Société

Conspirationnisme : comment en finir, une bonne fois pour toutes ?

Journaliste

Pourquoi, alors que nous avons tous accepté que la désinformation s’est installée comme un problème majeur pour nos sociétés, ce même cycle mortifère pour le tissu social se reproduit obstinément ? Pourquoi avons-nous tous l’impression d’être dans la roue du hamster, à reproduire les mêmes gestes spontanément, incapables d’en sortir ? Pour le dire plus clairement : pris dans le cycle infernal de la lutte contre la désinformation, ne manquerions-nous nous pas quelque chose d’essentiel ?

C’est, peu ou prou, à chaque fois la même histoire. Qu’il s’agisse d’une fusillade amorcée par un survivaliste, d’une tuerie de masse au Texas, de l’enlèvement d’une fillette dans les Vosges, nous voyons dérouler sous nos yeux, dans le fil de l’actualité, les effets bien réels et parfois tragiques du conspirationnisme et de la désinformation.

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Il en va de même du Covid : alors que le public antivax pur et dur concerne traditionnellement entre 2 et 4% de la société française, cinq millions de personnes demeurent non-vaccinées contre le Covid, soit environ 10% de la population. Rien qu’entre le 8 novembre et le 5 décembre 2021, les non vaccinés représentaient 38% des décès liés au Covid à l’hôpital, soit plus de 500 morts en moins d’un mois, et 52% des admissions en soins critique par un système de santé déjà sur l’os. Parfois, les chiffres mentent. Mais pas ici. Le covido-scepticisme tue.

Mois après mois, les choses empirent et rien ne change. À chaque fait divers, chaque nouvelle poussée de conspirationnisme, chacun reprend son rôle – on fact-check, on dissèque, on s’indigne – et la fois d’après le mur arrive quand même.

Depuis que le Covid a pointé le bout de sa protéine spike, le conspirationnisme a été considéré comme l’autre virus à éradiquer. Émissions de télé dédiées, chroniques dans les matinales, verticales dans les médias, programmes éducatifs et même une commission « Lumières à l’ère du numérique » dépêchée par l’Élysée, dans une posture presque uniformément dénonciatrice.

S’il reste indispensable, pour réaffirmer nos valeurs, de fact-checker, disséquer et s’indigner, la vraie question de fond pour les chercheurs et les journalistes spécialisés réside ailleurs : pourquoi, alors que nous avons tous accepté que la désinformation s’est installée comme un problème majeur pour nos sociétés, ce même cycle mortifère pour le tissu social se reproduit obstinément ? Pourquoi avons-nous tous l’impression d’être dans la roue du hamster, à reproduire les mêmes


[1]La levée des archives sur les sessions du Conseil Constitutionnel, tombée en pleine pic de la deuxième vague du Covid, est passée relativement inaperçue. France Info, qui les a consultées, rapporte une scène incroyable : « La crise politique majeure était plus que probable. Les conseillers constitutionnels n’en ont pas voulu. Tout au long de la journée du 4 octobre 1995, réunis en l’absence des rapporteurs, ils vont donc « raboter » les comptes du candidat Chirac jusqu’à les faire passer sous le plafond. Quand ils y parviennent, Maurice Faure lance un cri, retranscrit tel quel sur le compte-rendu de séance : « Il est sauvé ! » Dans les faits, pour réussir leur « sauvetage », les Sages vont devoir ensuite faire plier les rapporteurs pour qu’ils rédigent des conclusions conformes à leurs aspirations. Pour cela, les fonctionnaires devront accepter de fermer les yeux sur de nombreuses dépenses ».

[2]Par exemple, la France a perdu 2500 cartes de presse entre 2009 et 2019, soit près de 7% des effectifs.

[3]Pour reprendre les titres des livres de Gérald Bronner et Rudy Reichstadt, « La démocratie des crédules » et « L’opium des imbéciles ».

[4]Julien Cueille, Le symptôme complotiste : Aux marges de la culture hypermoderne, Érès, 2020

[5]Ce discours est vieux de quarante ans, expliquent Duncan McLaren et Nils Markusson, chercheurs au Centre Environnemental de Lancastre, qui ont retracé son histoire et souligné ses contrevérités. Même le Financial Times, média libéral de référence, s’est insurgé après la COP26 : « Les technologies ne résoudront pas la crise climatique, car elles ne peuvent être déployées ni à temps, ni à une échelle suffisante ».

[6]Dans le cas de l’islamo-gauchisme, David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS, a analysé l’utilisation de l’expression sur Twitter. Il a montré qu’il s’agissait d’une obsession quasi-exclusive de l’extrême-droite avant sa reprise par les ministres Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer.

[7]Hannah Arendt, Du mensonge à

Anthony Mansuy

Journaliste

Notes

[1]La levée des archives sur les sessions du Conseil Constitutionnel, tombée en pleine pic de la deuxième vague du Covid, est passée relativement inaperçue. France Info, qui les a consultées, rapporte une scène incroyable : « La crise politique majeure était plus que probable. Les conseillers constitutionnels n’en ont pas voulu. Tout au long de la journée du 4 octobre 1995, réunis en l’absence des rapporteurs, ils vont donc « raboter » les comptes du candidat Chirac jusqu’à les faire passer sous le plafond. Quand ils y parviennent, Maurice Faure lance un cri, retranscrit tel quel sur le compte-rendu de séance : « Il est sauvé ! » Dans les faits, pour réussir leur « sauvetage », les Sages vont devoir ensuite faire plier les rapporteurs pour qu’ils rédigent des conclusions conformes à leurs aspirations. Pour cela, les fonctionnaires devront accepter de fermer les yeux sur de nombreuses dépenses ».

[2]Par exemple, la France a perdu 2500 cartes de presse entre 2009 et 2019, soit près de 7% des effectifs.

[3]Pour reprendre les titres des livres de Gérald Bronner et Rudy Reichstadt, « La démocratie des crédules » et « L’opium des imbéciles ».

[4]Julien Cueille, Le symptôme complotiste : Aux marges de la culture hypermoderne, Érès, 2020

[5]Ce discours est vieux de quarante ans, expliquent Duncan McLaren et Nils Markusson, chercheurs au Centre Environnemental de Lancastre, qui ont retracé son histoire et souligné ses contrevérités. Même le Financial Times, média libéral de référence, s’est insurgé après la COP26 : « Les technologies ne résoudront pas la crise climatique, car elles ne peuvent être déployées ni à temps, ni à une échelle suffisante ».

[6]Dans le cas de l’islamo-gauchisme, David Chavalarias, directeur de recherche au CNRS, a analysé l’utilisation de l’expression sur Twitter. Il a montré qu’il s’agissait d’une obsession quasi-exclusive de l’extrême-droite avant sa reprise par les ministres Frédérique Vidal et Jean-Michel Blanquer.

[7]Hannah Arendt, Du mensonge à