International

La Cour suprême et les réseaux sociaux

Juriste et américaniste

À l’heure où six enquêtes internationales lancées par la plateforme Forbidden Stories révèlent les techniques de plus en plus pointues des mercenaires de la désinformation, des voix s’élèvent aux États-Unis pour exiger davantage de régulation des plateformes. Le Congrès étant trop dysfonctionnel aujourd’hui pour légiférer dans ce domaine, c’est la Cour suprême qui se saisit de la question… Elle examine jusqu’à demain deux affaires ayant trait à la « section 230 », censée réguler les sites depuis 1996.

Aux États-Unis, le Congrès a tenté sans succès de s’attaquer à l’impunité des plateformes et des réseaux sociaux. Ceux-ci jouissent toujours de l’immunité que leur garantit la section 230, malgré les dangers qu’ils font courir à la démocratie comme aux minorités et à la santé mentale des jeunes.

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Le Sénat et la Chambre des représentants ont déjà essayé de limiter la puissance des géants de la tech en tentant de les démanteler. Cinq propositions de lois ont ainsi été déposées en juin 2021 à la Chambre, et d’autres au Sénat ont franchi le premier obstacle de la commission judiciaire sous la houlette d’une démocrate Amy Klobuchar et d’un républicain Chuck Grassley. S’ils étaient adoptés, ces textes représenteraient les réformes les plus considérables depuis l’époque de lutte contre les trusts au début des années 1900.

Mais aucun texte n’a jusqu’ici été voté. Et l’administration Biden doit se contenter d’actions en justice intentées par un ministère de la Justice plus offensif, pour violations de la grande loi anti-trust, le Sherman Act. Ainsi début 2023 contre Google pour monopolisation des techniques de publicité numérique en violation des sections 1 et 2 de la loi Sherman. D’autres efforts visent la modération par les plateformes et davantage de transparence. Mais malgré les multiples critiques de la loi en place, peu de textes à l’exception de la proposition S. 2972 au Sénat se proposent d’abroger la section 230 de la Communications Decency Act.

Cette loi de 1996 visait d’abord et avant tout à réguler la pornographie. Sa section 230,  critiquée par les républicains comme les démocrates (pour des raisons différentes) a été ajoutée grâce au lobbying de ceux que les chercheuses Mary Ann Franks et Daniele Citron appellent les « fondamentalistes de l’Internet », ceux qui défendent une vision du Web comme espace paradisiaque de liberté totale. Considérés comme un pilier de la liberté d’expression, ces « 26 mots qui ont créé l’Internet » (comme est surnommée cette


Anne Deysine

Juriste et américaniste, Professeure émérite à l'Université Paris-Nanterre