Le smartphone des Saoudiennes, une arme à double tranchant
En janvier 2019, le monde fut captivé par l’affaire médiatique de Rahaf Mohammed al-Qunun, une Saoudienne qui a fui sa famille et se retrouva immobilisée en Thaïlande où son passeport lui fut confisqué. Armée de son smartphone, elle se saisit des réseaux sociaux en ligne pour alerter les organisations internationales sur son sort possiblement malheureux ; une histoire qui, au demeurant, conforta l’image occidentale stéréotypée de la femme saoudienne, souvent perçue comme subordonnée au patriarcat et à l’islam.
La réaction du chargé d’affaires saoudien sur Twitter (X), suggérant que les autorités auraient dû lui retirer son téléphone, illustre la puissance de cet objet qui a gagné en autorité. Sans lui attribuer tout le pouvoir d’agir, on peut en effet considérer que le smartphone a été le catalyseur de certaines transformations sociétales, en particulier pour la gent féminine saoudienne.
Cette arme n’en est pas moins à double tranchant. Outil de libération pour les femmes, elle a transformé le rapport à l’espace public, ébranlé les divisions entre les sexes, élargi les relations sociales, éveillé les consciences féministes ou encore libéré les femmes de l’emprise de certaines normes… Mais outil de contrôle politique et social, le smartphone sert aussi à surveiller les voix dissidentes et les comportements des femmes dans un souci du respect des traditions saoudiennes.
Au sein de cette société paradoxale conjuguant ultra-rigorisme et modernisme, le smartphone n’a certes pas déterminé mais amplifié des transformations qui se sont enchâssées dans une société ayant fait de l’empouvoirement[1] féminin un levier pour stimuler sa croissance économique et promouvoir une image progressiste. En montrant comment le smartphone a contribué à subvertir certaines normes, on se concentre ici particulièrement sur les usages en clair-obscur qu’il a favorisés en termes de mobilité, subjectivité et militantisme.
La subversion des normes par le smartphone
Dans les années 2000, l’implantation du smartphone en Arabie saoudite suscite des controverses liées aux menaces qu’il représente pour le régime autoritaire. En raison de ses fonctionnalités, l’objet peut mettre en péril la protection des filles, le contrôle des idées, les valeurs religieuses et culturelles tout comme remettre en question la structure patriarcale qui maintient l’ordre du genre…
Malgré l’interdiction initiale des smartphones avec caméra, les autorités doivent faire face à la croissance explosive de la connectivité, alimentée par l’essor des premiers smartphones comme le Blackberry en 2003[2] qui, très populaire, inquiète les autorités à cause des communications cryptées. C’est finalement l’Iphone 2G qui, muni d’une caméra – et malgré les restrictions de certaines applications (Face Time) – marque un changement significatif : le rapport à la photographie y devient subversif. La prise de photographies d’humains est en effet perçue comme une menace corruptrice.
Ainsi la pénétration des premiers smartphones pose-t-elle souci aux autorités : ceux équipés de caméra sont illégaux et leur usage condamné par les autorités religieuses qui dénoncent leur caractère invasif en matière de vie privée, voire « obscène »[3] (dixit les religieux) et représentant un danger pour les femmes. Les photographies n’en circulent pas moins, non sans conséquences fâcheuses : exclusion de l’université de filles pour avoir pris des photographies de jeunes filles dévoilées, amendes, rixes suite à la circulation de photographies compromettantes…[4].
Chargée d’imposer la moralité publique, la police religieuse (les muttawas) réprime ces pratiques. L’interdiction ne résiste toutefois pas à la réalité sociale : un conflit émerge entre les autorités religieuses et les industriels qui invoquent l’obstacle technique de bloquer les caméras et de produire un objet spécifique pour l’Arabie saoudite. Le Royaume rétropédale[5], à la satisfaction de la jeunesse saoudienne en quête d’ouverture.
