Les retraites, les banlieues et l’économie morale de la foule
«Ils ont pillé, ils ont volé surtout de l’alcool, des shampooings, et sur les vidéos de surveillance on les voit défoncer des paquets de chips et les manger en même temps qu’ils détruisent. » Ainsi parle l’employé de la supérette de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis), juste à côté de l’école de mes enfants, aux habitants du quartier qui tentent de le réconforter. Cette indéniable dimension prédatrice de la révolte est mise en avant par le gouvernement pour privilégier une résolution répressive de la crise.

L’émeute est un « désastre social », écrivait l’historien Edward P. Thompson dans un texte devenu classique sur « l’économie morale de la foule anglaise au XVIIIe siècle »[1]. On en veut pour preuve les destructions d’équipements publics et privés dans des quartiers déjà démunis, les violences diverses, les lourdes condamnations qui s’abattent déjà et auront des effets à long terme sur le parcours des jeunes concernés. Mais à rebours d’une « vision convulsive de l’histoire populaire », Thompson essayait de comprendre la rationalité de tels mouvements. Il est sans doute utile, même à chaud, et malgré la façon dont ces événements touchent notre vie quotidienne, de prendre de la distance en recourant à cette idée d’une économie morale de la foule.
Thompson démontre comment de telles révoltes bénéficiaient d’une légitimité et d’un consensus populaire quand la chaîne traditionnelle de production et de circulation du pain était remise en cause, d’une façon jugée illégitime, par de nouvelles pratiques du marché, conduisant à des hausses des prix. Le sentiment d’injustice pouvait conduire à diverses violences, atteintes aux biens ou aux personnes, mises en demeure de pratiquer un « juste prix », pillages et vols.
Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, on peut considérer trois mouvements sociaux dont les modalités d’action reposent sur une économie morale populaire. Le mouvement des Gilets jaunes, quand l’augmentation, par une taxe, du prix de l’essence a débouché su