Numérique

Comment le modèle économique de Facebook transforme la communication

Enseignant-chercheur en relations publiques, Étudiante en communication

Beaucoup de nos conversations, de nos échanges, s’insèrent dans un environnement sociotechnique : le télégraphe, le téléphone, l’architecture technique des SMS, et aujourd’hui les plateformes numériques favorisent certaines formulations des messages et en compliquent d’autres. Quel est l’effet des modèles de rémunération des gestionnaires de communautés sur le langage ? Pourquoi la création d’un « web affectif », dans lequel les contenus les plus rémunérateurs sont ceux qui suscitent le plus d’engagement, configure-t-elle les modes d’expression ?

«Une anecdote sincère et personnelle peut vous permettre de créer un lien émotionnel avec votre audience et de générer de l’empathie à l’égard de votre organisation[1] ».

Ce conseil, et d’autres, donnés par Facebook peuvent paraitre anecdotiques. Pourtant, ces recommandations révèlent en creux ce qui, pour Meta, va générer des clics, donc des données exploitables pour son ciblage publicitaire et son bon fonctionnement.

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Elles mettent aussi en relief la prise en compte des questions affectives par les industries du numérique. Elles sont enfin révélatrices des usages que cette plateforme veut ou ne veut pas voir se développer. En regardant ce que Meta nous recommande afin de faire un « bon » usage de ses plateformes, la question suivante se pose : qu’est-ce que cette possible standardisation de la communication implique dans notre manière de communiquer et de nous informer ?

Avec cette question en tête, nous avons étudié les activités des gestionnaires de communautés en ligne, ces travailleur·euse·s à l’interface entre les organisations, les publics et les plateformes[2]. Cette étude s’appuie sur 32 entretiens au Québec[3] ainsi que sur l’analyse quali-quantitative des comptes Facebook et Instagram que ces gestionnaires animent, le tout croisé avec les pages de recommandations et de standards de Facebook. Dans les grandes lignes, nos analyses montrent que la communication sur Facebook repose moins sur la volonté de communiquer (pour les entreprises) ou d’informer (pour les médias) que de s’insérer au mieux dans un flux algorithmique qui se nourrit des clics qu’il permet lui-même de générer. Ce processus où les modèles (économiques, techniques d’usage, etc.) des plateformes deviennent la norme pour les secteurs économiques qui en dépendent, est nommé « plateformisation » par certain·e·s chercheur·e·s[4].

Cette plateformisation génère une dépendance pour les organisations ou les individus dont la principale source de revenus – et d’accès à leur audience – est une plateforme. Des livreur·euse·s à vélo aux chauffeur·euse·s de VTC, des « influenceur·euse·s » aux publicitaires, en passant par les gestionnaires de communautés ou les médias, chaque changement dans les conditions d’utilisation comme dans les fonctionnalités de la plateforme nécessite un apprentissage et une adaptation rapide. Et si ce changement n’est pas effectif, tous les investissements passés peuvent être perdus. Cette adaptation constante aux transformations de la plateforme est donc devenue prescriptive à tous-tes ceux-celles qui participent à ces écosystèmes numériques.

De la dépendance aux plateformes

Pour illustrer ce lien de dépendance, nous pouvons prendre pour exemple Facebook, plateforme devenue hégémonique tant dans notre ordinaire relationnel que comme porte d’accès à l’information en ligne. Cette position hégémonique lui a permis d’obtenir un nombre conséquent d’usager·e·s à travers le monde, qui ont cédé leurs données personnelles en échange d’un accès à l’écosystème du réseau social[5].

