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L’échec constitutionnel chilien : genèse, lectures et leçons

Sociologue, Politiste

Le résultat du plébiscite chilien du 4 septembre 2022 a surpris. S’il était prévisible, comme l’indiquent les sondages depuis le mois d’avril, c’est surtout son ampleur qui a marqué les esprits : 62% des Chiliens ont rejeté la proposition de nouveau texte constitutionnel, avec un taux de participation de 86% de l’électorat, du fait du vote obligatoire et de l’importance de l’enjeu. Il s’agit d’une claque politique qui prolonge l’incertitude, après une explosion sociale en 2019 qui a duré cinq mois, deux ans de pandémie et un an de délibération constitutionnelle. Comment l’expliquer ?

Le travail de la Convention chilienne a soulevé des espoirs bien au-delà du Chili. De nombreux spécialistes en droit constitutionnel se sont penchés sur le berceau de ce nouveau processus qui naissait sous de bons augures. Tout d’abord, la violente explosion sociale de 2019, qui a duré cinq mois, jusqu’à l’arrivée du Covid-19, a été canalisée dans un processus constituant où toutes les forces politiques étaient représentées, ce qui n’est pas habituel en Amérique Latine.

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La parité hommes-femmes, ainsi que des sièges réservés aux peuples autochtones représentaient des innovations fortes. Une autre nouveauté a vu le jour, mais plus controversée : l’existence de listes d’indépendants, proposées par tous les partis politiques en 2020. Elle ne répondait pas à une demande des mouvements sociaux, mais exprimait plutôt la réaction des partis face à l’hostilité de l’opinion à leur endroit. Bien que néfaste du point de vue de la représentation politique, cette idée néo-corporatiste a été soutenue par divers mouvements sociaux et a permis à certains d’entre eux d’inscrire des listes de candidats avec un succès électoral certain (Joignant, 2021).

Le texte proposé par la Convention est considéré par de nombreux spécialistes comme une avancée sur le droit international dans au moins trois domaines : les droits des peuples autochtones, les droits des femmes et les droits associés à la protection de l’environnement. En effet, en plus du fait que le texte établissait de nouveaux droits sociaux, comme le droit au logement et une orientation marquée vers un système de sécurité sociale[1], les femmes allaient bénéficier du droit à l’IVG, supposé être constitutionnalisé, ainsi que de l’établissement de la parité au sein de l’État. Les peuples autochtones verraient reconnaître des droits d’autonomie et l’état d’urgence climatique serait décrété. Pourquoi la population chilienne a-t-elle rejeté le texte, alors qu’il semble apporter des réponses à ses doléances ? Revenons d’abord


[1] Le nouveau texte constitutionnel garantissait par ailleurs un ensemble de droits sociaux classiques associés à la social-démocratie de l’après-guerre, au nom d’un “État démocratique et social de droit”. Il remettait aussi entre les mains de l’État la gestion de l’eau, privatisée sous la dictature.

[2] Pour une description détaillée des divers épisodes qui ont permis la mise en événement du mécontentement sous la forme d’une explosion sociale, voir Somma el al (2020).

[3] En outre, le terme possède une connotation négative au Chili, du fait des expériences bolivienne de 2006 et surtout vénézuélienne de 2017.

[4] Le cas de Franco Parisi est extrêmement rare puisqu’il réside aux Etats-Unis et n’a jamais mis les pieds au Chili pendant la campagne électorale à cause d’une demande judiciaire de son ex-femme pour non-paiement de la pension alimentaire de ses enfants.

[5] https://elpais.com/chile/2022-09-03/por-que-cientos-de-miles-de-personas-en-el-cierre-de-campana-del-apruebo-en-chile-no-son-garantia-de-triunfo.html

Emmanuelle Barozet

Sociologue, professeure au Département de Sociologie de l’Université du Chili

Alfredo Joignant

Politiste, Chercheur principal au COES, professeur titulaire à l’Université Diego Portales

Notes

[1] Le nouveau texte constitutionnel garantissait par ailleurs un ensemble de droits sociaux classiques associés à la social-démocratie de l’après-guerre, au nom d’un “État démocratique et social de droit”. Il remettait aussi entre les mains de l’État la gestion de l’eau, privatisée sous la dictature.

[2] Pour une description détaillée des divers épisodes qui ont permis la mise en événement du mécontentement sous la forme d’une explosion sociale, voir Somma el al (2020).

[3] En outre, le terme possède une connotation négative au Chili, du fait des expériences bolivienne de 2006 et surtout vénézuélienne de 2017.

[4] Le cas de Franco Parisi est extrêmement rare puisqu’il réside aux Etats-Unis et n’a jamais mis les pieds au Chili pendant la campagne électorale à cause d’une demande judiciaire de son ex-femme pour non-paiement de la pension alimentaire de ses enfants.

[5] https://elpais.com/chile/2022-09-03/por-que-cientos-de-miles-de-personas-en-el-cierre-de-campana-del-apruebo-en-chile-no-son-garantia-de-triunfo.html