L’intelligence artificielle, une question d’écart
Des situations technico-économiques dans lesquelles nous vivons, nous parlons souvent, mais sans nous en rendre parfaitement compte, en usant de métaphores. Cette sorte d’inconscience n’est pas sans fonction. Elle participe au jeu classique de la figuration des choses.

Les plus vieux traités de rhétorique nous disent la raison de ce jeu : il met en place des convictions. Or, les mêmes traités le savaient bien, nous n’avons pas nécessairement besoin de démonstrations pour être convaincus. D’efficaces manières de figurer ou de rencontrer l’imagination y pourvoient aussi bien.
J’en prendrai un exemple récent qui me permettra ensuite d’évoquer la réception empressée que nous faisons actuellement de la notion d’intelligence artificielle. Cet exemple concerne un mot qui nous aura imaginairement convaincus de la pertinence du passage à l’informatique de nos pratiques documentaires, celui de « dématérialisation ».
Depuis quelques années maintenant, ce qui fait foi en matière administrative, ce qui est admis à le faire en bien des cas, ce ne sont plus des papiers, mais des documents numériques. Un mode de gestion différent a de fait pris place, qui implique des changements conséquents dans la localisation de la mémoire. C’est pour justifier cette localisation, c’est pour la rendre acceptable que le mot de « dématérialisation » a servi, en raison sans doute de son allure écologique.
Il nous est possible de savoir, bien entendu, que ce mot ne correspond pas plus à ce qui se passe réellement que celui de cloud, qui l’a bientôt rejoint dans la figuration, nuageuse en effet (c’est-à-dire sans contour défini), de la procédure d’ensemble. Dès lors, qu’est-ce qui aura poussé à ce que, quand même, il soit dit, répété et propagé ?
Étudions rapidement la métaphore, remarquons le champ de pensées auquel elle renvoie, demandons-nous ce qui a pu nous disposer à la prendre en bonne part et nous trouverons, je suppose, à peu près ceci : ce qui de longue date est promis à la dématé