Sport

Football : l’invention des « grands joueurs »

Sociologue

À lire ou entendre certains médias, on pourrait avoir l’impression que la finale de la Coupe du monde de football n’opposera pas, ce dimanche 18 décembre au Qatar, l’équipe de France à celle d’Argentine mais plutôt Kylian Mbappé et Lionel Messi. Comment en est-on arrivé là ?

«Cristiano Ronaldo et son équipe ». Telle fut la présentation de l’équipe masculine de football du Portugal lors du journal matinal de France Inter jeudi 24 novembre 2022. La formule est symptomatique d’une propension à mettre en avant des individualités dans ce sport. Dans les médias, le football existe surtout au travers de ses têtes d’affiche. La couverture de la Coupe du monde au Qatar fait ainsi référence à « l’Argentine de Lionel Messi »[1] ou à une équipe de France qui entre « dans l’ère Mbappé »[2].

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Une lecture semblable existe pour les compétitions de clubs. Là aussi, les contenus de la presse écrite, de la radio, de la télévision et des sites internet tendent à personnaliser les équipes en les représentant au travers de figures de proue qui captent l’essentiel de l’attention.

Ce cadrage médiatique, à la fois individualisant et hiérarchisant, participe à la valorisation d’une minorité de joueurs et à l’invisibilisation de leurs équipiers. Il contribue à l’édiction d’une frontière symbolique au sein d’un même collectif de travail. Tandis que ceux qui sont présentés comme les fers de lance de l’équipe attirent la lumière, leurs partenaires sont renvoyés au rang de faire-valoir. Bien que la performance footballistique soit toujours une œuvre collective, elle profite beaucoup plus à certains joueurs qu’à d’autres. C’est ce que traduit par exemple l’expression, qui a donné leur titre à un livre et à un documentaire, de « génération Zidane » : elle met le joueur désigné sur le devant de la scène et passe sous silence la contribution de ses partenaires dans les succès de l’équipe de France de 1998 à 2006.

Cette focalisation sur quelques personnalités va de pair avec ce qu’on observe en matière de distribution des profits matériels. Là aussi des inégalités criantes se donnent à voir avec une forte concentration des richesses sur quelques-uns[3]. Les deux logiques, symbolique et économique, vont de pair aujourd’hui puisque les footballeurs les plus visible


[1] Le Monde, 22 novembre 2022.

[2] Le Monde, 27 novembre 2022.

[3] Luc Arrondel et Richard Duhautois (2018), L’argent du football, Paris, Les éditions du Crepremap

[4] Sherwin Rosen, « The Economics of Superstars », American Economic Review, vol. 71, n° 5, 1981, p. 845‑858.

[5] D’après un sondage Ipsos publié en mars 2020 dans le Journal de Mickey.

[6] Telle est la perspective défendue dans mon livre : Manuel Schotté (2022), La valeur du footballeur. Socio-histoire d’une production collective, Paris, CNRS Editions.

[7] Kalifa Dominique (2001), La culture de masse en France, 1850-1930, Paris, Lé Découverte.

[8] Cité par Wahl Alfred (1989), Les archives du football. Sport et société en France (1880-1980), Paris, Gallimard/Julliard, p. 169.

[9] Norbert Elias et Eric Dunning (1998 [1986]), « La dynamique des groupes sportifs », in Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Pocket, p. 262.

[10] Sur l’importance de la rhétorique du collectif dans la gestion des joueurs, voir Frédéric Rasera (2016), Des footballeurs au travail. Au cœur d’un club professionnel, Marseille, Agone, p. 38-67 et 94-99.

[11] Le Monde, 21 octobre 2022

[12] France Football, 24 mars 2016.

[13] Pierre Bourdieu (1980), « Comment peut-on être sportif ? », in Questions de sociologie, Paris, Minuit, 173-195.

[14] L’Equipe 2 avril 2022.

Manuel Schotté

Sociologue, Professeur de sociologie à l'Université de Lille

Rayonnages

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Notes

[1] Le Monde, 22 novembre 2022.

[2] Le Monde, 27 novembre 2022.

[3] Luc Arrondel et Richard Duhautois (2018), L’argent du football, Paris, Les éditions du Crepremap

[4] Sherwin Rosen, « The Economics of Superstars », American Economic Review, vol. 71, n° 5, 1981, p. 845‑858.

[5] D’après un sondage Ipsos publié en mars 2020 dans le Journal de Mickey.

[6] Telle est la perspective défendue dans mon livre : Manuel Schotté (2022), La valeur du footballeur. Socio-histoire d’une production collective, Paris, CNRS Editions.

[7] Kalifa Dominique (2001), La culture de masse en France, 1850-1930, Paris, Lé Découverte.

[8] Cité par Wahl Alfred (1989), Les archives du football. Sport et société en France (1880-1980), Paris, Gallimard/Julliard, p. 169.

[9] Norbert Elias et Eric Dunning (1998 [1986]), « La dynamique des groupes sportifs », in Sport et civilisation. La violence maîtrisée, Paris, Pocket, p. 262.

[10] Sur l’importance de la rhétorique du collectif dans la gestion des joueurs, voir Frédéric Rasera (2016), Des footballeurs au travail. Au cœur d’un club professionnel, Marseille, Agone, p. 38-67 et 94-99.

[11] Le Monde, 21 octobre 2022

[12] France Football, 24 mars 2016.

[13] Pierre Bourdieu (1980), « Comment peut-on être sportif ? », in Questions de sociologie, Paris, Minuit, 173-195.

[14] L’Equipe 2 avril 2022.