Le spleen des élus du littoral : comment décider dans une société liquide ?
« Qui a couru sur cette plage ? Elle a dû être belle. Est-ce que son sable était blanc ? Est-ce qu’il y avait des fleurs jaunes. Dans le creux de chaque dune ? J’aurais bien aimé toucher du sable. Une seule fois entre mes doigts. Qui a nagé dans cette rivière ? Vous prétendez qu’elle était fraîche. Et descendait de la montagne ? J’aurais bien aimé plonger mon corps. Une seule fois dans la rivière… Dites, ne me racontez pas d’histoires. Montrez-moi des photos pour voir. Si tout cela a existé. Vous m’affirmez qu’il y avait du sable. Et de l’herbe, et des fleurs, et de l’eau. Et des pierres, et des arbres, et des oiseaux ? Vous êtes sûrs que la photo n’est pas truquée ? Vous pouvez m’assurer que cela a vraiment existé ? »
Philipe Labro, 1970
Les zones côtières littorales en France sont des lieux d’intenses et rapides changements physiques, géologiques, écologiques, sociaux et politiques. Ces territoires entre terre et mer sont caractéristiques et représentatifs de nos relations au vivant et à l’environnement. Des entretiens qualitatifs avec des élus du littoral sur les conséquences induites par le changement climatique sur leurs communes mettent au cœur de leur propos le désarroi et l’inquiétude qu’ils éprouvent face à une situation totalement inédite et nouvelle et à laquelle ils ne pensaient pas être confrontés si brutalement.

Le territoire dont ils avaient la charge leur paraissait reposer sur une terre, solide, assise dans la permanence et que l’on pouvait exploiter, manipuler et transformer sans tenir compte du milieu et de ses dynamiques relationnelles. Le fait que le territoire puisse être affecté par l’immersion et se trouer de l’intérieur leur paraissait être de l’ordre du fictionnel. Le vertige face à un sol qui bouge et qui devient meuble et malléable évoque le spleen baudelairien, mais celui-ci n’a plus rien d’imaginaire, de sublime et de romantique ; il s’éprouve au contact de la matière, d’un solide qui se fend et s’effondre sous nos pieds, nous