En 2018, éclate l’affaire « Cambridge Analytica » : tout en respectant les règles d’utilisation de la plateforme, la société Cambridge Analytica a collecté les données de près de 60 millions d’usager·e·s. Ces données auraient potentiellement servi à influencer le vote d’électeur·ice·s par un ciblage publicitaire plus fin. Ce « scandale » est à mettre entre guillemets quand on l’envisage par le prisme de Facebook : bien qu’il ait révélé au grand public le potentiel de nuisance de la plateforme pour notre vie privée et nos démocraties, il a surtout permis à l’entreprise de Mark Zuckerberg de faire évoluer son modèle économique et technique. En effet, puisque les publications des « pages » Facebook bénéficiaient avant 2018 d’une forte visibilité, présentant ainsi des risques de manipulation, l’entreprise a décidé de réattribuer cette capacité de médiatisation aux usager·e·s eux-mêmes, via leur profil. C’est d’ailleurs suite à cela que les groupes Facebook, peu visibles jusqu’alors, ont pris de l’ampleur, devenant centraux dans de nombreux mouvements de contestations.

Pour les organisations, notamment les médias, dont une partie de la stratégie numérique reposait sur ces pages, qu’allaient devenir toutes ces années d’investissements ? Et bien il a fallu commencer à payer. Payer pour que plus de 10 % des abonné·e·s de la page puissent voir apparaitre sur leurs comptes ce qui est publié. Payer pour s’assurer que les publics ciblés cliquent sur les liens diffusés. Bref, payer pour obtenir ce qui était (quasi) gratuit avant, tout en devant s’accaparer de nouvelles fonctionnalités (de mesure de l’audience, de publication, de ciblage, etc.) et s’adapter à de nouvelles normes éditoriales qui dissuadent de plus en plus le partage d’éléments qui font sortir les publics de la plateforme.

Bien entendu, personne n’est forcé de payer, comme personne n’est de prime abord obligé de rester sur le réseau social. De notre enquête ressort cependant l’idée que Facebook est devenu incontournable pour permettre d’atteindre certains publics, que son usage est devenu central dans les stratégies de communication des organisations, ou encore qu’une relation s’est construite dans le temps avec lesdits publics. « C’est LA façon de rejoindre directement les gens, c’est là où on a le contact direct » nous disait un gestionnaire de communauté. Mais comment est évaluée cette relation ? Elle l’est par les statistiques de Facebook. Comment sait-on d’ailleurs si on a réellement touché ce public, que celui-ci n’est pas imaginaire ? Grâce aux indicateurs de mesure de Facebook.

Plateformisation et dépendance vont donc de pair. Elles commencent d’ailleurs, et avant toute chose, par les mots. La plateforme développe sa propre terminologie autoréférentielle. Les contenus ainsi créés deviennent donc des « publications » ou des « stories » qui circulent sur nos « fils d’actualités » générant un « engagement », c’est-à-dire des clics, qui en augmentent la « portée organique »[6]. C’est ainsi que commence une course aux clics : plus un gestionnaire de communautés va en générer, plus ses publications vont circuler, plus ses statistiques vont augmenter. Peu importe ce qui se cache derrière un « j’aime » ou un « grrr », peu importe que les statistiques des vidéos soient fantaisistes et performatives[7] peu importe que ces praticien·ne·s de la communication en aient conscience. Ce qui paie ce sont les clics. Ce qu’on y gagne ce sont des statistiques qui vont permettre de justifier un salaire, parfois inféodé aux résultats pour les plus précaires ou pour les prestataires. En somme, Facebook est le seul en mesure d’évaluer la pertinence et la performance des contenus et usages construits avec ses propres outils de production.

La communication affective numérique : faire aimer pour faire cliquer, et inversement

