La mémoire et ses gangrènes
Bien qu’il fasse référence à La Gangrène et l’oubli, l’ouvrage clé de Benjamin Stora paru il y a trente-deux ans[1], ce texte a été déclenché par le nombre des 89 députés du RN (Rassemblement national) élus aux dernières législatives de juin 2022. Leur présence en cette quantité à l’Assemblée nationale confirmait le fort ancrage de l’extrême droite dans la société française en dépit de la défaite de Marine Le Pen aux présidentielles un mois auparavant. Cela a été dit et amplement analysé. On sait également que, depuis les années 1990, des partis européens d’extrême droite effectuent un patient toilettage pour chasser les mauvaises images de leurs engagements ou de leurs compromissions durant la seconde guerre mondiale.

Le MSI-DN (Mouvement social italien – Droite nationale) avait ouvert la voie en 1995 en se rebaptisant Alliance nationale ; le Front national français, devenant Rassemblement national en 2018, a lui-même entamé à l’initiative de Marine Le Pen qui le préside depuis 2011 sa « dédiabolisation », dénomination qui lui est désormais étroitement associée jusqu’à avoir sa page Wikipédia. À ce titre, comme l’analyse Nonna Mayer, il s’est agi pour la fille de prendre ses distances vis-à-vis d’un père, Jean-Marie Le Pen, trop marqué par une longue tradition antiparlementaire et antisémite. Tout cela a à voir avec des questions de mémoire cruciales non seulement pour la lecture du passé mais pour la tenue de l’avenir.
Se refaire une image a ainsi demandé de masquer ou d’écarter une partie des éléments historiques sur lesquels le parti s’était élevé. Toutefois, il est un des piliers de l’extrême droite française agrégée au RN qui n’est et ne sera pas remis en question et s’en trouve même renforcé : c’est le rapport mémoriel à la guerre d’Algérie et à ses suites. Ce rapport mémoriel n’ouvre pas, on s’en doute, sur la perspective d’une réconciliation entre les parties prenantes de ces huit années d’affrontement et de ces cent-trente années de colonisation.