Alimentée par l’essor des smartphones (la pénétration du mobile est de 12 % en 2001 vs 170 % en 2013[6]), la connectivité augmente rapidement. Dans cette transition digitale, les Saoudiennes adoptent rapidement les outils numériques, moyen d’accéder à la sphère publique[7]. Assignées à domicile en raison de leur faible accès au marché du travail et limitées dans leurs mouvements, les Saoudiennes citadines sont, contrairement à la tendance occidentale, initialement plus connectées[8] que les hommes.
Aujourd’hui, dans cet état ultra-conservateur, l’un des plus connectés au monde[9], ces craintes ne constituent plus un sujet car les usages des médias sociaux et de la photographie font l’objet d’une acceptation généralisée par les familles citadines, et en particulier par les plus favorisées. Le pouvoir de la police religieuse a diminué et prendre des selfies ou des photographies de proches est devenu une pratique courante dans les milieux urbains[10]. Des craintes initiales à l’acceptation généralisée, le smartphone a étendu des pratiques subversives à d’autres populations et territoires.
Agentivité du smartphone et mobilité
Dans les années 2000, l’avènement du mobile connecté[11] a libéré les Saoudiennes de la contrainte spatiale qui les confinait à la sphère privée. Initialement soumises au système de tutelle, nécessitant une autorisation pour voyager et imposant des formalités administratives contraignantes, elles étaient restreintes dans leurs déplacements et confrontées à des difficultés d’accès au marché de l’emploi[12].
Dans le cadre des initiatives de numérisation gouvernementale, le ministère saoudien de l’Intérieur a créé plusieurs applications, dont Absher en 2015 pour faciliter les démarches administratives, y compris les autorisations de sortie des Saoudiennes. Encore que perçue en Occident comme un outil de surveillance pour inquiéter les femmes[13], l’application est plutôt bien accueillie en Arabie saoudite car elle offre plus de souplesse. Grâce à l’infrastructure numérique, le tuteur est effectivement dispensé de se déplacer dans les instances compétentes, ce qui est particulièrement avantageux dans une ville encombrée comme Riyad. Au-delà, l’application peut être contournée dès lors qu’on détient les codes du tuteur pour s’autoriser une sortie de territoire[14].
Ainsi bien que perpétuant les structures de pouvoir comme le système de tutelle, le smartphone a pu, via une application comme Absher, les déjouer. Il est l’instrument pour filer les filles mais aussi celui qui les déprend de l’assignation domestique en avantageant leurs déplacements dans l’espace public. Salué comme une courroie de mobilité à plusieurs égards, le smartphone facilite la géolocalisation dans des villes denses et sert de moyen de communication rassurant pour les sorties nocturnes… Pour les femmes interdites de conduite pendant des décennies, équipé d’applications de transport telles que Uber ou Careem[15], le smartphone s’est substitué au chauffeur ou membre de la famille assurant le transport…
Agentivité du smartphone et subjectivation
Dans une société marquée par la ségrégation de genre[16] et des exigences vestimentaires strictes, telles que le port généralisé de l’abāya (souvent noire à Riyad) jusqu’en 2019, voire du niqāb dans les quartiers traditionnels, les Saoudiennes ont longtemps été invisibilisées dans l’espace public. Elles ont subi des processus de marginalisation, ce notamment après le boom pétrolier qui a incité l’État saoudien à adopter une position plus conservatrice et à discipliner les corps[17]. C’est dans ce contexte oppressant mais aussi dans celui d’un ensemble de réformes progressives successives à l’endroit des femmes que le smartphone s’est imposé comme un compagnon de route, une « technique de soi »[18], une « prothèse cognitive », ou encore un objet « miroir de soi »[19].
Il a offert aux Saoudiennes la possibilité de reprendre possession d’elles-mêmes et de reconstruire une ou des identités parfois refoulées par l’ordre social. Dans cette société où les valeurs collectives prévalent et où la conception de l’intime diffère de celle qui prédomine en Occident[20], le mobile connecté est devenu l’objet et le territoire d’exploration de l’intime, le lieu des confidences et des révélations en coulisses. Il permet de communiquer discrètement (par exemple l’usage de messageries) dans des foyers souvent nombreux. Il offre la possibilité de se raconter tout en préservant l’anonymat via des pseudos ou réseaux sociaux anonymes et de partager des paroles intimes dans une société prétendue jaseuse[21] et où le recours aux services de psychologie[22] reste tabou.
