Écologie

Consentir à la finitude ? Écologie et Démocratie

Philosophe

La démocratie est-elle à la hauteur des enjeux écologiques ? Sa temporalité court-termiste et son appel récurrent au consentement des gouvernés pour obtenir la réélection des représentants et gouvernants semble exclure toute mesure impopulaire. À cette objection classique d’une contradiction intrinsèque entre les objectifs écologiques et le respect des processus démocratiques, de nombreux philosophes ont répondu par un renversement : loin d’être incompatibles, écologie et démocratie ont vocation à se renforcer mutuellement.

Écologie et démocratie sont-elles compatibles ? Face à l’urgence climatique, peut-on conjurer le spectre de la « dictature verte » ? Depuis les années 1970, l’éco-autoritarisme se targue de plusieurs arguments en sa faveur. La temporalité court-termiste de la démocratie et son appel récurrent au consentement des gouvernés pour élire et réélire les représentants semble exclure toute mesure impopulaire : myopie électorale, peur des sondages et pression des lobbys érodent toute initiative ambitieuse.

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Le danger ne provient pas seulement des élites dispendieuses, mais aussi du peuple qui prise un niveau de consommation insoutenable ou accepte de déplacer ailleurs les dommages environnementaux. Malgré la conscience commune des limites planétaires et du péril climatique imminent, le consentement des citoyens aux sacrifices qui accompagnent la réduction de l’empreinte carbone et la restauration de la biodiversité semble difficile à obtenir. Dès lors, si le choix est entre le Léviathan ou le Néant, mieux vaut opter pour le Léviathan.

À l’objection d’une contradiction intrinsèque entre objectifs écologiques et processus démocratiques, de nombreux philosophes ont répondu par un renversement : loin d’être incompatibles, écologie et démocratie ont vocation à se renforcer mutuellement[1]. Souvent favorables aux initiatives citoyennes, méfiants à l’égard des experts et autres technocrates de la gouvernance climatique, les partisans de la démocratie écologique en France entendent parfois s’inspirer du self-government de Jefferson et partir d’en bas puisque les individus engagés dans une activité sont pourvus d’une compétence ajustée à la situation à laquelle ils prennent part[2].

Là où la démocratie « délégative » est le règne de la décision tranchée au rythme des décideurs pressés, la démocratie « dialogique » au tempo plus lent substitue aux experts des forums hybrides ; elle ménage les différents acteurs, engage une délibération entre savants et profanes, explore les m


[1] Victor Petit et Bertrand Guillaume, « Quelle « démocratie écologique » ? », Raisons politiques, vol. 64, n° 4, 2016, p. 49-66.

[2] Joëlle Zask, Écologie et Démocratie, Premier Parallèle, 2022.

[3] Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Seuil, 2001 ; Catherine Larrère, « La question de la nature en démocratie », in La Démocratie écologique. Une pensée indisciplinée, Jean-Michel Fourniau éd., Hermann, 2022 ; « Entre science et démocratie : conflit des compétences et débat public », in La Démocratie environnementale, D. Rousseau (dir.), à paraître.

[4] Corinne Pelluchon, Les Nourritures. Philosophie du corps politique, Seuil, 2015, p. 277-278 ; Les Lumières à l’âge du vivant, Seuil, 2021, p. 185-186.

[5] Serge Audier, L’Âge productiviste. Hégémonie prométhéenne, brèches et alternatives écologiques, La Découverte, 2019, p. 809 ; La Cité écologique. Pour un éco-républicanisme, La Découverte, 2020, Chap. 8.

[6] Dominique Bourg et Kerry Whiteside, Vers une démocratie écologique. Le citoyen, le savant et le politique, Seuil, 2010.

[7] Sur le conservatisme, le libéralisme et le socialisme, voir les analyses de Pierre Charbonnier, Politiques de l’écologie, AOC, 2022, p. 36 ; Abondance et liberté. Une histoire environnementale des idées politiques, La Découverte, 2020.

[8] Pierre Rosanvallon, « Le souci du long terme », in Dominique Bourg et Alain Papaux (dir.) Vers une société sobre et désirable, Presses Universitaires de France, 2010, p. 157.

[9] Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes, La Découverte, 1991 ; « À nouveaux territoires, nouveau Sénat », Le Monde, 9 janvier 2003.

[10] Voir les contributions très critiques de Marcel Gauchet et Jean-Pierre le Goff, Le Débat, mars-avril 2011.

[11] « Pour une démocratie écologique », La vie des idées, 1er septembre 2009 ; Pour une VIe République écologique, D. Bourg éd., Odile Jacob, 2011 ; Inventer la démocratie du XXIe siècle. L’assemblée citoyen

Céline Spector

Philosophe, Professeure à l’UFR de Philosophie de Sorbonne Université

Rayonnages

Politique Écologie

Mots-clés

Démocratie

Notes

[1] Victor Petit et Bertrand Guillaume, « Quelle « démocratie écologique » ? », Raisons politiques, vol. 64, n° 4, 2016, p. 49-66.

[2] Joëlle Zask, Écologie et Démocratie, Premier Parallèle, 2022.

[3] Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Seuil, 2001 ; Catherine Larrère, « La question de la nature en démocratie », in La Démocratie écologique. Une pensée indisciplinée, Jean-Michel Fourniau éd., Hermann, 2022 ; « Entre science et démocratie : conflit des compétences et débat public », in La Démocratie environnementale, D. Rousseau (dir.), à paraître.

[4] Corinne Pelluchon, Les Nourritures. Philosophie du corps politique, Seuil, 2015, p. 277-278 ; Les Lumières à l’âge du vivant, Seuil, 2021, p. 185-186.

[5] Serge Audier, L’Âge productiviste. Hégémonie prométhéenne, brèches et alternatives écologiques, La Découverte, 2019, p. 809 ; La Cité écologique. Pour un éco-républicanisme, La Découverte, 2020, Chap. 8.

[6] Dominique Bourg et Kerry Whiteside, Vers une démocratie écologique. Le citoyen, le savant et le politique, Seuil, 2010.

[7] Sur le conservatisme, le libéralisme et le socialisme, voir les analyses de Pierre Charbonnier, Politiques de l’écologie, AOC, 2022, p. 36 ; Abondance et liberté. Une histoire environnementale des idées politiques, La Découverte, 2020.

[8] Pierre Rosanvallon, « Le souci du long terme », in Dominique Bourg et Alain Papaux (dir.) Vers une société sobre et désirable, Presses Universitaires de France, 2010, p. 157.

[9] Bruno Latour, Nous n’avons jamais été modernes, La Découverte, 1991 ; « À nouveaux territoires, nouveau Sénat », Le Monde, 9 janvier 2003.

[10] Voir les contributions très critiques de Marcel Gauchet et Jean-Pierre le Goff, Le Débat, mars-avril 2011.

[11] « Pour une démocratie écologique », La vie des idées, 1er septembre 2009 ; Pour une VIe République écologique, D. Bourg éd., Odile Jacob, 2011 ; Inventer la démocratie du XXIe siècle. L’assemblée citoyen