Comment savoir ce qui va générer de « l’engagement » ? Tout d’abord en inscrivant sa stratégie de communication dans un « web affectif[8] ». Un web où les plateformes déploient un ensemble de fonctionnalités aptes à mettre en circulation ce qui nous affecte, ce qui donne une « puissance d’agir » dirait Spinoza, ou ce qui nous fera cliquer pourrait dire Zuckerberg. Un web où les plateformes nous fournissent ensuite les moyens de signaler ce qui nous émeut ou nous a affectés : émojis, Facebook reactions, « cœur », « j’aime », etc. Comme le souligne Lawrence Grossberg[9] ce qui nous affecte détermine ce qui compte pour nous, et va par la suite orienter notre attention et nos actions. Il est donc peu pertinent de chercher un effet uniforme des productions médiatiques sur les individus, là où il y a une multitude d’affects qui s’expriment, avec diverses intensités. Les plateformes l’ont bien compris, cherchant à perfectionner sans cesse l’identification de ce qui va nous faire réagir pour ensuite moduler l’intensité affective de ce qu’elles nous donnent à cliquer. Concrètement, cela se traduit par une mise en visibilité accrue des publications ayant obtenu des « réactions » (« j’adore », « haha », « grrrr », etc.). Même si celles-ci sont comptabilisées comme des « j’aime[10] », elles permettent un ciblage publicitaire plus précis, autant qu’une évaluation de la pertinence de la publication. Pour faire aimer, il faut alors produire un contenu qui est compatible avec les publics, certes, mais aussi – et essentiellement – avec ce que Facebook identifie comme pertinent pour ses usager·e·s.

Les recommandations pour développer de tels contenus sont explicitées sur le site « Meta for business » qui présente les standards tant techniques que d’usage de la plateforme, et regorge de conseils pour y adapter au mieux sa communication : « Chacune de vos publications doit comporter du contenu, tel que des images, des GIF ou des vidéos. » ; « Utilisez un jeu de couleurs clair et cohérent » ; « Utilisez peu de texte, restez concis et percutant » ; « Posez une question » ; « Célébrez les fêtes et les jours fériés »… Il est alors possible d’observer des publications qui engagent les publics par une question, qui utilise le référencement (@) et dont le texte est relativement court[11].

Si vous appliquez ces conseils, vous serez récompensé·e·s en visibilité. Et si vous tentez de contourner ou détourner ces recommandations comme les conditions d’utilisation pour gagner des clics, vous serez sanctionné·e·s par une perte de visibilité. Cette régulation algorithmique est vue comme « notre pire ennemi dans notre job » par un·e professionnel·le rencontré·e dans notre enquête. C’est dans ces conditions qu’évolue le métier de gestionnaire de communauté web. Dans une négociation constante entre les standards et les règles à la recherche de moyens pour jouer avec l’algorithme afin de comprendre ses « attentes » et être récompensé·e par des scores d’engagement. Cela engendre une homogénéisation de la communication qui se normalise et devient un produit que Facebook peut exploiter. Qui plus est, s’ajoute à cela le « benchmarking » fait par ces professionnel·le·s, et qui consiste à reproduire ce qui marche ailleurs afin de limiter les risques de perdre en médiatisation.

Informer ou faire cliquer : il faut (souvent) choisir

Comme dit le proverbe : l’habit ne fait pas le moine… mais il aide à rentrer dans l’abbaye. Et pour rentrer sur Facebook, pour obtenir des clics, de l’engagement, avoir une bonne portée, il faut respecter le code vestimentaire dont nous avons esquissé rapidement les contours. Et alors nous direz-vous ? Facebook est chez lui, il fait bien ce qu’il veut. Oui, mais Facebook est aussi devenu au fil du temps un moyen incontournable pour les médias d’attirer des lecteur·ice·s, et pour ces lecteur·ice·s d’accéder à l’actualité[12]. Facebook noue d’ailleurs depuis des années des partenariats avec les médias, leur proposant par exemple des espaces dédiés de publication et d’autres moyens de faire gagner en visibilité leurs publications[13]. Le Meta Journalism Project qui partage de la documentation comme le « Guide d’utilisation de Facebook et d’Instagram à destination des journalistes » témoigne bien de cet intérêt. Notons aussi que si Facebook nous a servi d’exemple jusqu’ici, il en va de même pour Twitter, TikTok, YouTube et d’autres.

