Économie

Multinationales : le retour de la régulation ?

Politiste

Le 1er juin dernier le Parlement européen votait en faveur de la directive sur le « devoir de vigilance » des entreprises, franchissant de ce fait un cap. La juridicisation de ce devoir de vigilance marque une rupture avec les initiatives associées à la responsabilité sociale des entreprises. Les ONG espèrent à présent que la directive poursuivra son chemin au cœur des institutions européennes et que, au terme de leurs « trilogues », celles-ci s’accorderont sur un texte ambitieux.

Les multinationales et leurs chaînes d’approvisionnement globales sont-elles en passe d’être rattrapées par le droit ? Indiscutablement, un cap a été franchi le 1er juin 2023 avec le vote du Parlement européen en faveur de la directive sur le « devoir de vigilance » des entreprises. Si les discussions qui vont maintenant s’ouvrir entre le Parlement, le Conseil et la Commission recèlent quelques incertitudes, un texte contraignant pourrait être adopté avant la fin de l’année et ses promoteurs saluent d’ores et déjà une « révolution juridique[1] », consacrant l’avènement d’un nouveau régime de régulation du capitalisme mondialisé.

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La première pierre de cet édifice a été posée en 2011, avec l’adoption des « Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme » des Nations unies. La mobilisation autour du devoir de vigilance des multinationales s’est intensifiée à l’issue d’une série de catastrophes industrielles, en particulier l’incendie des Ali Enterprises au Pakistan en 2012 (qui a fait 255 victimes et dont l’effet a été particulièrement notable en Allemagne[2]) et l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh l’année suivante (1 138 victimes, employées dans des ateliers de confection fournissant, entre autres, les groupes Carrefour, Auchan, Mango, Primark et Benetton).

Ces tragédies à répétition ont non seulement mis en lumière l’insécurité et la précarité des conditions de travail dans les ateliers du Sud, mais aussi les difficultés à établir juridiquement la responsabilité des donneurs d’ordre, principalement situés dans les pays du Nord. Au cours des années suivantes, sous les pressions de syndicats et d’ONG de défense des droits humains et de l’environnement, plusieurs États européens se sont dotés de législations supposées mettre fin à l’impunité des multinationales. Au-delà des dommages sociaux et environnementaux causés par les industries extractives, il s’agissait de s’attaquer à l’irresponsabilité organisée au fondement des chaîne


[1] Alexandre-Reza Kokabi, « Manon Aubry : « Nous avons remporté une immense victoire contre les multinationales » », Reporterre, 1er juin 2023.

[2] Les Ali Enterprises fabriquaient principalement des jeans pour le groupe allemand KiK et si sa responsabilité juridique n’a pu être établie, le procès intenté à l’entreprise a eu un fort retentissement en Allemagne.

[3] La loi de 2017 s’applique à toute société établie en France qui emploie au moins 5 000 salariés en France, ou au moins 10 000 salariés à l’étranger.

[4] Pour une présentation des affaires en cours qui s’appuient sur la loi de 2017, voir le « radar du devoir de vigilance » des ONG Sherpa et CCFD-Terre Solidaire.

[5] Ces amendes pourront atteindre jusqu’à huit millions d’euros ou 2 % du chiffre d’affaires annuel du groupe, sanctions auxquelles pourra s’ajouter une exclusion des marchés publics. En France, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de la loi de 2017 prévoyant une amende pour les entreprises manquant à leurs obligations.

[6] Voir le communiqué de presse de cette coalition d’ONG.

[7] Pauline Barraud de Lagerie, Les patrons de la vertu. De la responsabilité sociale des entreprises au devoir de vigilance, PUR, 2019.

[8] Jennifer Bair, Mark Anner et Jeremy Blasi, « Sweatshops and the Search for Solutions », dans Geert de Neve et Rebecca Prentice (eds.), Unmaking the Global Sweatshop: Health and Safety of the World’s Garment Workers, Philadelphie, Penn University Press, 2017, p. 29-56.

[9] Entretien (en ligne) avec des agents du BAFA, janvier 2023.

[10] Entretiens avec des juristes du European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) et de l’ONG Brot für die Welt, Berlin, janvier 2023.

[11] Frédéric Thomas, « Multinationales : fin de l’impunité ? », Alternatives Sud, vol. 29, 2022, p. 7-17.

Laurent Gayer

Politiste, Chercheur au CNRS (Sciences Po-CERI)

Notes

[1] Alexandre-Reza Kokabi, « Manon Aubry : « Nous avons remporté une immense victoire contre les multinationales » », Reporterre, 1er juin 2023.

[2] Les Ali Enterprises fabriquaient principalement des jeans pour le groupe allemand KiK et si sa responsabilité juridique n’a pu être établie, le procès intenté à l’entreprise a eu un fort retentissement en Allemagne.

[3] La loi de 2017 s’applique à toute société établie en France qui emploie au moins 5 000 salariés en France, ou au moins 10 000 salariés à l’étranger.

[4] Pour une présentation des affaires en cours qui s’appuient sur la loi de 2017, voir le « radar du devoir de vigilance » des ONG Sherpa et CCFD-Terre Solidaire.

[5] Ces amendes pourront atteindre jusqu’à huit millions d’euros ou 2 % du chiffre d’affaires annuel du groupe, sanctions auxquelles pourra s’ajouter une exclusion des marchés publics. En France, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de la loi de 2017 prévoyant une amende pour les entreprises manquant à leurs obligations.

[6] Voir le communiqué de presse de cette coalition d’ONG.

[7] Pauline Barraud de Lagerie, Les patrons de la vertu. De la responsabilité sociale des entreprises au devoir de vigilance, PUR, 2019.

[8] Jennifer Bair, Mark Anner et Jeremy Blasi, « Sweatshops and the Search for Solutions », dans Geert de Neve et Rebecca Prentice (eds.), Unmaking the Global Sweatshop: Health and Safety of the World’s Garment Workers, Philadelphie, Penn University Press, 2017, p. 29-56.

[9] Entretien (en ligne) avec des agents du BAFA, janvier 2023.

[10] Entretiens avec des juristes du European Center for Constitutional and Human Rights (ECCHR) et de l’ONG Brot für die Welt, Berlin, janvier 2023.

[11] Frédéric Thomas, « Multinationales : fin de l’impunité ? », Alternatives Sud, vol. 29, 2022, p. 7-17.