Le smartphone est ainsi devenu un moyen de s’exposer dans les limites des normes réputationnelles, de partager des fragments de soi dans un cadre intime souvent restreint par le poids du collectif. Car en Arabie saoudite, la vie privée ne se limite pas à une dimension individuelle mais englobe la sphère familiale pour préserver l’honneur de la famille[23]. En ce sens, fondés sur des valeurs favorisant un « soi autonome »[24], les réseaux sociaux y ont modifié la conception de la vie privée.
Pour les Saoudiennes autrefois invisibilisées, ces plateformes ont constitué des moyens de se sentir sujet, d’acquérir une reconnaissance sociale et de trouver une place dans une société qui les a longtemps exclues, pour des raisons d’ailleurs plus politiques que religieuses[25]. Des technologies visuelles comme Snapchat, Instagram ou Tik Tok leur ont permis de se représenter autrement que par la standardisation imposée par le port obligatoire de l’abāya. En recourant aux filtres ou à l’utilisation des snaps[26] d’une durée limitée, les Saoudiennes ont pu déjouer les normes sociales[27] et islamiques[28] et s’exposer sous d’autres jours.
La maîtrise des paramètres de confidentialité les a invitées à déployer des stratégies pour se conformer aux frontières de l’intime, adaptant leurs posts aux codes culturels en vigueur, ou les outrepassant pour certaines. Symptomatiques de ces usages tantôt canoniques, tantôt transgressifs, les applications munies de filtres sont utilisées pour exhiber une féminité souvent dissimulée, performer une culture make up, voire se travestir.
Le smartphone lui-même est l’objet composite qui contribue à cette subjectivité. Participant à des postures et performances corporelles, il est mis au service d’une stylisation de soi[29] et constitue un élément du « show off » pour se démontrer et parader. Ostensible, il est un accessoire de mode pour se distinguer, encore plus lorsqu’on est couverte d’un niqāb ; l’objet paravent pour fuir les regards masculins dans la rue et feindre d’être occupée, l’objet transitionnel[30] et chéri auquel on accorde presque le statut de sujet plutôt que d’objet…
Agentivité du smartphone et activisme
Enfin, le smartphone a sans conteste joué un rôle dans les mobilisations « féministes » tant libérales que conservatrices. Alors que les premières luttent pour des droits perçus comme fondamentaux depuis l’Occident comme la conduite ou le fait d’exercer sa propre tutelle, les secondes revendiquent plus de justice entre les hommes et les femmes en conformité aux préceptes de l’islam[31]. Vues de l’Occident, les mobilisations les plus emblématiques concernent effectivement le droit de conduire[32] ou de s’affranchir de la tutelle masculine qui, si elles connaissent un souffle nouveau à l’ère numérique[33], sont aussi portées par un contexte social propice comme le Printemps arabe (décembre 2010) au cours duquel des activistes initient la campagne Women2Drive pour encourager les femmes à conduire.
Figure de proue du mouvement, la militante saoudienne Manal al-Sharif poste une vidéo la montrant au volant d’une voiture[34] en mai 2011. Arrêtée, son cas attire l’attention des médias nationaux et internationaux et met en lumière le mouvement Women2Drive lors duquel une quarantaine de femmes à travers le Royaume prend le volant pour défier l’interdiction, filmant et tweetant depuis leur voiture. Le mouvement est colporté par diverses plateformes au moyen du hashtag « #Women2Drive ».
Deux ans plus tard, la campagne du 26 octobre 2013 est menée par des militantes qui prennent le volant après s’être organisées via les réseaux socionumériques en recourant aux hashtags « #Oct26driving ». La répression est sévère et ces militantes subissent des pressions et leurs proches des intimidations pour refreiner les actions de ces insubordonnées. À la surprise générale, les femmes seront autorisées à conduire à partir du 24 juin 2018.
