Politique

Emmanuel Macron, un révolutionnaire conservateur

Politiste

Trop souvent le débat – et la polémique – autour de la dérive « illibérale » de la France est réduite à la seule figure du président de la République. Quelle que soit l’hybris jupitérienne de ce dernier, son action s’inscrit dans un jeu de forces, à la fois synchronique et diachronique, dont il est souvent le simple jouet. Il est plus important de réfléchir à des enchaînements complexes de circonstances contingentes et hétérogènes qui enclenchent, dans des situations historiques concrètes, de nouvelles configurations.

L’injonction d’Emmanuel Macron à ses ministres de se montrer non « gestionnaires » mais « révolutionnaires » peut prêter à haussement d’épaules. On peut y voir aussi une manifestation supplémentaire du grotesque qui lui tient lieu de style politique dès lors que sa prétention à être lui-même « révolutionnaire » va de pair avec la répression policière de tous ceux qui se le disent également, avec plus de crédibilité que lui-même.

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Néanmoins, il nous faut prendre au sérieux cette pétition de principe « révolutionnaire » dont il se pourrait qu’elle nous fournisse la clef d’intelligibilité du macronisme. Après tout, Emmanuel Macron a intitulé son ouvrage de première campagne présidentielle Révolution. Il se réclamait de temps nouveaux et entendait rejeter dans les poubelles de l’Histoire le vieux monde, non sans accents évangéliques de born again de la République (ou de la monarchie ?). Volontiers « disruptif », il se veut homme de rupture et, pourquoi pas, de transgression, en l’occurrence des « tabous », un mot récurrent dans son discours. Il se rêve en président d’une start-up nation pour mieux se gausser des « Gaulois réfractaires ».

« En même temps » il se dévoile en conservateur profond. Il assume sans gêne les poncifs les plus éculés du roman national. Orléans, le Mont-Saint-Michel, le Puy du Fou, Notre-Dame de Paris délimitent sa géographie historique. Il reprend le vocabulaire traditionnel de la droite et souvent de l’extrême droite en répondant à l’explosion sociale des banlieues par la pensée magique de l’ « autorité », en se dressant contre l’immigration, en luttant contre les narcotrafiquants par l’organisation d’opérations « place nette » dont on a vu l’inanité en Amérique latine ou aux Philippines, en s’imposant dans la sphère intime de la famille pour contrôler les écrans des ados et augmenter le nombre des bébés, et en œuvrant pour que la France « reste la France » quitte à paraphraser Éric Zemmour. Il assume désormais la remise en cause du dro


[1] Thomas Mann, Docteur Faustus. La vie du compositeur allemand Adrian Leverkühn racontée par un ami, Albin Michel, collection « Le Livre de poche », p. 439, 2015 (1950).

[2] Philippe Burrin, « La France dans le champ magnétique des fascismes », Le Débat, 32, p. 52-72, 1984.

[3] Voir notamment, pour ces derniers mois : « Gueule de bois républicaine » sur Mediapart ; « La France serait-elle arrivée là où elle va ? » sur Blast ; « Où va la France ? » et « On sait mieux où va la France » sur Le Temps.

[4] Béatrice Hibou, Anatomie politique de la domination, La Découverte, 2011 ; Jean-François Bayart, L’Énergie de l’État. Pour une sociologie historique et comparée du politique, La Découverte, 2022.

[5] L’historien Pierre Serna a bien dégagé cette continuité des « Perpétuels » thermidoriens à Emmanuel Macron (L’Extrême-Centre, ou le poison français. 1789-2019, Champ-Vallon, 2019.)­

[6] Voir le témoignage et l’enquête terrifiants de Julie Brafman, « Usurpation d’identité », Libération, p. 2-5, 23 août 2023.

[7] Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, Albin Michel, p. 40, 1996.

[8] Jean-François Bayart, L’Énergie de l’État, op. cit., chapitre V.

[9] Voir le livre passionnant de Jean-Pierre Warnier, Dix ans de bonheur. Un couple bourgeois à l’Âge des Extrêmes, Karthala, 2023.

[10] Voir Philippe Corcuff, La Grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Textuel, 2020.

[11] Le Monde, 9 février 2024.

[12] Christophe Ayad, Samuel Laurent, « La guérilla virtuelle d’activistes pro-Israël en France », Le Monde, p. 10, 4-5 février 2024.

[13] Philippe Burrin, La Dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery. 1933-1945, Le Seuil, 1986.

[14] Menno ter Braak, Le National-socialisme, doctrine de la rancune, s.l., La Barque, 2022 (1937).

[15] Max Scheler, L’Homme du ressentiment, Bartillat, 2022 (1912).

[16] Jean-François Bayart, L’Énergie de l’État, op. cit., chapitres II et III.

[17] Jean-François Bayart, Les Fondamentalistes de l’identité. Laïcisme versus dj

Jean-François Bayart

Politiste, Professeur à l'IHEID de Genève titulaire de la chaire Yves Oltramare "Religion et politique dans le monde contemporain"

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Notes

[1] Thomas Mann, Docteur Faustus. La vie du compositeur allemand Adrian Leverkühn racontée par un ami, Albin Michel, collection « Le Livre de poche », p. 439, 2015 (1950).

[2] Philippe Burrin, « La France dans le champ magnétique des fascismes », Le Débat, 32, p. 52-72, 1984.

[3] Voir notamment, pour ces derniers mois : « Gueule de bois républicaine » sur Mediapart ; « La France serait-elle arrivée là où elle va ? » sur Blast ; « Où va la France ? » et « On sait mieux où va la France » sur Le Temps.

[4] Béatrice Hibou, Anatomie politique de la domination, La Découverte, 2011 ; Jean-François Bayart, L’Énergie de l’État. Pour une sociologie historique et comparée du politique, La Découverte, 2022.

[5] L’historien Pierre Serna a bien dégagé cette continuité des « Perpétuels » thermidoriens à Emmanuel Macron (L’Extrême-Centre, ou le poison français. 1789-2019, Champ-Vallon, 2019.)­

[6] Voir le témoignage et l’enquête terrifiants de Julie Brafman, « Usurpation d’identité », Libération, p. 2-5, 23 août 2023.

[7] Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, Albin Michel, p. 40, 1996.

[8] Jean-François Bayart, L’Énergie de l’État, op. cit., chapitre V.

[9] Voir le livre passionnant de Jean-Pierre Warnier, Dix ans de bonheur. Un couple bourgeois à l’Âge des Extrêmes, Karthala, 2023.

[10] Voir Philippe Corcuff, La Grande confusion. Comment l’extrême droite gagne la bataille des idées, Textuel, 2020.

[11] Le Monde, 9 février 2024.

[12] Christophe Ayad, Samuel Laurent, « La guérilla virtuelle d’activistes pro-Israël en France », Le Monde, p. 10, 4-5 février 2024.

[13] Philippe Burrin, La Dérive fasciste. Doriot, Déat, Bergery. 1933-1945, Le Seuil, 1986.

[14] Menno ter Braak, Le National-socialisme, doctrine de la rancune, s.l., La Barque, 2022 (1937).

[15] Max Scheler, L’Homme du ressentiment, Bartillat, 2022 (1912).

[16] Jean-François Bayart, L’Énergie de l’État, op. cit., chapitres II et III.

[17] Jean-François Bayart, Les Fondamentalistes de l’identité. Laïcisme versus dj