Savoirs

La morsure et le pot : l’envenimation entre arts et sciences

Scénographe, Sociologue, Scénographe

Quels récits, quelles formes de narration nous faut-il privilégier pour faire exister les problèmes réels d’une société ? En confrontant les sciences à l’art, on peut éclairer les zones d’ombre de nos connaissances et de nos sensibilités. Un projet de dialogue interdisciplinaire peut ainsi ouvrir des voies pour comprendre et traiter des enjeux cruciaux de santé publique, tout en respectant et en intégrant les savoirs traditionnels et les voix des communautés marginalisées.

Un petit village du sud de l’Inde héberge une initiative étonnante. Chaque jour pendant la saison de la chasse, des dizaines de villageois adivasi appartenant à la communauté Irular (catégorisée dans les populations dites tribales) apportent des serpents parmi les plus dangereux du pays tels que cobras, vipères ou bongares, auprès d’un centre coopératif de collecte de venin, le seul d’Inde et géré par la communauté.

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Les serpents sont conservés par centaines dans de simples pots de terre, disposés au sein d’une fosse pendant quelques semaines, le temps d’extraire leur venin, puis ils sont relâchés dans la nature. Le venin fait alors l’objet d’une série d’opérations : réfrigéré, purifié et lyophilisé, il est acheminé vers des firmes pharmaceutiques qui l’injectent pendant plusieurs mois à des chevaux afin de développer leur immunité face à l’envenimation. Les anticorps de chevaux seront à leur tour employés dans la fabrication de sérum antivenin, un médicament essentiel.

Une approche réflexive du « rendre compte »

L’envenimation, vue depuis la coopérative Irular, pose une série de questions aux sciences de la nature, aux sciences sociales et aux arts visuels : comment dire le processus de production des antivenins, depuis la capture des serpents jusqu’à l’injection du sérum à des patients ? Comment expliciter les conceptions associées au venin à partir des différentes positions sociales ou professionnelles des groupes impliqués (depuis les chercheurs scientifiques jusqu’aux villages irulas) ? Comment y associer des connaissances traditionnelles, légendes, pratiques rituelles associées au serpent et au venin en Inde et comment les connecter à l’histoire des relations sociobiologiques entre espèce humaine et espèces de serpents[1]  ? Dans quelle mesure les confrontations de ces conceptions manifestent la mise en commun de mondes et d’ontologies contradictoires[2] ? In fine, comment rendre compte des processus de recherche par des méthodes « sensibles » ? Quels


[1] Thomas Headland, Harry Greene, Hunter-gatherers and other primates as prey, predators, and competitors of snakes, Proceedings of the National Academy of Sciences, 2011 ; Romulus Whitaker, Ashok Captain, Snakes of India. A field guide, Westland Books, 2016.

[2] Bruno Latour Enquête sur les modes d’existence. Une anthropologie des modernes, La Découverte, 2012 ; Eduardo Viveiros De Castro Métaphysiques cannibales; Lignes d’anthropologie post-structurale, PUF, 2009.

[3] Le projet Slithering Cures a pris forme au cours du projet Anipharm financé par l’ANR et a bénéficié du soutien financier de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme dans le cadre de l’appel « Arts et Sciences ».

[4] Alexia Eychenne, Rozenn Le Saint, « Les serpents tuent encore », Le Monde Diplomatique, octobre 2021.

[5] Anna L. Tsing, The Mushroom at the End of the World: On the Possibility of Life in Capitalist Ruins, Princeton University Press, 2015.

[6] Christine Guillebaud, Le chant des serpents. Musiciens itinérants du Kerala, CNRS Editions, 2008.

[7] Le projet a débuté par une collaboration plus large incluant la sociologue Marine Al Dahdah.

[8] Bruno Latour, Enquête sur les modes d’existence. Une anthropologie des modernes, La Découverte, 2012 ; Eduardo Viveiros De Castro, Métaphysiques cannibales; Lignes d’anthropologie post-structurale, PUF, 2009 ; Arturo Escobar, Senti-Penser avec la terre. Une écologie au-delà de l’occident. Seuil, 2018.

[9] Christine Guillebaud, ibid.

Maïda Chavak

Scénographe

Mathieu Quet

Sociologue, Directeur de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement et membre du Centre Population et Développement (Ceped)

Camille Neff

Scénographe

Notes

[1] Thomas Headland, Harry Greene, Hunter-gatherers and other primates as prey, predators, and competitors of snakes, Proceedings of the National Academy of Sciences, 2011 ; Romulus Whitaker, Ashok Captain, Snakes of India. A field guide, Westland Books, 2016.

[2] Bruno Latour Enquête sur les modes d’existence. Une anthropologie des modernes, La Découverte, 2012 ; Eduardo Viveiros De Castro Métaphysiques cannibales; Lignes d’anthropologie post-structurale, PUF, 2009.

[3] Le projet Slithering Cures a pris forme au cours du projet Anipharm financé par l’ANR et a bénéficié du soutien financier de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme dans le cadre de l’appel « Arts et Sciences ».

[4] Alexia Eychenne, Rozenn Le Saint, « Les serpents tuent encore », Le Monde Diplomatique, octobre 2021.

[5] Anna L. Tsing, The Mushroom at the End of the World: On the Possibility of Life in Capitalist Ruins, Princeton University Press, 2015.

[6] Christine Guillebaud, Le chant des serpents. Musiciens itinérants du Kerala, CNRS Editions, 2008.

[7] Le projet a débuté par une collaboration plus large incluant la sociologue Marine Al Dahdah.

[8] Bruno Latour, Enquête sur les modes d’existence. Une anthropologie des modernes, La Découverte, 2012 ; Eduardo Viveiros De Castro, Métaphysiques cannibales; Lignes d’anthropologie post-structurale, PUF, 2009 ; Arturo Escobar, Senti-Penser avec la terre. Une écologie au-delà de l’occident. Seuil, 2018.

[9] Christine Guillebaud, ibid.