Savoirs

Qu’est-ce que la notion d’hégémonie pour Antonio Gramsci ?

Professeur d’études italiennes, Historien

La notion d’hégémonie, très communément utilisée dans le débat public, est trop souvent tordue et arrachée à sa complexité. Loin des poncifs et autres falsifications, l’hégémonie n’est pas le simple encouragement à mener une bataille politique sur le terrain des idées comme s’en réclame l’extrême droite depuis les années 80. Au cœur du système théorico-pratique d’Antonio Gramsci, cette notion surdétermine l’ensemble de la pensée qu’il développe dans les prisons fascistes à partir de la rédaction des Cahiers en 1929.

Gramsci est par excellence le penseur de l’hégémonie et son nom est à juste titre associé à ce concept. Mais dans l’espace public, tant journalistique que politique, une réduction abusive tend à identifier ce dernier à la seule hégémonie culturelle. Dans un article publié le 25 avril 2023 dans AOC sur « L’improbable “gramscisme de droite” » nous avons montré comment cette réduction a servi à l’extrême droite pour tenter de s’accaparer la pensée d’Antonio Gramsci. Plusieurs lectrices et lecteurs de cet article nous ont demandé de développer de façon synthétique ce qu’était l’hégémonie dans les écrits du penseur sarde et c’est le but de cet article.

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La question de la culture et celle des intellectuels occupent une place centrale dans la réflexion que Gramsci développe en prison ; mais la notion d’hégémonie, éminemment politique, présente chez lui une richesse et une complexité qui tiennent à la nature plastique et englobante de la notion. Plastique, au sens où elle se modifie et s’enrichit tout au long du parcours politique et théorique de Gramsci : sa signification initiale, dans les années 1924-1926, diffère de celle qu’elle acquiert durant les années de prison, au cours desquelles elle continue d’évoluer jusqu’aux tous derniers textes des Cahiers rédigés en 1935. Englobante, car elle surdétermine l’ensemble de la pensée qu’il développe en prison, devenant en quelque sorte le dénominateur commun de la constellation formée par la quasi-totalité des notions et thèmes gramsciens (question méridionale, guerre de position, intellectuels, révolution passive, philosophie de la praxis…).

La variété des adjectifs qui lui sont accolés – elle est tour à tour qualifiée de politique, sociale, intellectuelle et morale, civile, éthico-politique, commerciale, culturelle, spirituelle, internationale – montre la démultiplication des champs d’application et des connotations de la notion.

Lénine et l’hégémonie du prolétariat

Comme Gramsci le suggère lui-même dans les Cahiers,


Romain Descendre

Professeur d’études italiennes, et d’histoire de la pensée politique, ENS de Lyon et UMR CNRS Triangle

Jean-Claude Zancarini

Historien, Professeur émérite d'études italiennes à l'ENS de Lyon