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Ukraine : un dispositif humanitaire international parallèle à la mobilisation

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L’ONU a récemment estimé que les besoins humanitaires pour l’Ukraine en 2023 se chiffreraient à 5,2 milliards d’euros. Mais la crise ukrainienne interroge sur le fonctionnement en vase clos du système actuel d’allocation des fonds humanitaires car il reproduit en Ukraine des biais observés dans d’autres conflits : il crée une économie de l’aide dans laquelle le pouvoir de décision est concentré entre les mains d’acteurs étrangers qui reproduisent les programmes avec un intérêt très limité pour la mobilisation de la population.

Avec des milliers de morts, des destructions massives, plus de 7,6 millions de réfugiés et 6,2 millions de déplacés, la crise humanitaire ukrainienne provoquée par l’invasion russe du 24 février 2022 est la plus importante en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. La réponse humanitaire est en premier lieu portée par la société civile et l’État ukrainien mais, alors que les ressources s’épuisent, seulement très peu des fonds de l’aide internationale d’urgence parvient directement aux organisations ukrainiennes.

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Au contraire, on constate le développement d’un dispositif humanitaire international en parallèle de la mobilisation ukrainienne. Plus coûteux et moins efficace, il reproduit les biais observés dans d’autres conflits : au lieu de renforcer la résilience de la société face à la crise, le dispositif marginalise les acteurs locaux et renforce la dépendance de l’Ukraine à l’aide internationale.

Un dispositif humanitaire international parallèle à la mobilisation ukrainienne

Dotée de plus de 3,82 milliards de dollars en fonds humanitaires alloués en 2022 (en plus des 11,193 milliards de budget en matière de développement)[1], l’aide humanitaire s’organise largement en parallèle de la mobilisation ukrainienne. Le système humanitaire international est le principal récepteur des financements mais peu efficace en matière d’acheminement aux populations les plus vulnérables. Peu déployés sur le territoire, les acteurs internationaux délèguent la distribution de l’aide à la mobilisation ukrainienne. Cette dernière, organisée par la société civile et l’État ukrainien, assure l’essentiel de la distribution de l’aide mais son financement est indirect et marginal.

Cette situation résulte de la structure du financement de l’aide internationale. L’application de mécanismes complexes d’allocation par les grands donateurs, notamment via les agences onusiennes, contraint le financement des organisations ukrainiennes faiblement structurées. Ces dernières reçoivent moin


[1] Un budget similaire pour l’aide de 2023 est requis. « Ukraine 2022/2023 », Financial Tracking System (FTS), United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (Bureau de la coordination des affaires humanitaires) ; Country Development Finance Data, Dashboard for Ukraine, International Aid Transparency Initiative (IATI).

[2] Sur plus 3,8 milliards de dollars de contributions effectuées dans le cadre des deux Flash Appeal, plus de la moitié, soit plus de 2,1 milliards ont été alloués aux Nations unies, presque 1 milliard aux ONGI, et le reste principalement partagé entre l’UHF (Ukraine humanitarian fund, 330 millions), les organisations de la Croix rouge internationale et du Croissant Rouge. Cf. « Ukraine 2022/2023 », op. cit. Lire également Lizz Harrison, Dmytro Kondratenko, Kateryna Korenkova, « Options for Supporting and Strengthening Local Humanitarian Action in Ukraine: a Scoping Exercise Report », Disaster Emergency Committee (DEC), novembre 2022.

[3] Depuis le 24 février 2022, des dizaines d’ONGI sont passées d’une présence nulle ou minimale en Ukraine à des opérations de plusieurs millions de dollars. Nicholas Noe, « Localizing the International Humanitarian Response in Ukraine, International Refugee », septembre 2022 ; « Ukraine 2022/2023 », op. cit.

[4] Seul l’accès à proximité du front est réduit. Les opérations humanitaires en territoires occupés doivent se faire depuis la Russie, sont très limités, avec un fort risque de détournement. Observations dans le Donbass ukrainien, entretiens avec des acteurs humanitaires de Donetsk réfugiés en Ukraine, février 2023.

[5] Observations et entretiens à Dnipro et Kharkiv, janvier-février 2023.

[6] Ces effets contre-productifs de la gouvernance transnationale ne sont pas sans rappeler d’autres échecs de l’aide occidentales, cf. Gilles Dorronsoro, Le gouvernement transnational en Afghanistan. Une si prévisible défaite, Karthala, 2021.

[7] ECHO par exemple n’aurait alloué aucune contribution directe

Marie Courraud

Politiste, Chercheuse indépendante

Arthur Quesnay

Politiste, Postdoctorant en Science Politique, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne

Mots-clés

Guerre en Ukraine

Notes

[1] Un budget similaire pour l’aide de 2023 est requis. « Ukraine 2022/2023 », Financial Tracking System (FTS), United Nations Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (Bureau de la coordination des affaires humanitaires) ; Country Development Finance Data, Dashboard for Ukraine, International Aid Transparency Initiative (IATI).

[2] Sur plus 3,8 milliards de dollars de contributions effectuées dans le cadre des deux Flash Appeal, plus de la moitié, soit plus de 2,1 milliards ont été alloués aux Nations unies, presque 1 milliard aux ONGI, et le reste principalement partagé entre l’UHF (Ukraine humanitarian fund, 330 millions), les organisations de la Croix rouge internationale et du Croissant Rouge. Cf. « Ukraine 2022/2023 », op. cit. Lire également Lizz Harrison, Dmytro Kondratenko, Kateryna Korenkova, « Options for Supporting and Strengthening Local Humanitarian Action in Ukraine: a Scoping Exercise Report », Disaster Emergency Committee (DEC), novembre 2022.

[3] Depuis le 24 février 2022, des dizaines d’ONGI sont passées d’une présence nulle ou minimale en Ukraine à des opérations de plusieurs millions de dollars. Nicholas Noe, « Localizing the International Humanitarian Response in Ukraine, International Refugee », septembre 2022 ; « Ukraine 2022/2023 », op. cit.

[4] Seul l’accès à proximité du front est réduit. Les opérations humanitaires en territoires occupés doivent se faire depuis la Russie, sont très limités, avec un fort risque de détournement. Observations dans le Donbass ukrainien, entretiens avec des acteurs humanitaires de Donetsk réfugiés en Ukraine, février 2023.

[5] Observations et entretiens à Dnipro et Kharkiv, janvier-février 2023.

[6] Ces effets contre-productifs de la gouvernance transnationale ne sont pas sans rappeler d’autres échecs de l’aide occidentales, cf. Gilles Dorronsoro, Le gouvernement transnational en Afghanistan. Une si prévisible défaite, Karthala, 2021.

[7] ECHO par exemple n’aurait alloué aucune contribution directe