Une autre campagne significative concerne le mouvement contre la tutelle masculine[35], qui, considérablement assouplie ces dernières années, a longtemps porté atteinte à l’intégrité des Saoudiennes considérées comme des mineures à vie. Ici encore, les médias sociaux donnent de l’écho à ces campagnes. En 2016, suite à un rapport de Human Right Watch[36] dénonçant les contraintes de la tutelle, une campagne est lancée par des Saoudiennes qui contestent leur obligation d’obtenir l’autorisation de leur tuteur pour travailler, voyager à l’international ou se marier… Soutenus par des voix occidentales, des hashtags en anglais tels que « #TogetherToEndMaleGuardianship »[37], « #IamMyOwnGuardian »[38] ou encore « #StopEnslavingSaudiWomen », circulent sur les réseaux sociaux[39].
Mobilisant des Saoudiennes de différentes générations qui n’étaient pas actives politiquement auparavant[40], la campagne gagne en popularité. Son soutien ne fait cependant pas l’unanimité et la société demeure divisée. Pour une partie de la société conservatrice, la tutelle masculine est perçue comme un droit de protection de la femme. Ainsi dans la twittosphère arabe circule le contre-hashtag populaire « #GuardianshipIsForHerNotAgainstHer ».
Une telle revendication se démarque des normes occidentales du féminisme[41] et met en exergue les tensions entre les visions occidentales et arabes. Elle est aussi révélatrice du piège qui consiste à parler au nom de « prétendues » subalternes et à considérer les « droits » ou le féminisme selon une voix supposément unifiée, voire de percevoir le féminisme à la seule aune du sécularisme ou de l’affranchissement de soi, en un mot à celle d’un « féminisme libéral occidental ».
En 2019, le décret royal de Mohammed ben Salmane (MBS) mettant fin à l’obligation pour les femmes d’obtenir l’autorisation de leur tuteur pour voyager marque la fin de ces campagnes ; la tutelle continuant cependant de peser en matière de mariage ou de garde d’enfants[42].
L’empouvoirement par le smartphone : un faux-semblant ?
Bien que le smartphone ait joué un rôle dans les pratiques émancipatoires, interrogeons-nous sur le sens et la portée de cet empouvoirement, en demi-teinte. Le smartphone est bien un moteur de l’empouvoirement si l’on s’en tient à une approche néolibérale de cette notion, comme le reflète le pouvoir saoudien à travers son programme Vision 2030 qui promeut l’émancipation économique des femmes. Des opportunités professionnelles ont émergé. Les médias sociaux comme Instagram[43] ont facilité l’entrepreneuriat des Saoudiennes urbaines, en leur offrant une flexibilité face aux contraintes socioculturelles[44] et en leur permettant de concilier leur activité professionnelle avec leurs responsabilités domestiques.
En réalité, dans cette ère de numérisation de l’économie[45], l’empouvoirement des Saoudiennes s’inscrit dans un féminisme néolibéral qui valorise l’initiative individuelle et l’entrepreneuriat[46], au détriment du collectif et du politique. Car dans ce Royaume, le smartphone demeure aussi un puissant outil de surveillance, de la part des autorités comme de celle des pair·e·s. Le régime autocratique l’utilise pour menacer, espionner et réprimer au nom de la sécurité nationale.
Ainsi, si le smartphone a contribué à renforcer l’autonomie des Saoudiennes et leur pouvoir d’agir sur leur propre vie, il a pu également agir à leur encontre. Cet objet pour conquérir la liberté est aussi celui qui la réduit à néant. Alors que Twitter a sauvé des militantes telles que Manal al-Sharif[47], la même plateforme est devenue un lieu de propagande menaçant leur sécurité, révélant les liaisons dangereuses du gouvernement saoudien avec cette plateforme[48].
C’est aussi au moyen de fermes à trolls[49] pour promouvoir le régime[50], ou encore via l’acquisition de logiciels espions comme Pegasus, que des dissident·e·s sont surveillé·e·s et subissent des conséquences funestes[51]. Or cette répression par le digital affecte davantage les femmes[52] plus vulnérables en raison de la culture de l’honneur qui les expose à une surveillance accrue : elles sont plus enclines à être confrontées à des situations de fugue – leurs numéros IMEI étant utilisés à des fins de filage – et davantage sujettes aux répressions transnationales[53]. Par ailleurs, les mesures entreprises sous MBS en faveur des femmes n’altèrent manifestement pas les restrictions de liberté sur le net[54].