Les conséquences concrètes de cette standardisation qui fait des clics un objectif, et des émotions un moyen, se voient en premier lieu dans l’uniformisation des contenus produits : peu importe que vous soyez une institution, un fabricant de consoles de jeux ou un acteur de la grande distribution, vous emploierez les mêmes tactiques. Cela s’observe, par exemple, lorsque le compte Twitter de la police nationale reprend les mêmes mécanismes et visuels que des entreprises comme Carrefour ou Playstation en demandant : « Likez ce tweet et regardez ce qu’il se passe ».

On pourrait là encore se dire qu’il est drôle, voire nécessaire, pour la police nationale française d’employer les mêmes stratégies que n’importe quelle marque commerciale. Qu’au final, il est amusant de voir une institution fortement remise en cause s’amuser sur ces plateformes. Que même les tweets masqués par le gestionnaire de communauté[14] génèrent de « l’engagement » et font circuler le message voulu.

Mais de quel message parle-t-on ici ? Aimer la police, ou son tweet ? Montrer que l’on est une institution connectée aux tendances du moment ? À vouloir affecter les publics quoi qu’il arrive, à jouer à un jeu dont les règles changent constamment, et dont seules les plateformes contrôlent les tenants et aboutissants, toute stratégie s’efface au profit de tactiques qui ne répondent plus qu’à l’immédiateté de quelques clics à gagner. On pourrait ainsi s’inquiéter qu’une telle institution, dont la présence en ligne doit servir avant à tout à informer les citoyen·ne·s, aligne ses actions de communication sur celles d’organisations qui sont là pour (se) vendre.

Ces pratiques s’observent aussi au sein des médias qui négocient constamment entre leur vocation d’informer et l’impératif de faire réagir leurs publics. Cela s’illustre par une éditorialisation des contenus publiés axés vers le divertissement – ou l’infodivertissement – dans le but de faire réagir les audiences visées. Cette tendance est particulièrement présente sur Instagram, une plateforme qui ne permet pas de partager des liens externes dans une publication. Cette fonctionnalité de la plateforme permet d’ailleurs de se questionner sur la pertinence pour un média écrit d’investir temps et argent dans l’alimentation de cette plateforme considérant le peu de trafic qu’un tel travail peut entraîner sur leur propre site web et, incidemment, les revenus publicitaires qui peuvent en découler.

Dans un contexte où désinformation et polarisation de l’opinion sont au cœur du débat démocratique, où les plateformes elles-mêmes fournissent un ensemble d’outils pour désin-former, où les réactions (affectives) comptent plus que la véracité de ce qui fait réagir, il est raisonnable de s’interroger sur les conséquences de cette standardisation des contenus et des pratiques de communication. Au fil de nos usages des plateformes, ce qui fait autorité, c’est-à-dire qui apparait comme légitime pour nous informer, a muté. Les scientifiques, à qui l’on demande sans cesse de vulgariser toujours plus, dans des formats toujours plus réduits (comme parler de sa thèse en 180 secondes), sont confrontés à des vidéastes qui maitrisent ces standards, qui ont appris à créer pour et avec les algorithmes, et qui prennent le temps de continuellement s’approprier toute évolution.

Dès lors, ces « youtubeur·euse·s » ou « influenceur·euse·s » ont peu à peu gagné en légitimité à mesure qu’iels gagnaient en réputation : que le fond soit rigoureux ou pas, si la manière de le remonter à la surface est performante, alors la visibilité devient gage de crédibilité dans ce qui constitue un exemple frappant du biais de répétition. Les médias dits traditionnels l’ont bien compris depuis l’arrivée des blogueurs il y a une vingtaine d’années. Si certains d’entre eux cherchent sans cesse à renouveler leurs formats rédactionnels ou de contenus, d’autres profitent de ce flou en développant des formes de publireportage qui laissent planer le doute entre production journalistique et publicité. Il faut quoi qu’il arrive tenir le rythme pour rester dans le flux. Suivre à la lettre les standards est donc la meilleure solution, quitte à déléguer l’écriture à des professionnel·le·s de la communication ou du marketing. Dans notre enquête, les gestionnaires de communautés des médias soulignent ainsi avoir peu de contact avec les journalistes, et toute liberté de sélectionner comme mettre en forme l’article à diffuser, l’objectif étant donc d’apporter le plus de « trafic » à leurs sites. Cette liberté éditoriale constitue pour certain·e·s une menace à l’intégrité journalistique du fait que les praticien·ne·s de la communication que sont les gestionnaires de communautés ne sont pas tenus au même code de déontologie ou aux mêmes normes éditoriales qu’un·e journaliste qui adhère à un ordre professionnel.

