International

Multipolarité dystopique : portrait d’un monde qui vient

Philosophe

Pour donner du sens aux conflits qui font rage dans l’Est de l’Europe et au Moyen Orient, il est fréquent d’invoquer la résurgence d’une opposition entre deux camps. Ainsi d’aucuns pointent-ils la menace que la formation d’un axe des autocraties totalitaires fait peser sur le monde libre des démocraties, tandis que d’autres guettent le rapprochement des réfractaires à l’impérialisme occidental issus du Sud global et des sociétés civiles du Nord. Familière et d’un usage commode, cette double clé de lecture risque pourtant de perdre toute valeur heuristique si, comme on peut le craindre, Donald Trump revient à la Maison Blanche en janvier 2025.

Le monde est-il redevenu bipolaire ? Tirée des propos de Joe Biden aux premiers jours de l’agression subie par l’Ukraine, l’hypothèse d’un retour à la case guerre froide a fait son chemin depuis lors, d’abord sous la forme, choisie par le président américain, d’une confrontation planétaire entre « démocraties et autocraties », puis dans la version privilégiée par Vladimir Poutine lui-même, qui oppose l’« Occident global » aux pays réfractaires à son hégémonie.

publicité

Sans doute trouvera-t-on peu d’observateurs sérieux pour valider les prétentions colportées par ces représentations. Respecter les libertés fondamentales de ses concitoyens n’est pas une condition requise pour recevoir l’aval de Washington et le Kremlin peut difficilement être tenu pour le quartier général des partisans du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Reste que de telles objections n’affectent guère l’attrait du prisme qui rapporte les conflits en cours à un antagonisme entre deux blocs.

Ainsi en va-t-il des avocats respectifs du droit d’Israël à se défendre et de la lutte des Palestiniens pour leur libération : les premiers ne manquent jamais de présenter l’État hébreu comme un avant-poste exposé du monde libre, tandis que les seconds en sont réduits à gager le sort de leur cause sur la mobilisation des populations rétives à l’impérialisme occidental. Il se pourrait toutefois que, sous ses deux modalités, cette clé de lecture des conflits internationaux se révèle bientôt caduque.

Parallèles hasardeux

Non content de jeter un même opprobre sur l’incursion meurtrière des miliciens du Hamas et l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, Joe Biden a justifié son blanc-seing à la riposte israélienne en l’associant à la résistance ukrainienne, comme si l’une et l’autre relevaient de la légitime défense de démocraties menacées par les visées expansionnistes de leurs autocratiques voisins. Concurremment destiné à fixer les regards de ses électeurs sur les crimes du 7 octobre 2023 et à convai


[1] La présentation des « Principes directeurs » dont se réclame le gouvernement de coalition formé par Benyamin Netanyahou en décembre 2022 s’ouvre sur le paragraphe suivant : « Le peuple Juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les composantes de la Terre d’Israël (Eretz Israël). Le gouvernement va promouvoir et développer les implantations partout sur la Terre d’Israël – en Galilée, dans le Néguev, sur le Golan, en Judée et en Samarie. » Texte traduit – en anglais – et cité par Carrie Keller-Lyn et Michael Bachner in The Times of Israel, 28 décembre 2022.

[2] Extrait d’une conférence de presse tenue à Bucarest, le 30 novembre 2022 et citée par l’Agence Reuters.

[3] Propos cités et traduits – en anglais – par Gianluca Pacchiani, in The Times of Israel, 10 octobre 2023.

[4] Hannah Arendt, Les Origines du Totalitarisme. L’impérialisme. (Traduit par Martine Leiris). Fayard, 1982, pp 171-238.

[5] Candidat malheureux à l’investiture Républicaine, en 1992 et 1996, avant de recevoir la nomination du Reform Party en 2000, le journaliste et politicien paléoconservateur Patrick Buchanan a fait précéder son ultime campagne par la publication d’un livre intitulé A Republic, Not an Empire. Reclaiming America’s Destiny.

[6] Sur la perspective du pluri-alignement, voir Le Monde ne sera plus comme avant, livre collectif dirigé par Bertrand Badie et Dominique Vidal, Les Liens qui Libèrent, 2022.

[7] Expression souvent attribuée à l’ancien premier ministre israélien Ehud Barak pour décrire la situation de son pays.

Michel Feher

Philosophe, Fondateur de Zone Books

Notes

[1] La présentation des « Principes directeurs » dont se réclame le gouvernement de coalition formé par Benyamin Netanyahou en décembre 2022 s’ouvre sur le paragraphe suivant : « Le peuple Juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les composantes de la Terre d’Israël (Eretz Israël). Le gouvernement va promouvoir et développer les implantations partout sur la Terre d’Israël – en Galilée, dans le Néguev, sur le Golan, en Judée et en Samarie. » Texte traduit – en anglais – et cité par Carrie Keller-Lyn et Michael Bachner in The Times of Israel, 28 décembre 2022.

[2] Extrait d’une conférence de presse tenue à Bucarest, le 30 novembre 2022 et citée par l’Agence Reuters.

[3] Propos cités et traduits – en anglais – par Gianluca Pacchiani, in The Times of Israel, 10 octobre 2023.

[4] Hannah Arendt, Les Origines du Totalitarisme. L’impérialisme. (Traduit par Martine Leiris). Fayard, 1982, pp 171-238.

[5] Candidat malheureux à l’investiture Républicaine, en 1992 et 1996, avant de recevoir la nomination du Reform Party en 2000, le journaliste et politicien paléoconservateur Patrick Buchanan a fait précéder son ultime campagne par la publication d’un livre intitulé A Republic, Not an Empire. Reclaiming America’s Destiny.

[6] Sur la perspective du pluri-alignement, voir Le Monde ne sera plus comme avant, livre collectif dirigé par Bertrand Badie et Dominique Vidal, Les Liens qui Libèrent, 2022.

[7] Expression souvent attribuée à l’ancien premier ministre israélien Ehud Barak pour décrire la situation de son pays.