En dépit de l’interdiction du harcèlement sexuel en 2018, des femmes ayant partagé leurs expériences sur les réseaux sociaux et dénoncé ces violences[55] ont fait face à des arrestations et intimidations de la part des autorités. Au-delà, ce contrôle se double de celui des pair·e·s, lui-même d’ailleurs alimenté par celui des autorités comme en témoigne la création de l’application gouvernementale Kollona Amn, qui incite à signaler les comportements malveillants. Si certaines se félicitent de l’application qui les invite aisément à dénoncer tout harcèlement en ligne, ce sont elles qui font le plus les frais du contrôle des pair·e·s.
Dans cette société conservatrice, une femme commettant une « faute morale » met en jeu la réputation de sa famille, tandis qu’un homme en subit seul les conséquences[56]. Ainsi, les femmes sont contraintes de discipliner leur visibilité en ligne, tout écart pouvant entraîner des conséquences graves, telles que la vindicte publique ou le crime d’honneur[57].
L’empouvoirement est définitivement en clair-obscur. Si l’on s’en tient à une vision individualiste telle que promue par le régime saoudien, convenons que les Saoudiennes ont gagné en autonomie. Idem si on l’envisage à l’aune d’actes subversifs et de résistance aux normes religieuses et ultraconservatrices. Le smartphone a sans conteste constitué un outil essentiel pour amplifier des changements en cours tout comme pour planifier, coordonner, visibiliser et performer des mobilisations féministes. Les spécificités techniques et esthétiques de l’objet ont offert aux Saoudiennes l’occasion de mettre en valeur leur subjectivité, de se créer des espaces à soi, de se libérer du poids de contraintes sociales tout en facilitant leur intégration professionnelle en harmonie avec leur rôle de genre.
Une telle conception repose toutefois sur une approche libérale qui considère la subversion à la seule aune du sujet, et la résistance à celle de l’opposition aux normes conservatrices. Or une approche collective et politique[58] de l’empouvoirement nous conduit à une réponse plus nuancée. D’une part, parce que l’autonomisation et le pouvoir sur soi y sont conditionnés par le contrôle des autorités et des pair·e·s, qui pèse notamment sur les filles issues de familles conservatrices et rurales[59]. D’autre part, parce que l’empouvoirement a souvent été appréhendé dans les théories féministes comme une possibilité de transformation des opprimées.
D’un point de vue occidental, les femmes conservatrices seraient soumises car prisonnières d’une idéologie patriarcale contre laquelle elles devraient lutter[60]. Pourtant le désir de se libérer de rapports de domination n’est ni universel ni naturel, et il est possible de se conformer à des normes islamiques tout en se réalisant.
Il y aurait dès lors non seulement inconséquence, mais aussi ignorance, à considérer que le smartphone a conféré du pouvoir d’agir aux Saoudiennes ayant milité pour des droits perçus comme élémentaires en Occident, mais pas à celles ayant défendu des droits conformes aux préceptes de l’islam[61]. Une telle vision aurait non seulement pour effet de considérer l’establishment religieux comme un frein à l’empouvoirement des Saoudiennes, mais aussi de considérer que l’adhésion aux normes islamiques empêcherait toute possibilité d’agentivité[62].
Ce faisant, même à convenir du rôle du smartphone dans la capacité d’agir de toutes ces femmes, on pourrait se demander si l’empouvoirement par le numérique des unes ne se serait pas accompli au détriment des autres, conservatrices. Pour ces dernières, l’empouvoirement passe effectivement par un maintien de la ségrégation de genre comme système de protection des droits des femmes[63]. En ce sens, il est légitime de se questionner sur les conséquences préjudiciables de la perméabilité des frontières permise par le numérique quant aux combats et aspirations des plus conservatrices pour lesquelles la religion est un levier d’émancipation.[64]