La communication et l’information sont depuis longtemps des marchandises sur le Web. Les individus, plus précisément les données qui les représentent, en sont également devenus. Les lecteur·ice·s de ce texte le savent pour la plupart. C’est lorsque la question « que pouvons-nous y faire ? » est posée qu’arrive le débat scientifique entre déterminisme et neutralité, entre celleux qui voient les industries numériques nous manipuler, et les autres pour qui nous sommes libres de nos clics. Notre enquête, et d’autres menées sur les sujets évoqués ici auraient tendance à montrer qu’une forme d’aliénation consciente (mais pas nécessairement consentie) fait le lien entre ces deux positions. Nous sommes en effet dépossédé·e·s des outils de production de nos propres sociabilités et affections. Nous avons conscience que nous donnons (des données, du temps, de l’intimité, etc.), et que ce qui est donné participe à nous offrir ce que nous souhaitons consommer (de l’information, du temps, de l’amour, etc.). Le choix n’est alors pas seulement de s’en servir ou non, librement ou pas, mais aussi de la manière et de l’intensité avec laquelle nous souhaitons nous investir pour ne pas être dépossédés de notre propre communication.

Cela est encore plus flagrant lorsque l’on s’intéresse à celleux qui travaillent de leurs clics, et qui nous signalent ne plus vraiment se reconnaitre dans ce qu’iels communiquent, devenant uniquement une ressource pour leurs employeurs et pour les plateformes. La plupart nous disent devoir faire la différence en investissant beaucoup d’eux-mêmes… jusqu’à aller au burn out. C’est aussi en cela qu’un accompagnement et une éducation aux médias sont nécessaires.

À un niveau plus large, existe aussi le débat sur le mode de gestion public des industries numériques, via par exemple une régulation étatique afin de reprendre le contrôle sur ces entités vues comme trop puissantes pour qu’un quelconque contrôle puisse être opéré sur elles. En juin 2023, le groupe Meta a annoncé sur sa plateforme Facebook que certain·e·s usager·e·s canadien·ne·s choisi·e·s arbitrairement ne seront plus en mesure d’accéder et de partager des contenus de médias comme Radio-Canada ou encore le Journal de Québec, le Journal de Montréal et La Presse. La décision du géant du numérique survient en réaction au projet de loi C-18[15] qui vise les entreprises du web comme Google et Meta à compenser les médias d’information canadiens pour le partage de leur contenu. Dans un contexte où une majorité de la population admet suivre l’actualité sur les réseaux sociaux, cette nouvelle a créé une vague d’incertitudes dans le monde des médias[16]. Cette confrontation avec un État souverain met là encore en exergue la place centrale des industries du numérique dans la distribution des informations comme la difficulté à contraindre leurs modèles économiques.

Les plateformes deviennent ainsi objet de débat dans l’espace public et médiatique lorsqu’elles sont la cause ou la caisse de résonance d’événements aux implications sociales fortes. Elles véhiculent aussi un ensemble d’imaginaires nourrissants technophobes et technobéats, ou permettant de renouveler des stéréotypes bien ancrés, comme de générer des espoirs fondés ou non. Cependant, c’est en observant leur immersion progressive dans notre quotidien, dans nos activités les plus répétitives et ordinaires que se révèle leur véritable pouvoir : nous amener à ajuster à leurs propres impératifs économiques et techniques ce que Michel de Certeau nomme nos « manières de faire[17] ».

