Football : l’invention des « grands joueurs »
«Cristiano Ronaldo et son équipe ». Telle fut la présentation de l’équipe masculine de football du Portugal lors du journal matinal de France Inter jeudi 24 novembre 2022. La formule est symptomatique d’une propension à mettre en avant des individualités dans ce sport. Dans les médias, le football existe surtout au travers de ses têtes d’affiche. La couverture de la Coupe du monde au Qatar fait ainsi référence à « l’Argentine de Lionel Messi »[1] ou à une équipe de France qui entre « dans l’ère Mbappé »[2].

Une lecture semblable existe pour les compétitions de clubs. Là aussi, les contenus de la presse écrite, de la radio, de la télévision et des sites internet tendent à personnaliser les équipes en les représentant au travers de figures de proue qui captent l’essentiel de l’attention.
Ce cadrage médiatique, à la fois individualisant et hiérarchisant, participe à la valorisation d’une minorité de joueurs et à l’invisibilisation de leurs équipiers. Il contribue à l’édiction d’une frontière symbolique au sein d’un même collectif de travail. Tandis que ceux qui sont présentés comme les fers de lance de l’équipe attirent la lumière, leurs partenaires sont renvoyés au rang de faire-valoir. Bien que la performance footballistique soit toujours une œuvre collective, elle profite beaucoup plus à certains joueurs qu’à d’autres. C’est ce que traduit par exemple l’expression, qui a donné leur titre à un livre et à un documentaire, de « génération Zidane » : elle met le joueur désigné sur le devant de la scène et passe sous silence la contribution de ses partenaires dans les succès de l’équipe de France de 1998 à 2006.
Cette focalisation sur quelques personnalités va de pair avec ce qu’on observe en matière de distribution des profits matériels. Là aussi des inégalités criantes se donnent à voir avec une forte concentration des richesses sur quelques-uns[3]. Les deux logiques, symbolique et économique, vont de pair aujourd’hui puisque les footballeurs les plus visible