Ni grandeur ni déclin : penser l’avenir du livre papier
Dans les années 2000, l’affirmation de la révolution numérique a fait naître de nombreux discours alarmistes prédisant la « fin du livre », voire la fin de la « civilisation du livre ». Alarmes que raillait volontiers Bruno Latour : « Ce qu’on appelait la grandeur de la civilisation du livre et qui fait trembler tant de gens à l’idée de sa disparition, n’est qu’un problème quand même assez trivial de papier »[1].

L’écran ferait en vérité subir au livre une épreuve qui le révèle pour ce qu’il est, à savoir « un amalgame provisoire de fonctions complètement différentes » et qui vont désormais suivre des trajectoires variées, certaines restant prises en charge par le codex, d’autres l’étant mieux par le numérique.
Juste un problème trivial de papier, vraiment ? L’assertion se discute. Et elle peut d’ailleurs se discuter à l’aide des arguments avancés par Latour lui-même : certes, la représentation collective qui fait du livre papier un marqueur civilisationnel est simpliste, non seulement parce qu’elle confond le symbole et l’objet réel mais aussi parce que pour parler de « la fin du livre » il faut supposer que les dispositifs culturels et médiatiques du texte et de l’image se succèdent de manière étanche – or rien n’est moins sûr. Il y a peut-être, derrière cette représentation fantasmée de la succession-abolition (le « grand remplacement » du papier par le numérique), un malentendu sur la nature de l’échange : on pense la transition culturelle sur le modèle d’un commerce marchand matériel (si je te vends une pomme, j’ai de l’argent mais je n’ai plus la pomme) alors qu’elle peut être pensée comme un commerce au sens intellectuel (si je te donne une idée, tu l’as mais moi aussi je l’ai toujours).
À vrai dire, de tout temps, les dispositifs du texte et de l’image se sont superposés sans s’abolir : après l’invention du codex, le volumen (rouleau qui se déroule horizontalement) a persisté dans de nombreux usages, sous des formes variées, depuis les rotuli qui d