Passion(s) Ernaux – sur le Nobel de littérature 2022
Le 6 octobre 2022, Annie Ernaux reçoit le Prix Nobel pour « le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle ». Dans l’immédiat, laissons de côté le terme de « racines », inapproprié à la démarche ernausienne, pour souligner les valeurs mises en exergue : morale (« le courage »), herméneutique (recherche de type sociologique) et humaniste (dimension universelle des découvertes).

Comme à son habitude, la prestigieuse institution honore « un puissant idéal », privilégie une valeur transcendante puisque dépassant les esthétiques concurrentes dans les espaces littéraires particuliers : c’est ainsi que se trouve récompensée l’une des œuvres qui « participent de l’élaboration de ce que Durkheim appelait la “conscience collective”[1] », pour reprendre ici une formule que Gisèle Sapiro a utilisée dans un autre contexte. Tel est cet événement que l’on peut qualifier de miraculeux ou de paradoxal : la « miraculée sociale » qui a écrit contre les formes et représentants légitimes de la littérature instituée, accède par là-même à la dernière étape du processus de légitimation – selon Jacques Dubois dans L’Institution de la littérature (1978) –, celle de la canonisation, qui fait pénétrer tout écrivain modèle dans le panthéon mondial.
Au reste, l’écrivaine entrée dans le champ en 1974 par la grande porte de Gallimard s’est assez rapidement située dans l’espace de la « littérature », notion qu’elle n’a jamais voulu hypostasier et dont elle sait pertinemment qu’elle « est un principe de classement, mais aussi une valeur »[2]. C’est d’ailleurs au nom de cette valeur, entre autres griefs, qu’elle est attaquée depuis des semaines maintenant, par divers acteurs qui occupent des positions diverses mais ont en commun d’avoir vu leurs croyances heurtées par le choix qu’a proclamé une instance de consécration internationale de plus en plus décriée. Autrement dit, la réception de ce