Société

Passe ton permis d’abord !

Politiste, Politiste, Sociologue, Psychologue

Trop coûteux et difficile à obtenir, le permis de conduire suscite depuis plusieurs décennies des débats dans l’espace public sur son accessibilité et son prix. Ainsi, l’annonce de la Première ministre Élisabeth Borne de la possibilité d’obtention de ce dernier à 17 ans pose à nouveau question. L’analyse croisée des statistiques soulève des biais sociologiques essentiels peu pris en compte dans cette mesure. Abaisser l’âge d’obtention du permis à 17 ans, oui, mais pour qui au juste ?

En annonçant le 20 juin 2023 que l’âge de passage du permis allait être abaissé à 17 ans le 1er janvier 2024 après un siècle réservé aux plus de 18 ans, la Première ministre Elisabeth Borne a présenté une mesure « demandée » par la jeunesse sollicitée par Matignon dans le cadre des « rencontres jeunesse ».

De prime abord une telle mesure peut apparaître logique surtout qu’il s’agit de s’inscrire dans un mouvement ouvert par le Royaume Uni et de quelques autres pays occidentaux. Les propos de la Première ministre visent en plus à permettre aux apprentis vivant dans les zones rurales de pallier les carences en transports publics qui peinent à les rendre mobiles. Les « jeunes en lycée pro » sont d’ailleurs les bénéficiaires d’une autre mesure beaucoup plus classique celle-là : ils pourront bénéficier dès la rentrée 2023 d’une aide de 500 euros pour les aider à financer le permis.

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Nous proposons d’inscrire ces deux annonces dans une réflexion plus globale en utilisant un mode d’analyse que délaissent régulièrement les pouvoirs publics : croiser les variables qui concernent la population ciblée grâce à l’analyse des données statistiques disponibles et cumuler des logiques d’analyse provenant d’horizons épistémologiques différents dans les sciences sociales. Ainsi recadrées, ces deux mesures apparaissent beaucoup moins adaptées au problème visé : assurer la mobilité dans les zones rurales pour garantir l’accès au travail.

Le permis coûte trop cher !

Depuis plus de vingt ans, tous les acteurs nationaux ou territoriaux qui se sont saisis du permis de conduire ont tous été d’accord pour reconnaître qu’il coûtait cher (1 804 euros en moyenne selon l’enquête UFC « Que-choisir ? » de 2020) et que ce coût constituait une barrière à l’entrée dans les différents sites de formation disponibles sur le territoire. Le nombre impressionnant de dispositifs ayant eu pour objectifs de baisser cette barrière[1], comme les fameux permis à 1 euro, n’ont jamais permis d’invalider ce


[1] Des chercheurs en avaient dénombré 111 municipaux, 33 départementaux et 13 régionaux dans L’Horty Yannick, Duguet Emmanuel, Petit Pascale, Rouland Bénédicte & Tao Yiyi, « Faut-il subventionner le permis de conduire des jeunes en difficulté d’insertion ? Évaluation de l’expérimentation “10 000 permis pour réussir” », TEPP Research report, 2013.

[2] Ce chiffre correspond à l’effectif pondéré des personnes âgées de 18 ans et plus dans l’Enquête nationale transports et déplacement (ENDT) de 2008.

[3] Ministère de l’Intérieur, Bilan des examens du permis de conduire, 2010, 54 pages [en ligne].

[4] Demoli Y. & Lannoy P., Sociologie de l’automobile, Paris, La Découverte « Repères », 2019, p. 42.

[5] Roux S., « La diffusion du permis de conduire en France », Recherche Transports Sécurité, n° 128, 2012, p. 154-166.

[6] La seule analyse statistique disponible (Roux, 2012) indique que la population des détenteurs du permis était encore en croissance de 2,4 % par an en 2007. Cette tendance varie sur le territoire français mais, globalement, la possession du permis diminue dans les grands centres urbains et augmente dans les autres territoires.

[7] Phrase de l’exposé des motifs de la Proposition de loi de l’Assemblée nationale n°1139 du 25 avril 2023 entendant abaisser l’âge de passage du permis à 16 ans.

[8] Masclet O., « Passer le permis de conduire : la fin de l’adolescence », Agora débat/jeunesse, n° 28, 2002, p. 56.

[9] Borja S., Courty G. & Ramadier T., « Trois mobilités en une seule ? Esquisses d’une construction artistique, intellectuelle et politique d’une notion », EspacesTemps.net, octobre 2014.

[10] Contrairement au discours gouvernemental, le président du syndicat des enseignants de conduite (Unidec), Bruno Garancher invoque ces dimensions dans son analyse : « Comment envisager de telles mesures, si lourdes de conséquences en termes de vie humaine, alors qu’aucune étude d’impact, aucune prise en compte des statistiques sur la mortalité et la morbidité routière,

Simon Borja

Politiste, Enseignant-chercheur vacataire, associé au CERAPS (CNRS, université de Lille)

Guillaume Courty

Politiste, Professeur de science politique à l’Université Picardie Jules Verne et chercheur au CURAPP-ESS (CNRS)

Victor Lepaux

Sociologue, Ingénieur de recherche en sociologie au CNRS et à l’UMR Sociétés, Acteurs, Gouvernement en Europe

Thierry Ramadier

Psychologue, Directeur de recherche CNRS en psychologie environnementale au laboratoire SAGE

Notes

[1] Des chercheurs en avaient dénombré 111 municipaux, 33 départementaux et 13 régionaux dans L’Horty Yannick, Duguet Emmanuel, Petit Pascale, Rouland Bénédicte & Tao Yiyi, « Faut-il subventionner le permis de conduire des jeunes en difficulté d’insertion ? Évaluation de l’expérimentation “10 000 permis pour réussir” », TEPP Research report, 2013.

[2] Ce chiffre correspond à l’effectif pondéré des personnes âgées de 18 ans et plus dans l’Enquête nationale transports et déplacement (ENDT) de 2008.

[3] Ministère de l’Intérieur, Bilan des examens du permis de conduire, 2010, 54 pages [en ligne].

[4] Demoli Y. & Lannoy P., Sociologie de l’automobile, Paris, La Découverte « Repères », 2019, p. 42.

[5] Roux S., « La diffusion du permis de conduire en France », Recherche Transports Sécurité, n° 128, 2012, p. 154-166.

[6] La seule analyse statistique disponible (Roux, 2012) indique que la population des détenteurs du permis était encore en croissance de 2,4 % par an en 2007. Cette tendance varie sur le territoire français mais, globalement, la possession du permis diminue dans les grands centres urbains et augmente dans les autres territoires.

[7] Phrase de l’exposé des motifs de la Proposition de loi de l’Assemblée nationale n°1139 du 25 avril 2023 entendant abaisser l’âge de passage du permis à 16 ans.

[8] Masclet O., « Passer le permis de conduire : la fin de l’adolescence », Agora débat/jeunesse, n° 28, 2002, p. 56.

[9] Borja S., Courty G. & Ramadier T., « Trois mobilités en une seule ? Esquisses d’une construction artistique, intellectuelle et politique d’une notion », EspacesTemps.net, octobre 2014.

[10] Contrairement au discours gouvernemental, le président du syndicat des enseignants de conduite (Unidec), Bruno Garancher invoque ces dimensions dans son analyse : « Comment envisager de telles mesures, si lourdes de conséquences en termes de vie humaine, alors qu’aucune étude d’impact, aucune prise en compte des statistiques sur la mortalité et la morbidité routière,