Ces « manières de faire » constituent les mille pratiques par lesquelles des utilisateurs se réapproprient l’espace organisé par les techniques de la production socioculturelle. S’il existe bien entendu des formes de bricolage et de braconnage des usages des plateformes pour en faire des « lieux propres » (ibid.), celles-ci sont limitées, ou sont rapidement intégrées ou bannies. Qui plus est lorsque le but premier est de faire du clic. La frontière entre communiquer avec les plateformes et communiquer pour les plateformes devient ténue. Combien de temps encore choisirons-nous de leur céder notre quotidien ?


[1] Page « Idées de publication pour votre Page professionnelle Facebook », sur le site « Meta For Business ».

[2] Ce projet, intitulé Affects numériques et travailleurs du clic (Antic) et dirigé par Camille Alloing, est financé par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada dans le cadre d’une subvention « Développement Savoir ».

[3] Alloing, C., Cossette, S., & Germain, S., « Faire face aux plateformes. La communication numérique entre tactiques et dépendances », Questions de communication, 40, 2021.

Germain, S., & Alloing, C., « Engager, cliquer, liker. L’éditorialisation des contenus journalistiques sur les plateformes numériques », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, (107), 2022.

[4] Bigot, J.-É., Bouté, E., Collomb, C., & Mabi, C., « Les plateformes à l’épreuve des dynamiques de plateformisation », Questions de communication, (40), 2021.

[5] Srnicek, N., Platform Capitalism, John Wiley & Sons, 2017.

[6] La « portée organique » est le terme employé par Facebook pour nommer la circulation algorithmique des publications sur sa plateforme. À l’inverse, les pages souhaitant plus de visibilité peuvent investir dans une portée payante.

[7] Alloing, C., « Construire les publics numériques par leurs mesures », in Nau, J-P., Kessous, E., & Garci-Bardidia, R. (Dirs.), Technologie et transformation de marchés, L’Harmattan, 2020.

[8] Alloing, C., & Pierre, J., Le web affectif: une économie numérique des émotions, INA éditions, 2017.

[9] Grossberg, L., « Is there a fan in the house ? The affective sensibility of fandom », dans The adoring audience, p. 50-65, Routledge, 2002.

[10] Pierre, j., & Alloing, C., « Comment les émotions traversent le design ? Conception et usages d’une fonctionnalité du web affectif », Journal of Human Mediatised Interactions/Revue des Interactions Humaines Médiatisées, 19(2), 2018.

[11] Le média Radio-Canada en est un bon exemple avec la publication suivante qui met de l’avant une vidéo qui est directement hébergée sur la plateforme : « Est-ce qu’un garçon peut porter du vernis ? Se déguiser en princesse à l’Halloween ? @Jonathan Roberge explique le concept de la masculinité toxique.

L’ABC, c’est une série de @MAJ – L’actualité pour les jeunes qui explique des thèmes qui font partie de l’actualité, une expression à la fois. »

[12] Dubois, J., Journalisme, médias sociaux et intérêt public. Enquête auprès de 393 journalistes québécois, Presses de l’Université Laval, 2021.

[13] Pour une synthèse de la chronologie des relations de Facebook avec les médias, lire : « Facebook et les médias, une liaison diaboliquement complexe » de N. Pignard-Cheynel, sur La revue des médias.

[14] Les Tweets masqués par l’organisation (@PoliceNationale) se lisent comme suit :

« Avec la police, nous avons l’habitude, il ne se passe rien. » ;

« Un peu comme quand on dépose plainte pour vol ou dégradation, il ne se passe rien ! » ;

« Il se passe autant de choses que quand une femme porte plainte pour violences conjugales ».

[15] Voir la présentation de la loi C-18 sur le site du gouvernement canadien.

[16] Dubois, J., Journalisme, médias sociaux et intérêt public. Enquête auprès de 393 journalistes québécois, Presses de l’Université Laval, 2021.

