Société

Droit à l’IVG : ouvrons une nouvelle ère du constitutionnalisme

Juriste, Juriste, Juriste

À la suite de l’onde de choc causée par la décision Dobbs de la Cour suprême des États-Unis du 24 juin 2022, le débat relatif à l’inscription formelle du droit à l’avortement dans la Constitution française s’est ouvert avec le dépôt d’une proposition de loi constitutionnelle par des député.e.s LREM. Une opportunité historique se fait ainsi jour d’ouvrir, de manière pionnière, le texte constitutionnel aux questions reproductives. Un tel choix se justifie tant par les fonctions symboliques de la Constitution que par un intérêt pratique : garantir la pérennité des droits reproductifs.

La décision rendue par la Cour suprême des États-Unis le 24 juin 2022 au sujet de la liberté constitutionnelle d’avorter produit l’effet d’une onde de choc. Elle ne constitue pourtant malheureusement pas une surprise : juristes et acteurs de terrain états-uniens documentaient depuis plusieurs années déjà la fragilisation progressive du droit à l’avortement dans leur pays, et les récentes nominations à la Cour suprême laissaient augurer de la possible fin prochaine du principe affirmé par la Cour en 1973 dans l’affaire Roe v. Wade. Selon cet arrêt historique, le droit de privacy qui se déduit des « pénombres » de la Constitution[1] protège le droit des femmes à interrompre leur grossesse, au moins pendant le premier trimestre voire jusqu’à la viabilité de l’enfant à naître – stade au-delà duquel les intérêts de l’État à préserver la vie pouvaient reprendre le dessus[2]. De façon prévisible[3], Roe v. Wade a donc été infirmé par l’arrêt Dobbs v. Jackson Womens Health Organization[4].

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Si ce revirement était attendu, la sidération n’en est pas moins grande. De là à ce qu’il suscite des projets de révision constitutionnelle est plus inédit. En France, en particulier, si l’avortement continue de rencontrer une opposition certaine ainsi que des difficultés concrètes en termes, notamment, d’accès effectif[5], il faut concéder que le sujet est politiquement loin d’être aussi controversé[6] et que son socle juridique est bien plus consolidé que dans de nombreux pays. Que penser, dès lors, des projets visant à « inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution[7]» ?

Il faut tout d’abord rappeler que l’idée de constitutionnaliser des droits procréatifs n’est pas purement circonstancielle : une proposition de loi constitutionnelle visant à protéger le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) avait été présentée en 2019[8] mais n’avait pas prospéré, faute d’avoir été inscrite à l’ordre du jour. L’année précédente, en 2018, des parlementaire


[1] C’est dans l’arrêt Griswold v. Connecticut de 1965 que la Cour suprême énonce déduire le droit de privacy (qui va, en l’espèce, fonder l’inconstitutionnalité de la criminalisation de l’achat de contraceptifs) des « pénombres » de la Constitution. Ce faisant, elle prend appui sur une herméneutique du « substantive due process », que l’on pourrait qualifier d’interprétation substantielle de la clause de Due Process figurant dans le 14ème amendement de la Constitution fédérale (« aucun État ne fera ou n’appliquera de lois qui restreindraient les privilèges ou les immunités des citoyens des États-Unis ; ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière »).

[2] Roe v. Wade, 410 US 113 (1973), et pour une réaffirmation : Planned Parenthood v. Casey, 505 U.S. 833 (1992).

[3] V. Johann Morri, « La machine à remonter le temps : à propos de la “fuite” du projet d’opinion du juge Alito dans l’affaire du droit à l’avortement », La Revue des droits de l’Homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 13 juin 2022.

[4] Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, 597 US ___ (2022).

[5] V. par ex. Assemblée nationale, Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Rapport sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), n° 3343, 16 septembre 2020.

[6] « Les Français veulent-ils constitutionnaliser le droit à l’avortement en France ? », Fondation Jean Jaurès, 05 juillet 2022.

[7] V. Proposition de loi constitutionnelle visant à garantir le droit à l’interruption de grossesse déposée par Mme Aurore Bergé le 30 juin 2022, ainsi que la proposition de l’intergroupe NUPES à l’Assemblée.

[8] Assemblée nationale, Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse, n° 2086, 1er juillet 2019.

[9] Projet de loi constitutionnelle n° 911 pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, 9 mai

Stéphanie Hennette Vauchez

Juriste, professeure de droit public à l’Université Paris Nanterre, Directrice du CREDOF (Centre de recherches et d’étude sur les droits fondamentaux)

Diane Roman

Juriste, Professeure de droit public à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Serge Slama

Juriste, Professeur de droit public à l'Université Grenoble-Alpes

Mots-clés

IVG

Notes

[1] C’est dans l’arrêt Griswold v. Connecticut de 1965 que la Cour suprême énonce déduire le droit de privacy (qui va, en l’espèce, fonder l’inconstitutionnalité de la criminalisation de l’achat de contraceptifs) des « pénombres » de la Constitution. Ce faisant, elle prend appui sur une herméneutique du « substantive due process », que l’on pourrait qualifier d’interprétation substantielle de la clause de Due Process figurant dans le 14ème amendement de la Constitution fédérale (« aucun État ne fera ou n’appliquera de lois qui restreindraient les privilèges ou les immunités des citoyens des États-Unis ; ne privera une personne de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière »).

[2] Roe v. Wade, 410 US 113 (1973), et pour une réaffirmation : Planned Parenthood v. Casey, 505 U.S. 833 (1992).

[3] V. Johann Morri, « La machine à remonter le temps : à propos de la “fuite” du projet d’opinion du juge Alito dans l’affaire du droit à l’avortement », La Revue des droits de l’Homme [En ligne], Actualités Droits-Libertés, mis en ligne le 13 juin 2022.

[4] Dobbs v. Jackson Women’s Health Organization, 597 US ___ (2022).

[5] V. par ex. Assemblée nationale, Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, Rapport sur l’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG), n° 3343, 16 septembre 2020.

[6] « Les Français veulent-ils constitutionnaliser le droit à l’avortement en France ? », Fondation Jean Jaurès, 05 juillet 2022.

[7] V. Proposition de loi constitutionnelle visant à garantir le droit à l’interruption de grossesse déposée par Mme Aurore Bergé le 30 juin 2022, ainsi que la proposition de l’intergroupe NUPES à l’Assemblée.

[8] Assemblée nationale, Proposition de loi constitutionnelle visant à protéger le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse, n° 2086, 1er juillet 2019.

[9] Projet de loi constitutionnelle n° 911 pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, 9 mai