreux sont les commentateurs à prédire demain un chaos parlementaire et une impuissance gouvernementale. C’est oublier que la Ve République a été conçue pour permettre au pouvoir gouvernant d’agir même en l’absence d’une majorité stable sur la durée d’une législature.

La Ve République et la question majoritaire

Le problème de la stabilité gouvernementale est en effet l’un de ceux que veulent résoudre prioritairement les constituants. Si l’objectif premier de la Constitution de 1958 est de renforcer le pouvoir gouvernant – dans le cadre maintenu d’un régime de type parlementaire –, cet objectif ne peut être atteint si l’instabilité des relations entre partis et l’indiscipline intra-partisane conduisent, comme sous la IVe République, à une instabilité gouvernementale chronique. Les accords se font et se défont régulièrement au Parlement, en fonction des sujets traités, et au gré de ces fluctuations les gouvernements « sautent ». Des majorités se constituent ponctuellement sur tel ou tel sujet mais jamais le gouvernement ne peut compter sur « sa » majorité, constante, loyale et fidèle entre deux élections législatives.

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Même si cela n’apparaît pas de façon toujours très explicite, le problème de la majorité parlementaire est donc au cœur des préoccupations des constituants. On peut même dire que le problème de la majorité – de son absence serait-il plus juste d’écrire – est ce qui donne du sens à l’ensemble du dispositif de « rationalisation du parlementarisme » mis en place en 1958.

Pourquoi ? Parce que, pour les contemporains, la majorité parlementaire, telle que nous la concevons de nos jours, cohérente et disciplinée, prévisible et durable, parfois « plurielle » et néanmoins réelle, n’est en effet qu’une pure abstraction, un idéal, un horizon improbable. En 1958, l’idée de majorité parlementaire n’a pas un siècle, du moins si l’on entend par là – comme nous le faisons aujourd’hui – une coalition préconstituée en dehors du Parlement dont l’expressio


[1] Voir Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Calmann-Lévy, 1995.

[2] Voir Nicolas Rousselier, Le Parlement de l’éloquence, Presses de Sciences Po, 1997.

[3] Voir Daniel Gaxie, « Les structures politiques des institutions : l’exemple de la IVe République », Politix, n°20, 1992.

[4] Nicolas Rousselier désigne par cette expression une « relation en forme de pacte synallagmatique par lequel le gouvernement est redevable du compte-rendu de ses actes devant la majorité et par lequel la majorité est redevable d’une discipline de vote à l’égard du gouvernement » (« Phénomène de majorité et relation de majorité », Politix, n°20, 1992).

[5] Par exemple Pierre Avril, La Ve République. Histoire politique et constitutionnelle, PUF, 1994.

[6] Il y a à l’époque 579 députés. Le mandat des députés des départements algériens s’achève en juillet 1962. À partir de la deuxième législature (1962-1967), le nombre des députés passe à 482, puis augmente les législatures suivantes jusqu’à atteindre 577 lors de la huitième législature (1986-1988).

[7] La loi du 1er décembre 1988 instaurant le RMI est adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en dernière lecture.

[8] Désormais, chaque président de groupe peut faire inscrire chaque année à l’ordre du jour complémentaire une proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête. 11 commissions d’enquête seront mises en place durant la législature, l’opposition obtenant 5 présidences et un rapport.

[9] Ce dispositif expérimental de questionnement d’un ministre, dont l’objet est de permettre aux députés de « passer au crible » la gestion d’un département ministériel et ses orientations, ne sera pas reconduit à partir de la 10ème législature.

[10] À la différence près que cette fois ce n’est plus un Premier ministre qui est à la manœuvre. Le quinquennat a fini par produire totalement ses effets : si le Premier ministre reste le pivot politico-administratif du travail gouvernemental, c’est désormais le Président

Bastien François

Politiste, Professeur de science politique à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et président de la Fondation de l’écologie politique.

Notes

[1] Voir Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Calmann-Lévy, 1995.

[2] Voir Nicolas Rousselier, Le Parlement de l’éloquence, Presses de Sciences Po, 1997.

[3] Voir Daniel Gaxie, « Les structures politiques des institutions : l’exemple de la IVe République », Politix, n°20, 1992.

[4] Nicolas Rousselier désigne par cette expression une « relation en forme de pacte synallagmatique par lequel le gouvernement est redevable du compte-rendu de ses actes devant la majorité et par lequel la majorité est redevable d’une discipline de vote à l’égard du gouvernement » (« Phénomène de majorité et relation de majorité », Politix, n°20, 1992).

[5] Par exemple Pierre Avril, La Ve République. Histoire politique et constitutionnelle, PUF, 1994.

[6] Il y a à l’époque 579 députés. Le mandat des députés des départements algériens s’achève en juillet 1962. À partir de la deuxième législature (1962-1967), le nombre des députés passe à 482, puis augmente les législatures suivantes jusqu’à atteindre 577 lors de la huitième législature (1986-1988).

[7] La loi du 1er décembre 1988 instaurant le RMI est adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en dernière lecture.

[8] Désormais, chaque président de groupe peut faire inscrire chaque année à l’ordre du jour complémentaire une proposition de résolution visant à créer une commission d’enquête. 11 commissions d’enquête seront mises en place durant la législature, l’opposition obtenant 5 présidences et un rapport.

[9] Ce dispositif expérimental de questionnement d’un ministre, dont l’objet est de permettre aux députés de « passer au crible » la gestion d’un département ministériel et ses orientations, ne sera pas reconduit à partir de la 10ème législature.

[10] À la différence près que cette fois ce n’est plus un Premier ministre qui est à la manœuvre. Le quinquennat a fini par produire totalement ses effets : si le Premier ministre reste le pivot politico-administratif du travail gouvernemental, c’est désormais le Président