[17] Certeau, M. D., L’invention du quotidien, 1980.

Camille Alloing

Enseignant-chercheur en relations publiques, Directeur du Laboratoire sur l’influence et la communication (LabFluens) et chercheur au Laboratoire sur la communication et le numérique (LabCMO)

Sara Germain

Étudiante en communication, Chercheuse associée au Laboratoire sur l'influence et la communication (LabFluens) et à l'Observatoire canadien sur les crises et l'action humanitaires (OCCAH)

Notes

[1] Page « Idées de publication pour votre Page professionnelle Facebook », sur le site « Meta For Business ».

[2] Ce projet, intitulé Affects numériques et travailleurs du clic (Antic) et dirigé par Camille Alloing, est financé par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada dans le cadre d’une subvention « Développement Savoir ».

[3] Alloing, C., Cossette, S., & Germain, S., « Faire face aux plateformes. La communication numérique entre tactiques et dépendances », Questions de communication, 40, 2021.

Germain, S., & Alloing, C., « Engager, cliquer, liker. L’éditorialisation des contenus journalistiques sur les plateformes numériques », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, (107), 2022.

[4] Bigot, J.-É., Bouté, E., Collomb, C., & Mabi, C., « Les plateformes à l’épreuve des dynamiques de plateformisation », Questions de communication, (40), 2021.

[5] Srnicek, N., Platform Capitalism, John Wiley & Sons, 2017.

[6] La « portée organique » est le terme employé par Facebook pour nommer la circulation algorithmique des publications sur sa plateforme. À l’inverse, les pages souhaitant plus de visibilité peuvent investir dans une portée payante.

[7] Alloing, C., « Construire les publics numériques par leurs mesures », in Nau, J-P., Kessous, E., & Garci-Bardidia, R. (Dirs.), Technologie et transformation de marchés, L’Harmattan, 2020.

[8] Alloing, C., & Pierre, J., Le web affectif: une économie numérique des émotions, INA éditions, 2017.

[9] Grossberg, L., « Is there a fan in the house ? The affective sensibility of fandom », dans The adoring audience, p. 50-65, Routledge, 2002.

[10] Pierre, j., & Alloing, C., « Comment les émotions traversent le design ? Conception et usages d’une fonctionnalité du web affectif », Journal of Human Mediatised Interactions/Revue des Interactions Humaines Médiatisées, 19(2), 2018.

[11] Le média Radio-Canada en est un bon exemple avec la publication suivante qui met de l’avant une vidéo qui est directement hébergée sur la plateforme : « Est-ce qu’un garçon peut porter du vernis ? Se déguiser en princesse à l’Halloween ? @Jonathan Roberge explique le concept de la masculinité toxique.

L’ABC, c’est une série de @MAJ – L’actualité pour les jeunes qui explique des thèmes qui font partie de l’actualité, une expression à la fois. »

[12] Dubois, J., Journalisme, médias sociaux et intérêt public. Enquête auprès de 393 journalistes québécois, Presses de l’Université Laval, 2021.

[13] Pour une synthèse de la chronologie des relations de Facebook avec les médias, lire : « Facebook et les médias, une liaison diaboliquement complexe » de N. Pignard-Cheynel, sur La revue des médias.

[14] Les Tweets masqués par l’organisation (@PoliceNationale) se lisent comme suit :

« Avec la police, nous avons l’habitude, il ne se passe rien. » ;

« Un peu comme quand on dépose plainte pour vol ou dégradation, il ne se passe rien ! » ;

« Il se passe autant de choses que quand une femme porte plainte pour violences conjugales ».

[15] Voir la présentation de la loi C-18 sur le site du gouvernement canadien.

[16] Dubois, J., Journalisme, médias sociaux et intérêt public. Enquête auprès de 393 journalistes québécois, Presses de l’Université Laval, 2021.

[17] Certeau, M. D., L’invention du quotidien, 1980.