International

Le libertarisme opportuniste de Javier Milei

Politiste

Revendiquant un cadre théorique libertarien critiqué pour ses fondements fragiles, Javier Milei prétend conduire l’Argentine hors de la crise. Mais, est-ce du libertarisme authentique ou un opportunisme déguisé, visant moins à réformer qu’à démanteler l’État au profit d’une élite ?

Une tronçonneuse est un étrange symbole de campagne. Il convient pourtant bien aux idées du nouveau président argentin, Javier Milei, qui a investi la Casa Rosada en décembre 2023 en se faisant élire sur un programme d’inspiration libertarienne.

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Ses promesses ? Mettre fin à l’inflation par la dollarisation et redresser la situation économique en amputant l’État de tous ses organes « inutiles ». Et ceux-ci sont nombreux à ses yeux !

Dans différentes vidéos de campagne, on le voit faire le ménage face à un tableau présentant l’organigramme de l’État argentin : « Ministère du tourisme et des sports : ça dégage ! Ministère de la culture : ça dégage ! Ministère de l’environnement et du développement durable : ça dégage ! Ministère des femmes, du genre et de la diversité : ça dégage ! Ministère des travaux publics : ça dégage ! [1] » Et la liste ne s’arrête pas là. À l’issue de ce grand nettoyage enthousiaste, ne restent que les ministères « indispensables », soit les classiques régaliens : armée, intérieur, relations internationales, etc.

Loin de n’être que des paroles en l’air, ce discours de campagne a rapidement été traduit dans un décret présidentiel d’urgence de 336 articles, effectif dès le 29 décembre, qui a toutes les caractéristiques de la fameuse « thérapie de choc » prônée par l’école de Chicago pour restaurer l’ordre de marché : dévaluation de moitié du peso, ouverture aux capitaux étrangers, préparation de la privatisation d’entreprises publiques, diminution du pouvoir des syndicats,  réduction des subsides public, flexibilisation du marché du travail et de la santé, passage de dix-huit à neuf ministères gouvernementaux, dérégulation du marché locatif, et bien d’autres.

Un projet de loi « omnibus » de 664 articles doit encore passer par le processus législatif pour compléter ce qui ne peut pas être fait par décret présidentiel. Cette loi fourre-tout propose entre autres une réforme électorale majeure, des amnisties pour les rapatriements de capitau


[1] Voir la courte vidéo diffusée dans le cadre de la campagne. Milei a proposé un élagage similaire en prenant le temps de davantage d’explications lors d’une émission diffusée sur LN+, canal télé du journal conservateur La Nacion.

[2] Murray Rothbard, For a New Liberty: The Libertarian Manifesto (1973, 1978; Auburn, Ala.: Mises Institute, 2006), chap. 2.

[3] Robert Nozick, Anarchy, State, Utopia, Oxford, Blackwell Publishers, 1974, p. 169.

[4] Voir l’excellente analyse de Jérôme Couillerot : « Sur les idées politiques de Javier Milei ».

[5] Voir Pablo Stefanoni, « Javier Milei en 10 phrases chocs : le paléolibertarien qui veut prendre l’Argentine », Le grand continent, 18 septembre 2023.

[6] Ibid.

[7] « So we understand the state as a criminal organisation, a violent organisation that lives by stealing from honest people. And [we believe that] society functions much better without a state than with a state, I mean, on an ideal level. », extrait de « An interview with Javier Milei », (trad. par l’auteur), The Economist, 7 septembre 2023.

[8] Pablo Stefanoni, op. cit.

[9] John Locke aurait cependant été effrayé de lire les analyses des libertariens qui se revendiquent de sa pensée. Sur ce sujet, voir : Eric Fabri, « De l’appropriation à la propriété : John Locke et la fécondité d’un malentendu devenu classique », Philosophiques, vol. 43, no 2, 2016, p. 343‑369.

[10] Cité par Milei dans sa longue interview avec The Economist.

[11] Exemple cité notamment par Pablo Stefanoni. Voir « Qui est Javier Milei, le nouveau Président argentin libertarien ? », paru dans lundimatin, #404, 26 novembre 2023.

[12] Cette idée, que l’on trouve chez Rothbard, a été évoquée du bout des lèvres par Milei à la radio. Sur le radicalisme de marché de Milei, voir aussi : John Cassidy, « The Free-Market Fundamentalism of Argentina’s Javier Milei », The New Yorker, 21 novembre 2023.

[13] Voir par exemple le sixième point de : Pablo Stefanoni, op. cit.

[14] Un exemple encore plus farfelu avait é

Éric Fabri

Politiste, Enseignant à l'Université libre de Bruxelles

Mots-clés

Néolibéralisme

Notes

[1] Voir la courte vidéo diffusée dans le cadre de la campagne. Milei a proposé un élagage similaire en prenant le temps de davantage d’explications lors d’une émission diffusée sur LN+, canal télé du journal conservateur La Nacion.

[2] Murray Rothbard, For a New Liberty: The Libertarian Manifesto (1973, 1978; Auburn, Ala.: Mises Institute, 2006), chap. 2.

[3] Robert Nozick, Anarchy, State, Utopia, Oxford, Blackwell Publishers, 1974, p. 169.

[4] Voir l’excellente analyse de Jérôme Couillerot : « Sur les idées politiques de Javier Milei ».

[5] Voir Pablo Stefanoni, « Javier Milei en 10 phrases chocs : le paléolibertarien qui veut prendre l’Argentine », Le grand continent, 18 septembre 2023.

[6] Ibid.

[7] « So we understand the state as a criminal organisation, a violent organisation that lives by stealing from honest people. And [we believe that] society functions much better without a state than with a state, I mean, on an ideal level. », extrait de « An interview with Javier Milei », (trad. par l’auteur), The Economist, 7 septembre 2023.

[8] Pablo Stefanoni, op. cit.

[9] John Locke aurait cependant été effrayé de lire les analyses des libertariens qui se revendiquent de sa pensée. Sur ce sujet, voir : Eric Fabri, « De l’appropriation à la propriété : John Locke et la fécondité d’un malentendu devenu classique », Philosophiques, vol. 43, no 2, 2016, p. 343‑369.

[10] Cité par Milei dans sa longue interview avec The Economist.

[11] Exemple cité notamment par Pablo Stefanoni. Voir « Qui est Javier Milei, le nouveau Président argentin libertarien ? », paru dans lundimatin, #404, 26 novembre 2023.

[12] Cette idée, que l’on trouve chez Rothbard, a été évoquée du bout des lèvres par Milei à la radio. Sur le radicalisme de marché de Milei, voir aussi : John Cassidy, « The Free-Market Fundamentalism of Argentina’s Javier Milei », The New Yorker, 21 novembre 2023.

[13] Voir par exemple le sixième point de : Pablo Stefanoni, op. cit.

[14] Un exemple encore plus farfelu avait é