Numérique

Le droit à l’avortement à l’épreuve de l’algorithme

Chercheur en sciences de l'information et de la communication

Le drame du 24 juin 2022 et de la fin de l’arrêt Roe v. Wade, c’est au moins autant celui de la fin du droit constitutionnel à l’avortement aux États-Unis que celui du constat de notre effarement devant les outils de contrôle désormais à disposition pleine et entière de ses thuriféraires. Le projet de cette société numérique est celui d’une société de l’assignation. Les femmes sont ramenées à leurs corps. Leurs corps sont ramenés à leurs cycles menstruels. Leurs cycles menstruels sont ramenés à l’indice d’une grossesse calculable, administrable par d’autres qu’elles-mêmes ; comme leurs vies, comme nos vies.

1973. Norma Leah Nelson McCorvey, plus connue sous le pseudonyme de Jane Roe, est la plaignante à l’origine de la décision de la Cour suprême des États-Unis rendant inconstitutionnelles les lois des États interdisant l’avortement. Jusqu’à ce que le 24 juin 2022, la même Cour suprême annonce mettre fin à cette jurisprudence, laissant chaque État libre de l’autoriser ou de l’interdire. Déjà au moins huit d’entre eux, et non des moindres, l’ont interdit.

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Décembre 2018. Une femme, Gillian Brockell, perd son enfant à la naissance. Ce qui aurait pu n’être qu’un drame de plus parmi les 26 000 décès à la naissance constatés aux USA cette année-là, va pourtant faire le tour de la planète. Parce que Gillian Brockell est journaliste et qu’elle écrit aux patrons de la « tech » pour leur signifier cet autre drame et cette autre violence que constituent les incessantes relances publicitaires attachées à son « profil » et l’enjoignant, en plein deuil de son enfant mort-né, à acheter des soutiens-gorge d’allaitement ou des poucettes, et continuant à l’inonder d’astuces pour endormir bébé « alors qu’elle donnerait n’importe quoi pour pouvoir l’entendre crier la nuit. »

Pourtant Gillian Brockell avait déjà documenté son drame, qu’elle décrivait dans une lettre envoyée aux patrons de la tech : « Mais ne m’avez vous pas vu également taper “est-ce que c’est une contraction de Braxton Hicks ?” et “bébé qui ne bouge pas” ? N’avez vous pas remarqué les trois jours de silence, très inhabituels pour une utilisatrice très connectée comme moi ? Et puis n’avez-vous pas vu non plus l’annonce avec les mots-clés “coeur brisé” et “problème” et “mort-né” et les 200 émoticônes larmes de mes amis ? Cela ne fait-il pas partie des choses que vous pouvez surveiller ? »

De la fin de la jurisprudence Jane Roe, à la lettre de Gillian Brockell, l’histoire se répète. Voici comment.

Au lendemain de la décision de la Cour suprême, on semble redécouvrir que les promesses des applications de grossesses


Olivier Ertzscheid

Chercheur en sciences de l'information et de la communication, Maître de conférences à l'université de Nantes (IUT de La Roche-sur-Yon)

Mots-clés

IVG